Chronique sud-américaine de La Paz à Puno

Communisme-mi-amor.pngLe goûter d’anniversaire des six ans de numéro deux s’éloigne. Le baptême de numéro trois approche à grands pas. Les enfants ont déjà presqu’entièrement dévoré leurs chocolats de Pâques. Les vacances sont finies. Les sorties scolaires annoncent la fin d’une année bien remplie. La chaleur d’avril a eu raison des délicates clochettes de muguet si chères à tous les amoureux nostalgiques de la faucille et du marteau. Le lilas et la glycine sont, eux aussi, en fin de parcours. Les premières roses rouges sont apparues au fond du jardin, entre les bras vigoureux du lierre, à côté du bureau d’un papa.

prince-william-kate-middleton.jpgKate et William ont mis le feu à la Grande-Bretagne. Anglais, Gallois, Ecossais, Irlandais du Nord et, au-delà des océans, Canadiens, Australiens et même ces impossibles Néo-Zélandais ayant claqué la porte du Commonwealth, tous étaient à l’heure des nôces, à l’heure d’une monarchie voulant offrir d’elle-même l’image de la modernité en ce début de XXIième siècle et faire oublier l’immense gâchis d’un autre grand mariage célébré trente ans plus tôt.

Mariage Charles et Diana 1981.jpgKate et William se sont dits « oui ». Elle n’a pas souhaité lui être obéissante. Il n’a pas souhaité qu’elle lui passe l’anneau nuptial au doigt. La reine Elizabeth souriait presque de toutes ses dents à la foule depuis son carrosse. Le prince consort, monsieur portant encore beau du haut de ses quatre-vingt-dix ans, faisait du gringue à Philippa, la ravissante soeur de la délicieuse jeune mariée. Comme toujours, Harry était coiffé comme qui vient juste de sortir de son lit. Le duc d’York faisait ostensiblement la tête. L’absence de son ex, persona non grata dans la famille Windsor, devait le chagriner fort. Heureusement, la mère était representée en la personne de ses deux filles portant sur le dessus de la tête des sortes de maisons pour les oiseaux dont le poids leur valait d’être à deux doigts de perdre l’équilibre à chaque mouvement. En découvrant ce qui leur tenait lieu  de bibi, Karl Lagerfeld qui n’aime rien de plus que dire des méchancetés et cultiver son accent germanique comme Jane Birkine travaille à ses fautes de genre avait manqué s’étouffer.  Zara, la rebelle, digne héritière de sa mère, la princesse Anne, affichait et son percing lingual et son fiancé, Mike Tindall, un rugbyman aux traits du visage retravaillés à coups de mêlées et de plaquages! Charles et Camillia semblaient détendus et la maman de trois était fascinée par ce fils, ce futur roi d’Angleterre donnant l’impression d’avoir tout à fait absout son père et sa belle-mère, réussi le tour de force de construire une relation complice avec un père élevé par une armada de nanies quand sa royale mère sillonnait son royaume et de s’être attaché à l’éternelle maîtresse de son père. Tout le monde guettait un faux-pas des récents anoblis et il n’était pas venu.

mariage_kate_william_youtube.jpgEn découvrant les images de l’endroit où ce jeune couple allait vivre, la maman de trois avait songé qu’à s’y ennuyer si ferme, la couronne d’Angleterre pourrait rapidement se préoccuper d’un baptême! Jean-Paul 2 a été, finalement, béatifié et Ben Laden est mort. Au Rajasthan, un adolescent de douze ans est devenu maharadjah après la mort de son grand-père. Il semblerait que l’Elysée soit en passe de se mettre en mode layette rose ou bleue. Quel heureux hasard! Selon un spécialiste, l’annonce d’une grossesse vaudrait au président cinq points de plus dans les sondages. Comme l’écrivait un ami de votre chroniqueuse: il faudrait alors au futur papa des quintuplés!

Tour du monde 037.jpgQuittons, le temps d’un billet, la vieille Europe. Oublions les titres qui s’étalent à la une de nos journaux et magazines favoris. Voyageons dans le temps et dans l’espace. Les boites noires du vol Rio-Paris ont été retrouvées, alors, attachons nos ceintures et envolons-nous, direction l’Amérique du Sud, fin avril 2001.

Plus de cinq mois qu’ils voyagent. De la capitale de La Paz, celui qui a convaincu sa toute jeune femme de renoncer à tout pour vivre son rêve de voyage au long cours, écrit : »telle une coulée de lave, les constructions ont envahi le haut plateau andin avant de se déverser dans la cuvette de la mégapole. Au centre, l’éruption récente de quelques gratte-ciel apparaît comme une verrue dorée au coeur de la pauvreté. L’argent de la coca circule dans les bureaux et dans tout le corps administratif, paralysant l’économie du pays. Mais la contestation monte et la présence grandissante des forces de l’ordre dans la rue n’est pas de bonne augure. Le blocage de toutes les villes est annoncée pour la 1er mai. Il ne nous reste plus que quatre jours pour quitter les lieux avant d’être astreints à résidence pour une durée indéterminée. Alors, dans deux jours, nous gagnerons Sorata afin de ne pas être mêlés aux probables affrontements entre la population bolivienne et l’armée. »

carte Bolivie Sorata.GIFLe 28 avril, nous partons pour Sorata. Le bus est plein à craquer. Dans l’allée centrale, de nombreux paysans sont entassés debout et des femmes sont assises sur de gros sacs de toile colorée. A l’avant, un bébé se met à pleurer dans les bras de sa grand-mère. Du fond du bus, sa mère envoie un biberon. Peine perdue, l’enfant le boude. Ses cris redoublent, cris largement couverts par les hurlements du journaliste sportif commentant un match de football. Le nourrisson est porté de bras en bras jusqu’au sein de sa mère. On ne l’entend plus. Si seulement, le commentateur, à la radio, pouvait, lui aussi, se taire! A chaque arrêt, de nouveaux passagers grimpent et finissent par se trouver une place. Nous nous disons que nous sommes des princes, assis sur nos sièges, même si nos genoux s’écrasent sur les fauteuils avant et si Stéphane disparaît parfois derrière le postérieur d’une vieille dame rendu imposant par la superposition de jupons sous son ample jupe. Lors des pauses pipi dans des décors arides, où ne pousse aucun arbre dont le tronc pourrait jouer les paravents, votre chroniqueuse avait envié ces femmes qui s’installaient n’importe où et étaient parfaitement décontractés au milieu de leur volumineuse jupe!

Sorata.jpgAprès avoir eu du mal à venir à bout des lacets en montée, le petit bus et tout son équipage (hommes, femmes, enfants, chèvres, moutons, cochons, poules) descend raide sur une route défoncée en longeant un précipice. C’est le moment de dire ses prières ou de penser à autre chose
! Votre chroniqueuse se rappelle alors la perversité d’ânes grecs qui, sur le sentier très escarpé, longeant les falaises abruptes, d’une île célèbre pour ses papillons, s’amusaient à faire verser leur monture côté mer. La pluie qui s’était mise à tomber violemment a cessé. Le soleil éblouit les montagnes verdoyantes, les carrés de terre cultivés et donne aux nuages une blancheur irréelle. A la descente du bus, il nous semble arriver dans l’univers dépeint par Gabriel Garcia Marquez dans « Cent ans de solitude ». L’atmosphère est aux colonies tropicales, aux nuits enfièvrées par la chicha, à la danse et aux amours clandestines qui, le temps d’une nuit, font tout oublier. Nous déposons nos sacs à la résidential Sorata et nous nous installons au dernier étage De notre grande fenêtre aux barreaux en fer forgé apparaît une ruelle aux maisons colorées. L’impression que procurent les rayons de soleil sur une maison orangée rappelle ce que Proust décrivait au sujet du petit pan de mur jaune du tableau de Vermeer « Vue sur Delft ».

vue sur delft.jpgNotre petite porte en bois blanc s’ouvre sur un balcon dominant les toits et permettant d’embraser en un seul regard les palmiers de la place principale, l’église et les montages à la fois douces et impérieuses. L’heure est encore à la pluie et aux odeurs d’orage. Dans le jardin, fleurs et arbres poussent dans un désordre anglais: arômes et rosiers, avocatiers et bougainvilliers, hibiscus et marguerites, orangers et citronniers. Les colibris suspendent leur vol au-dessus des corolles. Nous suspendons le nôtre dans cet endroit envoûtant.

cent ans de solitude.jpg1er mai. Parce que nous avons oublié de demander une extension de visa à La Paz, nos jours en Bolivie sont comptés. Il faut que nous passions au Pérou rapidement. Adieu donc nos rêves de belles promenades autour de Sorata, les Yungas à peine entrevus, le calme de ce petit paradis. ce matin, les bus arrivent au compte-gouttes et avec plusieurs heures de retard. A l’office, on nous explique qu’hier, les conducteurs ont fait la fête toute la journée et toute la nuit. Nous constatons pas nous-mêmes la fin des festivités du 1er mai dans les villages traversés. Les femmes soutiennent des hommes en costumes incapables de mettre de marcher. Sur les places, la fanfare continue de jouer et les femmes de danser en faisant virevolter leur jupe aux cents jupons. Nous arrivons à Copacabana en fin de journée après avoir changé de bus au bord de la route et emprunté un bateau pour passer d’une rive à l’autre du lac Titicaca. Une fois de plus, nous avons droit aux hurlements du journaliste sportif commentant un match de football. Comment oublier les GOOOOOOOOAAAAAAAALLLLLLLL criés jusqu’à ce que le commentateur soit au bord de l’asphyxie! Dix ans après, la seule évocation de ces moments suffit pour que la maman de trois sente une onde de choc se déplacer violemment des pavillons de ses oreilles jusqu’au fond de ses tympans et les faire vibrer à toute volée telles les cloches de la basilique de Rome le jour de Pâques!

copacabana plage.jpgLa Copacabana bolivienne n’a rien à voir avec la grande plage brésilienne, ses airs de bossa nova et ses jeunes magnifiques créatures, malheureusement, de moins en moins authentiques et de plus en plus refaites par des chirurgiens esthétiques sans scrupules. La Copacabana qu’il découvre est une jolie ville rendue célèbre pour sa vierge aux miracles drainant dans son voile lavé à l’eau bénite toute une population de fidèles et de commerçants de la foi.

copacabana.jpgA Puno, au bord du lac Titicaca, nous optons pour une sortie de deux jours sur le lac. Cette petite escapade lacustre ne nous laissera pas de souvenirs qui ne périssent pas mais servira de prétexte à un mail assez caustique écrit par Stéphane: « L’agitation à La Paz n’est plus qu’un vague souvenir dans les jardins de ce vieil hôtel colonial de Sorata. Nous nous offrons quatre jours de repos dans l’atmopshère de « cent ans de solitude ». Puis, nous quittons ce village perché entre Cordillère et forêt tropicale pour rejoindre le lac Titicaca, véritable mer intérieure dormant à plus de 3800 mètres d’altitude. Le village de Copacabana nous accueille pour un soir et nous fêtons notre dernier jour en Bolivie en compagnie de trois jeunes cyclistes bretons réalisant le projet fou de joindre Los Angeles à Ushuaia en en comptant que sur l’hospitalité des locaux. Ca, c’est l’aventure! Rien à voir avec le tourisme à la sauce péruvienne que nous avons testé pour vous et dont voici une recette simple:

Prenez une dizaine de gringos en bonne santé financière;

Promettez-leur de découvrir les plus belles îles du lac Titicaca;

Accordez-leur une remise d’au moins dix pour cent par rapport au prix départ;

Bourrez-les dans un bus avant de les bourrer dans une barcasse qui circule à 12km/h;

Laissez-leur le temps d’apprécier la couleur verdâtre de l’eau pendant une heure avant de découvrir l’incroyable: une île flottante (non, pas le déssert de grand-mère) composée de brins de jonc entrelaçés formant une plate-forme insubmersible;

Laissez-leur le loisir de compter le nombre d’indigènes (une petite dizaine) et de petites maisons typiques (quatre exactement);

Débarquez-les ensuite sur ce sol spongieux pour rejoindre les 12 millions d’autres gringos déjà entrain de bouder l’artisanat local;

Quand ils ont tous visité le musée de volatiles empaillés, chargez-les à nouveau sur le navire pour quatre heures de navigation sans autre intérêt que celui de carboniser à petits feux;

Débarquez-les sous un soleil de plomb sur une grande île qui ne flotte pas cette fois (cela ne veut pas dire qu’elle coule!) et donnez à chaque étranger un numéro;

Tirez au hasard un de ces numéros et attribuez-lui une famille locale;

Procédez de même jusqu’à total épuisement des numéros et insolation avérée;

Assurez-vous que chacun ait rejoint son unité touristique, ingurgite sa soupe de légumes et son mélange d’oeuf, de riz et de pommes de terre frites;

Conviez-les ensuite à rejoindre le pélerinage vers les lieux sacrés, tout en haut de la colline;

Fournissez-leur un petit guide rigolo et trilingue pour qu’il leur révèle le nom de l’île en Espagnol, Anglais et Quechua;

N’oubliez pas de couper l’électricité du village pour que chacun vive l’aventure d’une soirée à la bougie avant de repartir le lendemain pour une île d’un intérêt légèrement inférieur;

Offrez-leur encore six heures de navigation retour;

N’oubliez pas un dernier petit coucou aux îles flottantes;

Débarquez tout le monde dans la joi
e et la bonne humeur;

Enfournez une dernière fois dans le bus;

Laissez mariner un peu et servez bien cuit à l’hôtel de départ!

lonely-planet-perou-4eme-edition.jpgSi vous oubliez les ingrédients garantissant la réussite de la recette, pas de panique, elle est dans tous les guides, du Lonely Planet au Handbook en passant par le Routard, « c’est une ballade à ne pas manquer ».

lac titicaca.jpgNe croyez pas que nous ayons gardé un goût amer de cette recette. Nous avons apprécié la réelle magie des lieux, la merveilleuse hospitalité des îliens et gagné de nouveaux amis avec lesquels nous prendrons le train pour Arequipa ».

le_caveau_de_famille.jpgDix ans après, un mariage royal plus loin, une béatification acquise, un vieux monstre exécuté, deux suédois encore dans la force de l’âge essayant, dans un caveau familial, de concevoir un enfant mi champs mi macadam, les souvenirs du voyage se sont fixés dans une mémoire commune. Ils ont infusé. Les amis rencontrés cette année-là le sont presque tous encore et, parmi eux, Natalie qui vit avec les siens à Singapour et est la marraine aimante et présente de numéro deux. Le voyage a changé, pour toujours, la vision que deux êtres avaient de leur planète et la maman de trois n’a plus jamais pris une douche ou laisser inutilement couler de l’eau sans songer au manque cruel d’eau, aux corvées d’eau dont s’acquittent les filles et leurs mères et aux batailles sanglantes pour la maîtrise de l’eau.

bapteme.jpgC’est encore d’eau dont il sera question dimanche 8 mai quand numéro trois, âgé de trois ans et cinq mois, recevra l’eau du baptême et deviendra, officiellement, enfant de Dieu. Prions tous pour qu’il consente, alors, à laisser sur le banc sa nouvelle passion: une magnifique pince Molly, cadeau paternel!

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Anne-Lorraine Guillou-Brunner

1 commentaire sur “Chronique sud-américaine de La Paz à Puno

  1. Les îles du lac titicaca sont vraiment magnifiques. C’est le lieu à ne manquer sous aucun prétexte. J’en garde d’ailleurs un souvenir très émouvant…

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