S’il est une chose à laquelle on s’habitue sans problème, c’est d’ouvrir, jour après jour, ses volets verts sur un ciel tout bleu. S’il est, par ailleurs, une chose qui amuse gentiment du côté Nord de l’hexagone et en Bretagne tout particulièrement, c’est quand, par une sorte de caprice sympathique, Dame météo met le Nord au soleil et le Sud sous la pluie.
Après quelques jours de farniente qui n’auront en aucune façon modifié ses levers matinaux, votre chroniqueuse, maman de trois, revient à son poste de travail favori et se décide à vous gratifier d’un long, très long billet mèlant intimement récit du retour de classe de mer de numéro deux et escapade parisienne de trois jours avec un mari à quart temps et deux filles à temps plein.
Du lundi 11 avril au vendredi 16 avril, une vingtaine de couples avaient, soir après soir, composé le numéro permettant d’accéder « au fil rouge parents » et découvert les messages enregistrés par la maîtresse de leurs chères têtes blondes, brunes ou rousses. Chaque jour, les parents se surprenaient à appeler un peu plus tard et chaque jour, l’institutrice racontait la journée vécue par les enfants de plus en plus tard. Le vendredi soir, même si elle essayait de le dissimuler, sa voix trahissait la fatigue accumulée pendant ce séjour breton.
C’est que du côté de Pénestin, grands et petits n’avaient pas chômé. On avait été découvrir le port de la Turballe, l’océanorium du Croizic, appris que la grande falaise de Pénestin avait été à l’origine d’une ruée vers l’or après qu’on ait découvert, dans ses veines dorées, des paillettes du précieux minerai, que l’or jaune avait été remplacé par de l’or blanc, des civelles pêchées de ce coté-ci de l’Atlantique après que les alvins aient quitté la mer de Sargasses trois ans avant. Les enfants, encadrés par deux animateurs, avaient constitué leur aquarium avec des custacés et autres mollusques marins, construit des barrages en sable contre la marée atlantique, appris, à l’occasion d’une fest-noz, à danser la gavotte du Cap ou le passepied de Plaintel et fêté, en grandes pompes, les anniversaires de numéro deux et de Léa, une petite amie née le même jour. Le gâteau était immense. Les enfants de toutes les classes réunies sous le même toit avaient applaudi généreusement les deux petites filles après qu’elles aient soufflé leurs bougies et, chacune avait ouvert le présent acheté avant le départ par Pierrette, l’assistante de leur institutrice.
Ce jour-là, tandis qu’à la maison, deux parents faisaient dîner numéro un et numéro trois qui commençaient à éprouver le manque de numéro deux, le téléphone avait sonné. La maman avait décroché et une petite voix haut perchée et cristalline avait dit: « maman, c’est une surprise que vous fait Véronique ». C’était numéro deux. Les parents avaient pu, ainsi, souhaiter à leur petite fille un très bon anniversaire et la petite fille en avait profité pour s’assurer que sa maman avait envoyé par la poste le doudou oublié le jour du départ. La petite fille avait dit réussir à trouver le sommeil sans lui mais avait beaucoup insisté sur l’envie de le serrer contre elle, d’écraser le peu de corps qu’il lui reste entre ses doigts et d’enfouir son nez dans un monde d’odeurs allant du lait maternel au parfum de la lessive, en passant par les flagrances des années crèche et des humeurs nocturnes.
Les membres de l’APE avaient décidé d’offrir aux enfants et à leurs parents un goûter le jour du retour. Comme à chaque fois, les mamans avaient été sollicitées pour réaliser un gâteau et votre chroniqueuse et une autre maman avaient été choisir des cadeaux pour la maîtresse et sa fidèle assistante. On lui avait demandé de venir aider à la mise en place du goûter. Elle avait laissé numéro trois chez un de ses petits camarades. Numéro un et son papa étaient, quant à eux, partis nager. Comme à chaque fois qu’elle n’avait pas nagé depuis de longs mois, numéro un s’était inquiétée de savoir si elle saurait encore nager. On l’avait rassuré par une phrase du genre » ne crains rien! La natation, c’est comme le vélo et le ski, une fois que tu as compris, cela ne s’oublie jamais. » Le rendez-vous avait été fixé à 16h30 et comme d’habitude, la maman de trois n’avait pas pu faire autrement que d’arriver avec quelques minutes d’avance. Mais, sur le parking où elle s’était garée à l’ombre d’un cerisier sauvage, elle n’était pas la première. Un couple piaffait d’impatience. C’était la toute première fois que cette maman et ce papa vivaient une séparation de quelques jours avec leur fils unique. La maman aux beaux yeux clairs et aux cheveux portés courts s’était moquée de la maman de trois chez laquelle elle soupçonnait la même impatience de retrouver son enfant. La maman de numéro deux n’avait pas estimé nécessaire de lui dire que si elle se faisait une joie de revoir numéro deux avec son large sourire, sa démarche sautillante, ses grands yeux noisettes, ses poses de petit chat, sa bonne humeur et sa presque totale absence d’humour, elle était en avance parce qu’elle ne savait pas faire autrement et qu’elle avait à présent acquis assez de maturité pour avoir compris les raisons qui la conduisaient à devancer, systèmatiquement, l’appel. Les autres membres de l’association des parents d’élèves étaient arrivés au compte-gouttes. On avait installé les tables dans la cour de l’école maternelle. On avait mis les boissons au frais.
L’arrivée des enfants était prévue pour 17H15 et à l’heure dite, le car à deux étages avait fait son entrée solennelle sur le parking. Au bout de quelques minutes qui avaient du sembler une éternité à certains parents, le premier enfant était sorti de l’espace sombre et réfrigéré plissant ses yeux pour se réhabituer à la lumière du soleil et tout groggy après huit heures de trajet. Les pieds à peine posés sur le macadam, chaque enfant cherchait du regard ses parents dans la petite foule compacte. On avait assisté à des scènes particulièrement émouvantes. Une petite fille, meilleure amie de numéro deux depuis trois ans et n’ayant jamais quitté ses parents, avait fondu en larmes en retrouvant les siens. La petite fille avait niché son visage baigné de grosses gouttes de joie dans le cou de sa toute jeune maman qui pleurait tout autant. Elles étaient seules au monde. Plus rien ne comptait et la maman de trois avait subitement entendu la voix de Brel lui chanter « Orly ». A la descente du car, c’est comme si, brutalement, la petite fille avait mesuré le degré d’absence, le poids du manque. La petite fille et la maman avaient fini par relâcher leur ét
reinte et s’étaient avancées, main dans la main, en direction du buffet sucré.
Numéro deux s’était jetée dans les bras de sa maman et avait catégoriquement refusé d’embrasser son papa parce qu’il avait un début de barbe assez avancé, une barbe à la Edouard Baer dans le film « le bison ». Numéro deux qui se lamentait de ne jamais voir son père porter une cravate comme tous les autres papas était horrifiée qu’il s’affiche avec cette barbe en voie de constitution. Le soir même, elle avait disparu et c’est à peine si le lavabo pouvait encore témoigner de son existence.
Les enfants s’en étaient donnés à coeur joie dans la cour de récrétaion et sous le préau tandis que les parents bavardaient avec la maîtresse et son assistante. Les petites filles portaient de grandes robes dont les pans volaient légèrement dans le petit vent du nord. Les pétales des cerisiers du Japon formaient un tapis rose du côté du toboggan et de la maison en bois sous laquelle des enfants goûtaient. Les pétales retombaient dans les cheveux des petites filles et certaines les récoltaient dans le bas de leur jupe pour jouer à les lançer. Votre chroniqueuse avait eu droit à sa part de pétales mélangés à de fins graviers et à des feuilles. Elle avait ri et s’était rappelée ces pétales de rose retrouvés à six heures du matin, le jour de leur mariage, collés sur sa peau quand elle avait retiré sa robe que sa mère avait regretté si fort qu’elle ait choisie dés la première boutique quand, depuis des siècles, au moins, elle avait rêvé ces moments où elle accompagnerait l’une de ses deux filles choisir sa robe de mariée. Des moments forcément privilégiés, des moments de complicité mère/fille qui avaient tourné court car la fille, déprimée, n’avait pas le coeur à faire le tour de toutes les boutiques dédiées au « grand jour » et qu’elle détestait essayer des vêtements dans des cabines où les glaces avaient le don de vous renvoyer une image de vous-même assez peu agréable et où régnait toujours une chaleur presqu insoutenable.
Les pétales de rose retrouvés en cette fin de nuit-là, alors que les chants des grenouilles des étangs de la Dombes commençaient à se faire plus discrets, que la plupart des convives dormaient déjà, que, sur la porte de la chambre, ils avaient découvert une affiche de l’une des expositions des toiles de son beau-père, sentaient délicieusement bons.
Elle sort de sa rêverie. Elle a repéré une des amies de numéro deux qui, seule, sous le préau, attend les yeux dans le vague. Elle s’approche d’elle. Une grosse demie heure s’est déjà écoulée depuis l’arrivée du car et les parents de la petite fille ne sont pas encore là. La maman de trois s’installe à côté d’elle et lui explique que ses parents ne l’ont pas oublié mais que, certainement, ils n’ont pas écouté le dernier message modifiant l’horaire de retour car, initialement, c’est un apéritif et non un goûter que petits et grands auraient du partager ensemble. Alors que la maman de trois et numéro deux trouvent les mots qui rassurent et consolent, le papa de la petite fille arrive et celle-ci se précipite dans ses bras. Il appelle sa femme et très vite toute la famille est reconstituée autour de l’enfant qui affiche désormais un joli sourire et dont les yeux ont retrouvé leur éclat.
Le temps passe. Le soleil commence à basculer de l’autre côté des champs de colza et de blé non encore monté. C’est à regret que les enfants se quittent pour quinze jours de vacances. Le soir, épuisée, numéro deux ne tarde pas à s’endormir à l’étage supérieur de son lit en bois superposé. Autour de son cou, une belle balafre déjà brûne: un souvenir de cerf-volant au-dessus de la plage de Loscolo!
Il est dix heures passées quand les phares d’une voiture de marque hexagonale éclaire la façade de la longère. Les graviers crissent sous les pneus. C’est une grand-mère et le chat de sa seconde fille. La grand-mère arrive toujours comme une sorte de tornade américaine. Le chien est expédié dans le jardin et le chat, queue encore gonflée comme celle de la panthère rose après passage dans le tambour d’une machine à laver, fait le tour du propriétaire. Il retrouve ses marques et se demande qu’elle est cette grosse bête, ce gros bébé poilu qui n’était pas là lors de son dernier séjour à la campagne. Ses maîtres s’envolent pour les Antilles. Lui, il s’offre une semaine au vert.
Dimanche 17. Après le déjeuner, un couple et deux de ses trois enfants quittent la maison. Numéro trois vient de s’endormir. Fantôme, le chiot berger australien médite à l’ombre du prunus. Le chat a pris ses aises sur le divan de sophrologie et réfléchit au meilleur moyen de dévorer tout crû, Sucrette, le poisson rouge.
Le ciel est toujours aussi bleu et Stevie Wonder chante en y mettant tout son coeur. On pose les affaires chez une tante et les siens qui sont en Corse. Des fenêtres, on voit le dôme de l’église du Val-de -Grâce et on sent, quand on a l’odorat d’un Jean-Baptiste Grenouille, les odeurs fortes des fauves et des singes du jardin des Plantes et celle du crottin des petits ânes qui se promènent le long des allées du Luxembourg. Trois jours à Paris, le rêve! La maman de trois est toujours heureuse de faire partager aux siens la ville qu’elle affectionne tant et que ses parents quand elle était enfant et sa grand-mère à l’adolescence lui ont appris à aimer. Le programme est dense mais se veut assez ludique et diversifié pour emporter l’adhésion des filles. Direction la tour Eiffel. Elle n’y est montée qu’une seule fois. Elle avait pas tout à fait onze ans. Elle venait d’entrer en sixième. Tandis que sa mère, sa soeur et elle étaient demeurées dans la Sarthe, le père, lui, avait été nommé à Paris. En deux jours, il lui avait fait parcourir à pied des dizaines de kilomètres. Il lui avait montrer ce qui lui semblait essentiel: la Tour Eiffel, les Invalides avec le tombeau de l’Empereur, le Louvre en long en large et en travers, les bouquinistes des quais de la Seine, les animaux de la Mégisserie et, enfin, en cerise sur le gâteau, le château de Versailles. Il l’avait prise en photo dans la grande galerie des glaces. Elle n’ava
it plus le courage de sourire. Elle était à bout de force et quand, sur le retour, du côté du parc Monceau, il l’avait grondée parce qu’elle traînait les pieds par terre, elle avait serré les dents, essayé de trouver encore un peu d’éngerie pour marcher normalement mais n’avait rien dit!
Sous les grands pieds de la dame de fer, les militaires, le béret noir posé sur le sommet d’un crâne rasé de frais et le famas en main, se mélangent aux touristes rouges de soleil et aux vendeurs à la sauvette. La tour Eiffel comme une gigantesque tour de Babel où l’anglais jouerait la langue universelle. On se dirige vers le pilier réservé aux courageux. Trop de monde pour les ascenseurs! Les trois jours seront sportifs. Alors autant se mettre dans le bain tout de suite et prendre d’assaut les six cents marches qui mènent au deuxième étage. Les enfants ne se plaignent pas de l’effort mais de la faim et de la soif qui les tenaillent. On ne peut même pas sucer un caillou pour oublier! Numéro deux veut aller dîner au « Jules Verne ». Elle est comme ça numéro deux! On n’arrivait à peine en vue de la tour Eiffel que déjà elle demandait si on pourrait y dîner car son oncle a invité sa tante dans l’un des restaurants. On regarde Paris. On cherche les monuments. La lumière est d’or comme le silence qui ne règne pas du tout au deuxième étage où tous les latins que l’Europe compte jouent des coudes pour avancer dans la file d’attente et atteindre l’ascenseur qui les propulsera au sommet. Les gens du Nord, eux, protestent en silence. Pas de sommet pour les parents de trois. Les billets ne permettent pas d’accéder tout en haut. Pas grave! On reviendra et, cette fois, qui sait, numéro deux aura son dîner perché!
Dans le RER C que votre chroniqueuse ne prenait presque jamais quand elle habitait Paris car on peut attendre très longtemps un train, que les quais sont ouverts aux quatre vents et que le tout n’est pas très rassurant, on monte, à la station pont de l’Alma, dans un wagon d’un autre âge. On s’assied à côté d’un groupe d’anglais. Dans le lot, un couple et son enfant de neuf mois. Un gros et grand bébé tout en joues rougies par les rayons du soleil ou une poussée dentaire qui, dans les bras musclés de son papa, pousse sur ses jambes pour sauter. Il est fasciné par les filles qui lui adressent de larges sourires. Numéro un glisse à sa maman: « tu es sûre? On n’aura plus de petit frère ou de petite soeur? J’adore les bébés! ». La maman qui, dans d’autres circonstances et à condition d’avoir commencé deux ou trois ans plus jeune se serait vue à la tête d’une famille de quatre, lui répond que c’est fini et que c’est elle, plus tard, qui aura des bébés. La maman se sent vraiment en vacances. Paris, pour elle, c’est toujours un voyage!
On se laisse descendre le long du boulevard du Port Royal. On passe devant l’hôpital militaire du Val -de-Grâce et, en face, on voit la maison de Solenn. De derrière les immenses baies vertes, on aperçoit les silhouettes grâciles de jeunes gens hospitalisés. Leur esprit tombé malade a décidé de détruire le corps dont les racines se déterrent un peu plus chaque jour. On entre à l’Académie de la bière. On s’installe à une grande table en bois qui évoque les concours de lames de couteaux plantées entre les cinq doigts de la main largement écartée. Les filles dessinent. Les parents s’amusent. La mère renoue avec ses vingt ans et entraîne le père dans ses souvenirs de tavernes et de boîtes de nuit. Certain! A vingt ans, ces deux-là n’avaient aucune chance de se croiser! Quand on regarde le trio, on se dit que cela aurait été triste et que le trio valait bien le renoncement douloureux à une vie à Paris offerte en sacrifice sur l’autel conjugal!
Lundi. Un papa attaque sa journé de travail à sept heures et file avant que la huitième heure ait retenti, quelque part dans la région parisienne. Les filles veulent voir la Joconde et le Jocond (numéro deux pensait que la belle avait son animus). Numéro un travaille, à l’école, sur le plus énigmatique des sourires, version Andy Warhol. La file qui serpente sous la pyramide est telle que le trio féminin renonce. Alors, on va admirer le Palais-Royal, la Comédie française, boire un jus de fruits place Colette, rêver devant les sculptures d’Othoniel, découvrir les bijoux de la place Vendôme, monter les marches de l’Opéra Garnier où travaillait une grand-mère et s’offrir une pause à la terrasse d’un des restaurants des Tuileries. Les filles n’arrivent pas au bout de leurs glaces à la vanille. Instinct de sacrifice oblige! C’est leur maman qui les achève! Les filles prennent d’assaut les animaux du manège, les trampolines surchauffés et l’aire de jeux. Il fait chaud, très chaud.
Le ciel est toujours aussi bleu au-dessus de la rue de Ravioli (mot de numéro un). Maintenant, la maman offre à ses filles de prendre en photos les sculptures de leur choix. Le téléphone passe des mains de numéro un à celles de numéro deux et chacune attaque la sculpture par un versent différent. Les jardiniers du Louvre s’affairent: on taille, coupe, tond, plante, arrose. Les graminés des fleurs des marronniers et des platanes font, dans l’air, un voile aussi fin que celui qui passe sur les visages doux des Marie de Cranach. Les filles fatiguent. Les jambes et les pieds se font lourds. Mais contrairement à elle à leur âge avec son père, elles expriment leur envie de rentrer et de ne plus marcher. On passe devant les antiquaires du quai Voltaire. On se repose devant les galeries de la rue de Seine. On souffle en observant les photos des femmes accrochées le long des grilles du Luxembourg. On remonte la rue Gay-Lussac. Le 21 vient de leur passer sous le nez. La maman tire les filles. On descend la rue Claude Bernard. Les filles retrouvent assez de force pour courir jusqu’à la porte d’entrée et s’y battre pour en composer le code d’accès. Encore cinq étages à pied et on est arrivé. On enlève ses souliers et on contemple les ampoules.
Mardi. Le ciel est toujours uniformément bleu au-dessus du dôme de l’église du Val-de-Grâce. On est prié de quitter la place sans trop tarder car un papa a de nombreux coups de fils à passer. Les filles râlent un peu. Les six cents marches de la tour Eiffel et les kilomètres d’hier pèsent un peu dans les muscles. On traverse le Luxembourg. A cette heure matinale, calme et fraîcheur règnent encore. Des coureurs soulèvent de la poussière à chaque foulée. Les sén
ateurs ont voté la création d’embryons à des fins de recherche. Des bébés dorment paisiblement dans des landaus poussés par des nounous plus que par des mamans. Ombres et lumières jouent à cache-cache entre les arbres. Les amateurs de Taï-chi offrent une image merveilleusement reposante. Au musée du Luxembourg, passé du Sénat à la Réunion des musées nationaux, on n’attend pas. Beaucoup de personnes pensent que le musée ferme le mardi. Il est ouvert tous les jours. Les filles suivent l’exposition consacrée au peintre allemand et meilleur ami de Luther avec des audio-guides. C’est le peintre lui-même qui s’adresse aux enfants et les invite à découvrir certaines de ses toiles. Numéro un contemple longuement une Marie sans enfant et se passionne pour la symbolique des couleurs. Numéro deux est fascinée par une grande toile figurant Adam et Eve avant qu’ils ne cédent à la tentation de croquer le fruit défendu de l’arbre de la connaissance. Numéro un se demande si le premier couple de la création divine a vraiment existé. Numéro deux s’inquiète toujours de savoir si on part au ciel avec son esprit ET son corps. L’idée de continuer à vivre sans incarnation lui est insupportable!
On rejoint un papa pour un pique-nique sur les marches de la grande galerie de l’évolution. Le musée et les serres restaurées sont fermés. On va saluer les animaux, vertébrés et non vertébrés, de la ménagerie. On apprend que le zoo est le deuxième plus vieux dans le monde. L’éleveur nous transmet des tas de choses passionnantes sur la vie des grands singes en général et des orang-outans en particuliers. La maman est toute surprise d’entendre que Nénette est sous pilule contraceptive. Elle se rappelle très bien avoir passé de longs moments à admirer le fils de Nénette quand il était encore un gros bébé. Elle avait, alors, une vingtaine d’années. Les enfants s’amusent dans le labyrinthe taillé dans le buis qui mène à la gloriette. La maman est prise de vertige en admirant les cîmes des arbres centenaires.
Mercredi, dernier jour à Paris. On range tout et on file profiter de l’aire de jeux du Luxembourg et s’offrir des vols d’oiseaux depuis les balançoires mythiques. Il est trop top. Tout dort encore! La maman décide alors de prendre un petit bain au pays des souvenirs de sa vie d’étudiante, quelque part du côté des rues Bréa et Vavin. Dans la rue Vavin, on a le bonheur de pouvoir embrasser et bavarder avec le « petit » frère d’une de ses amies de première année de faculté. Les enfants s’impatientent. Presqu’à regret, on se dit au revoir et on se promet de mettre sur pied un déjeuner. Un poussin tamponné sur la main et on rentre dans l’aire de jeux. Les filles affectionnent surtout les perches sur lesquelles on monte et qui vous font décrire, dans l’espace, une grande boucle. Un bon quart d’heure, la maman aide les plus jeunes à tirer, dans le rail, les perches. Puis, elle cède sa place à un animateur d’un centre aéré. Malgré l’heure tardive, les balançoires ne fonctionnent toujours pas. On les remplace par une glace gargantuesque dégustée près du grand bassin. Les enfants guettent le retour des voiliers. Pour la toute première fois, la maman prend le temps de les observer vraiment et elle réalise que tous sont différents.
On rentre à l’appartement. Une odeur de plastique brûlé pénètre dans les pièces. On se penche au balcon. Les camions de pompiers arrivent. Les lances sont sorties. Tout le haut de la rue Claude Bernard est bouclé. Le feu a pris dans un atelier, en rez de chaussée. Les forces de l’ordre ont évacué les habitants de deux immeubles. Un policier relève les noms et les adresses. Un photographe prend des clichés. Une vieille dame est en état de choc. Deux jeunes gens sont pieds nus. Une odeur âcre s’échappe de la cour. La voiture du papa de trois était prise dans le périmètre bouclé. Il obtient de quitter la zone. Numéro un a eu peur et longtemps encore elle se soucie de la santé des résidents des immeubles.
On se gare près de l’ambassade de Bulgarie et on entre dans le musée du quai Branly que la maman de trois affectionne tant et dont son mari n’avait encore jamais découvert l’architecture originale et toutes les approches innovantes pour rendre la culture accessible à tous. L’exposition sur les vêtements des femmes du Moyen-Orient, de la Syrie jusqu’au mont Sinaï, passionne les deux petites filles. Dans sa très belle présentation, Christian Lacroix évoque le souvenir de ce grand-père, grand voyageur, qui envoyait des pays d’Orient des cartes postales qui faisaient rêver un petit arlésien. Le commissaire de l’exposition, une femme, attire l’attention sur le fait que l’art de la broderie, l’expression d’une pensée par la couture vont se perdre dans des pays où le noir devient l’unique couleur.
Il est tard, bien plus tard que ne l’aurait souhaité le papa de trois. Il est temps de rentrer, de mettre, à nouveau, plus de 110 kilomètres entre soi et Paris. Leur retour est allègrement fêté par numéro trois et fantôme. Le soir, les enfants s’endorment heureuses. Elles ont beaucoup aimé leur séjour parisien mais, plus que tout, elles se félicitent que leur papa soit venu à bout des neufs trous dans les boudins de la piscine pieuvre. Monter six cents marches, c’est bien! Se baigner et plonger pour récupérer des cuillères au fond de l’eau, c’est mieux!
Les fêtes de Pâques sont passées. La belle nappe blanche, maculée de tâches de chocolat et de sauce de gigot, attend son heure dans le tambour de la machine à laver le linge. Sur les bords des fenêtres, les géraniumes s’épanouissent. Ce matin, le ciel était encore et toujours bleu comme dans une toile de Klein. Le trio a eu du mal à émerger pour gagner le centre aéré. Une affreuse mouche, grosse et bruyante comme un B52, tourne dans le bureau de la maman de trois. Comme il fait beau, elle décide de ne plus y penser!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Ta plume chaleureuse et spontanée diffuse de telles émotions, met en valeur le Bonheur des Petits et Grands Moments… J’adore !
Merci! Tes commentaires me sont chers! Toujours! A quand notre escapade dans notre café préféré?