Vous avez grandi entre une mère catholique pratiquante et un père devenu athée après avoir viré sa cuti de petit breton nourri au sein des pardons et des calvaires. Votre père n’a jamais « mangé du curé ». Il avait beaucoup d’estime et d’affection pour certains pères auxquels il aimait à servir du poulet à la diable. Votre père n’aurait pas aimé que votre mère, votre sœur et vous soyez en retard à la messe dominicale. Il avait plaisir à vous accompagner à la veillée de Noël dans le Gard et s’il n’avait pas été tant complexé de chanter faux, alors il aurait donné de la voix pour entonner « les anges dans nos campagnes » ou le « minuit chrétien ». Votre père offrait des ouvrages à votre mère qui a été, un temps, animatrice dans sa paroisse avant de jeter l’éponge car elle trouvait qu’on cherchait trop à l’accaparer. Votre père s’était passionné pour toutes les religions du livre. Dans l’une des bibliothèques de la vieille maison gardoise, le Coran, le Talmud et la Bible voisinent sur la même étagère. Votre père aurait trouvé navrant que vous ne connaissiez pas les textes fondateurs de la civilisation chrétienne, que vous ne soyez pas capables de comprendre l’iconographie religieuse, que vous n’ayez jamais entendu parler de Saint Côme et de Saint Damien, que vous n’ayez pas intégré les guerres de religion, l’Inquisition, les conflits entre Israël et la Palestine, le drame libanais, l’horreur des génocides arménien et juif.
Votre mère, de son côté, a connu plusieurs crises de foi. Elle a douté et ce doute a été pour elle aussi douloureux que les quarante jours de jeûne dans le désert de Jésus soumis à la tentation par des forces obscures. Votre mère n’aurait pas compris que vous ne vous mariez pas à l’église. Votre mère aimait, quand vous habitiez une propriété dans la Sarthe qui possédait sa chapelle, qu’un ami de la famille, un abbé, vienne y dire la messe. Alors, on sortait les habits sacerdotaux datant du dix-neuvième siècle. On chassait les toiles d’araignée dans les coins et les recoins. Votre mère était alors transportée dans ses souvenirs, quelque part dans l’Eure-et-Loire, à Belhomert. Le dimanche, la famille se rendait à l’office et avait son banc à l’église. Dans ces moments-là, votre mère renouait avec son enfance et elle aurait pu parfaitement rejouer « le diable par la queue », un film dont votre sœur connaissait à huit ans toutes les répliques sur le bout du doigt. Comme, elle possédait aussi les meilleurs passages de « Rabbi Jacob ».
Vos trois enfants ont reçu le baptême. Votre aînée, dans l’église Saint Saturnin, celle-là même où plusieurs membres de la famille ont reçu de nombreux sacrements. Votre cadette et votre benjamin ont été baptisés dans le Loiret, dans la très jolie église de votre village. Vous leur avez choisi des marraines et des parrains placés sous le signe de l’œcuménisme : une marraine protestante, un parrain orthodoxe roumain, une marraine orthodoxe libanaise, une marraine et deux parrains catholiques. Vos enfants ont grandi. Le temps passait et, tous les ans, en septembre, votre mère vous demandait, après que vous lui ayez dressé la liste exhaustive des activités musicales et sportives de votre trio, si vous aviez songé à l’éveil à la foi et au catéchisme.
Cette année, enfin, vous avez franchi le pas. Vous avez inscrit vos filles au caté et votre fils à l’éveil à la foi. Lors de la réunion de rentrée à la paroisse, on manquait de mamans (pourquoi toujours des mamans ?) pour encadrer les activités. Une de vos amies animait depuis plusieurs années déjà l’éveil à la foi, alors vous vous êtes proposée de l’aider. Vos trois enfants ont aimé ces rendez-vous du mercredi ou du samedi matin et vous, vous avez recommencé à arroser plus en profondeur les arbustes de votre jardin spirituel. En même temps est revenue l’envie de marcher sur le chemin de Saint Jacques, de mettre vos pas dans ceux de tous ces millions de pèlerins qui vous ont devancé, de sentir le souffle de l’espoir et de l’espérance. Vous avez senti encore plus de cohérence en vous.
Le dimanche 25 mai, votre fille aînée communiait pour la toute première fois. La veille, la famille et les amis avaient commencé à arriver. Votre petite fille était si heureuse de retrouver son parrain qu’elle n’avait pas vu depuis 7 ans ! La complicité entre son papa et son parrain qui portent tous deux le prénom de Stéphane est si évidente, naturelle que vous vous êtes demandée comment sept années avaient pu s’écouler sans une rencontre entre les deux amis qui se sont connus pendant leur service militaire effectué en qualité d’officier juriste à Fort-de-France en Martinique. Le samedi après-midi, tandis qu’un papa, le mari de la marraine, emmenait les filles faire des emplettes pour la fête des mères, la marraine et vous alliez à l’église pour aider à la préparation de la messe : fleurir, dresser et décorer l’autel, répéter les chants. Il faisait beau. Le soleil pénétrait par les vitraux modernes. Une grande sérénité régnait.
Vous étiez émue que votre plus ancienne amie soit là. Vous vous connaissez depuis l’âge de cinq ans. Vous vous êtes rencontrées à la Martinique et malgré les aléas de la vie, vos nombreux déménagements, vos parents ont fait en sorte que l’amitié dure entre vous. Soline était présente à votre communion solennelle, dans la Sarthe. Vous avez des photos dans les albums rangés dans un placard du petit salon de la maison de Pont. Vous vous trouviez hideuse avec l’aube, le voile et la croix en olivier suspendue autour du cou. Vous détestiez vos chaussures blanches. Vos cheveux pendaient lamentablement de part et d’autre de vos épaules. Soline était habillée en bleu marine. Une photo vous immortalise devant les grilles de la cathédrale du Mans. Vous vouliez bien communier mais vous ne vouliez pas vous marier avec le Seigneur. Vous ne vous rappelez pas si, déjà, vous ne croyiez pas en la présence réelle. Vous vous rappelez une eucharistie avec Soline dans une petite église du Lot. Dehors, il faisait une chaleur accablante. Sa grand-mère maternelle qui ne badinait pas avec les bonnes manières et la tradition vous avait conduites à la messe. Soline avait encore un peu de confiture de framboises au bord de la bouche. Les hosties avaient un goût de poussière. On ne devait pas souvent célébrer la messe dans ce lieu. Vous étiez des enfants. L’hostie, pour vous, était un morceau de pain qui nourrit l’esprit et en aucun cas le corps et le sang du Christ mort pour le rachat de vos péchés et le salut du monde.
Le soir, après le dîner, les amis et la famille avaient rejoint qui sa chambre d’hôtel qui son gîte qui sa roulotte. Une mamie et un neveu étaient restés. On avait essuyé des verres jusqu’à minuit. Dans la nuit, la future communiante avait quitté son lit pour rejoindre celui de sa mamie. Vous vous êtes levée avec le jour pour vous occuper de l’apéritif, du déjeuner et des tables. Vous aviez aussi bon espoir de pouvoir vous évader dix minutes pour quitter votre tenue de sport et vous maquiller un peu ! Profitant de la promenade matinale avec le berger australien, vous avez ramassé de quoi décorer la pièce montée que votre fille avait souhaitée que vous réalisiez vous-même : brins d’orge vert, feuilles de menthe sauvage et petites fleurs blanches. La veille, vous avez confectionné les quatre gâteaux de taille différente et vous les avez nappés d’un glaçage au chocolat. Maintenant, vous collez les macarons autour des gâteaux. Vous enfoncez les brins d’orge sur le niveau supérieur, y nichez un ange en terre cuite offert par une grand tante à votre fils pour son baptême et décorez les autres étages de feuilles de menthe et de fleurs blanches. Cela fait des jours et des jours que vous réfléchissez à l’élaboration de ce gâteau. Vous avez craint de ne pas y arriver mais quand votre fille le découvre, se jette à votre cou et glisse à votre oreille : « maman, je suis heureuse de faire ma communion et je suis heureuse que tu m’aies fait mon gâteau », vous êtes à la fois soulagée et comblée !
La petite fille enfile une jupe en dentelles blanches rapportée par sa tante maternelle pour vous d’un séjour en Martinique et un haut gris avec un plastron blanc, également un cadeau de votre sœur. Vous attachez autour du cou de votre fille la chaîne avec la médaille de baptême que sa marraine et son parrain lui ont offerte le 6 juin 2004. Elle représente la croix camarguaise. Vous quittez la maison avec votre fille qui va répéter une fois encore à l’église avant le début de la messe. Vous êtes émue, déjà, en montant les marches qui conduisent à l’église située sur les hauteurs du village. La chaleur monte en même temps que le soleil dans le ciel. Sur le devant de l’autel, la marraine de votre fille a collé, hier, les fleurs coloriées par les enfants le jour de la retraite. Dans les vases, les lys achetés par un papa se mêlent aux arums et aux pivoines. La messe commence. Les enfants remontent l’allée centrale avant de prendre place sur les premiers bancs. La marraine et le parrain arrivent alors que la messe a commencé. Ils ont eu du mal à trouver le village. Le GPS avait perdu le Nord !
Le père Didier s’adresse régulièrement aux enfants et fait sourire l’assemblée. L’homélie porte sur l’amour qui, en lui même, n’a pas d’existence et ne se révèle qu’au travers de témoignages, d’attentions et de gestes. Les paroles du Père se fraient un chemin dans tous les cœurs. L’émotion est forte. On a associé à cette messe un papi et une arrière-grand-mère partis depuis peu. La jeune communiante a souvent évoqué son papi pendant cette année de préparation à la communion. A la fin de la célébration, les enfants se tournent vers l’assemblée et chantent, pleins d’allégresse, « ne rentrez pas chez vous comme avant. Ne vivez pas chez vous comme avant. Changez vos cœurs ! Chassez vos peurs ! Vivez en hommes nouveaux ! » Vous rentrez chez vous et, en effet, vous ne vous sentez plus tout à fait comme avant. Vous aimeriez que, dans l’assemblée, tous les fidèles procèdent à un vote utile pour les instances européennes, qu’ils aient été touchés par les mots forts d’un Père, un homme né au Congo dont le crane conserve les marques vives de ce qui ressemblent à quatre coups de machette ! Mais, tout à l’heure, votre ami, maire de votre village, vous annoncera que le FN s’est taillé la part du lion.
C’est en maillot de bain que la communiante, entourée de sa marraine et de son parrain, vient voir scintiller les Wunderkertzen sur le dessus de son gâteau. La petite fille est heureuse d’avoir presque tous ceux qu’elle aime autour d’elle. Manquent à l’appel deux tantes, deux oncles et trois cousins mais, elle le sait, ils sont là par la pensée comme le sont également dans cette présence absence qui sera au cœur du sermon du Père pour l’Ascension les proches défunts de la famille. Dans le quartier mexicain de Los Angeles, une grande cousine a choisi un rosaire pour sa petite cousine.
Vous êtes heureuse que la communion de votre aînée ait permis ce moment de partage à la fois léger et profond entre des êtres qui ne se connaissaient pas encore ou qui ne se voient pas assez souvent quand ils ont les uns pour les autres une grande tendresse. Une grand-mère a choisi des images à la Procure. On dispense la petite fille d’avoir à écrire son prénom et la date de sa communion au dos des images. C’est à regret qu’on se dit au revoir. Les derniers quittent la maison à dix-heures du soir en direction de Paris. Le ciel est sombre. Les pivoines s’inclinent. Les enfants s’endorment. Vos paupières, elles, ont un peu de mal à se refermer sur cette splendide journée. Dès demain, vos patients profiteront des belles fleurs que vous avez mises dans votre cabinet.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
En guise de post-criptum, la lettre que j’ai écrite au Père et que tous les parents devaient adresser en même temps que la lettre d’intention des futurs communiants.