Chronique d’une anti gestion de l’enfant

 

voutch.jpgEntre les rayons d’un supermarché, les allées d’un marché, le vestiaire d’une piscine, le parking d’une école, entre deux pages glacées d’une revue féminine, deux femmes se rencontrent. Elles s’embrassent, prennent des nouvelles l’une de l’autre et, très vite, l’une demande  à l’autre : « tu l’as géré ? » et l’autre de lui répondre, avec un grand sourire, « oui, sans souci » ou alors, avec un air chagrin, « non, pas du tout ! ».

 

 

 

régime.jpgA votre avis de quoi ces deux femmes peuvent-elles parler ensemble ? De leur budget ? De leur dernière réunion de travail ? Du dernier régime à la mode ? Du contenu de leur réfrigérateur ? Non, pas du tout, ces deux femmes parlent d’un enfant. Mais, on ne gère pas un enfant ! Un enfant est, par essence, ingérable, aussi ingérable que cet amour qui foudroie votre ciel, transperce votre cœur, fait trembler vos jambes, accélère les battements de votre cœur et vous laisse pantelant !

 

 

 

journée femme.jpgDans mon cabinet, j’en reçois un certain nombre de mamans – des mamans encore balbutiantes, des mamans confirmées, des futures mamans- et, étendues sur mon divan,  elles me parlent souvent assez vite de la gestion de leurs enfants. Je suis là pour les détendre moralement et physiquement, pour les aider à découvrir, réveiller, fortifier en elles tout ce gisement de ressources personnelles qui leur permettra de dépasser leurs peurs, gagner en confiance et aborder le présent et l’avenir dans le calme et la sérénité. Mais, quand elles évoquent cette volonté de « gestion » des enfants, je leur dis, avec gentillesse, qu’il est nécessaire qu’elles renoncent à ce désir de « gestion » car il est voué à l’échec. Je les amène à réfléchir au sens et au poids du verbe « gérer ». Nous utilisons de plus en plus de mots sans prendre vraiment la mesure de leur force, sans les écouter résonner en nous, sans réaliser qu’à les répéter sans cesse ils agissent en profondeur sur notre conscience et sur celle des autres.

 

 

 

coco 1.jpgComment ne pas être vite perdu, dépassé, tendu si on raisonne l’éducation de l’enfant en terme de gestion, quand, par ailleurs, on a déjà tant de choses à gérer : gérer les missions qui nous incombent dans notre métier, gérer notre temps pour l’utiliser au mieux sans en devenir l’esclave, gérer notre alimentation plutôt que notre poids, gérer les tâches domestiques, gérer notre budget. On ne peut pas gérer son enfant. Un enfant, on le conçoit plutôt qu’on le « fait ». On le porte. On le met en monde. On le nourrit. On le prend dans ses bras. On le berce. On l’endort. On lui parle. On le veille quand il est malade. On le console quand il se fait mal. On lui raconte des histoires avant de le mettre au lit. On guide ses premiers pas. On garde par écrit ses mots d’enfant. On glisse une pièce sous son oreiller quand il a perdu une dent. On entretient aussi longtemps que possible, aussi longtemps qu’il en a envie les mystères merveilleux qui entourent les cadeaux au pied du sapin, les œufs de Pâques dans les jardins, la petite pièce dans la boîte à dent. On joue avec lui. On lui organise des journées avec ses amis. On fête ses anniversaires. On surveille son travail. On l’accompagne à ses activités sportives, musicales. On se fâche quand c’est nécessaire. On lui dit « non » des milliards de fois. On ne cède pas à tous ses caprices. On lui transmet des valeurs fortes telle que la tolérance, le respect, l’égalité, la bienveillance, le non jugement, la ponctualité. Jour après jour, c’est son départ qu’on prépare.

 

 

 

sculpture grossesse.jpgNotre société veut aller vite et, tout, autour de nous, est imaginé pour que nous succombions à la vitesse. Si une femme porte un enfant pendant neuf mois dans son utérus ce n’est pas par hasard. La nature veille au grain. Elle permet à la greffe de prendre. Ces neuf mois sont nécessaires pour que l’enfant murisse dans l’esprit de ses futurs parents. Si le corps de la femme se modifie, c’est pour lui montrer que plus rien ne sera jamais comme avant et pour permettre à l’homme qui l’accompagne, qui est, normalement, partie prenante dans ce projet d’enfant, de comprendre que quelque chose se passe, que quelqu’un se prépare, qu’à côté de leur couple, il y aura bientôt une famille.

 

 

 

Voutch 7.jpegOn voudrait « gérer » son enfant car ce serait rassurant. Mais, ce n’est ni souhaitable ni possible. Par ailleurs, comment grandiront ces enfants qui auront toujours ou si souvent entendu leurs parents parler d’eux en disant qu’ils les géraient ? Même si la plupart des parents qui disent « gérer » les enfants, pensent en réalité à tout ce qui entoure l’enfant : le temps scolaire et péri-scolaire, les vacances, les loisirs, la rentrée des classes, les anniversaires, l’entrée, l’installation et la sortie de l’adolescence, l’orientation en vue d’un métier, les chagrins d’amour (le pire pour les parents tant ils sont impuissants !), les stages, il n’en reste pas moins que l’enfant entend qu’il est « géré » et que le parent pense qu’il est « gestionnaire » de l’enfant, du temps qui gravite autour de l’enfant.

 

 

 

Arrêtons-nous un moment et analysons le sens des verbes que nous employons.

 

Le larousse, nous donne la définition suivante du verbe « gérer » :

 

  • Administrer une fortune, un bien, conformément aux intérêts de celui qui les possède : Gérer les biens d’un mineur.
  • Être le directeur, l’administrateur d’une société ; administrer : Gérer un commerce.
  • Assurer la gestion, l’administration d’un stock de marchandises, d’informations, de données informatiques, etc.

 

Franchement, cela ne correspond en rien à l’éducation d’un enfant ! Réfléchissons aussi à la portée du verbe « faire ». Le Larousse en offre une trentaine de propositions. Je n’en ai retenu que cinq :

 

 

 

  Constituer par son action, son travail, quelque chose de concret à partir d’éléments, ou le tirer du néant ; fabriquer ; réaliser, créer : On fait le pain avec de la farine. Faire un film.

 

  Produire, créer, provoquer quelque chose, en parlant de quelque chose : Le bois fait de la fumée en brûlant.

 

  Fournir un produit agricole : Ici on fait du maïs.

 

  Faire le commerce d’un article, proposer à la clientèle une marque, un service, etc. : Crémier qui fait aussi les fruits.

 

  Être à l’origine de quelque chose : L’union fait la force. Il fera votre bonheur.

 

 

 

film-metropolis7.jpgComme on ne gère pas un enfant, on ne le fait pas plus. Ou alors il s’agit encore d’un raccourci et faire un enfant voudrait dire qu’il est une émanation tangible de l’amour que ressentent deux êtres qui s’unissent physiquement.

 

 

 

temps modernes.jpgCessons de « faire » nos enfants. Abandonnons le souhait de les « gérer ». Nous ne sommes ni des ouvriers de la conception, ni des gestionnaires des enfants. Concevons-les dans l’amour.  Aimons-les.  Respectons-les. Bornons leur chemin et laissons-les s’envoler quand ils sont prêts !

 

 

 

couvprophetebassedef.jpgLe poète Khalil Gibran parle magnifiquement bien de notre rôle de parents. Je relis ce texte très régulièrement et je le donne à lire à certaines de ces mamans angoissées, perdues, en quête, parfois désespérée, de maîtrise qui viennent me voir.

 

 

 

Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

 

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.

 

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.

Anne-Lorraine Guilllou-Brunner

 

La première sculpture a été réalisée par mon amie Constance Chabrières-Puech et la seconde par le sculpteur Claudio Belle.

 

 

 

3 commentaires sur “Chronique d’une anti gestion de l’enfant

  1. Chacun a sa place et tout ira bien. J’aime beaucoup lorsque tu écris « bornons son chemin ». C’est tellement vrai. Merci beaucoup pour ce très beau billet, rempli d’amour. Grosses bises.

  2. Chères Chris et Lisette-Séverine, un grand merci pour vos messages et les liens sur vos pages personnelles. Comme je vous l’ai écrit, ce billet a muri longuement en moi avant que je me sente prête à l’écrire. Je milite vraiment pour une non fabrication et une non gestion des enfants. Pour autant, je ne cherche pas à heurter celles et ceux qui sont pris dans cette logique, seulement leur montrer à voir qu’il est possible, moins usant et plus bénéfique d’envisager l’enfant autrement.

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