C’est à peine si, de courts moments, la pluie s’interrompt. Depuis deux jours, elle tombe, fine et attentive. A la campagne, on vous dit que de la pluie, il en faut, que la terre est sèche, terriblement sèche, qu’ainsi, on n’a pas à arroser son jardin, le soir, après une journée déjà bien remplie. C’est une bonne pluie, une pluie qui pénètre lentement en profondeur dans le sol, et non une des ces pluies diluviennes qui ravage tout sur son passage.
La pluie n’a pas empêché une petite fille de participer, hier, à son après-midi de jardinage au centre aéré. A la fin de la journée, elle était toute fière d’offrir à ses parents de la roquette et de la salade, enroulées dans deux larges feuilles de papier journal. Elle a, elle-même, lavé et essoré les feuilles bien vertes issues des pieds plantés à la fin de l’hiver. Elle s’est régalée. Sa sœur a voulu y goûter mais a trouvé la roquette trop forte à son goût. Quant au petit frère, si il aime respirer toutes les épices de la cuisine, il n’était pas curieux d’expérimenter la saveur unique d’une salade du jardin. Les parents ont fini les feuilles restantes, mélangées à de la romaine, en provenance directe d’un autre potager, celui d’une mamie et d’un papy.
Depuis qu’il pleut, un petit garçon et sa sœur se désolent de ne plus pouvoir, avant que ne sonne l’heure du bain, se balancer, à tour de rôle, sur la balançoire du haut portique, à côté du grand sapin dont le vert tendre des jeunes pousses printanières se sera bientôt fondu dans le vert anglais. La moyenne sœur pousse, haut, toujours plus haut, son petit frère qui ne sait pas encore se balancer. Elle lui lance : « Louis, je te pousse fort. Tu vas voir le monde ! ».
Le petit garçon sourit, rit. Il est heureux ! Il est tout au bonheur de cette liberté totale ressentie sur une balançoire. Il voudrait que sa sœur le pousse toujours, que le monde ressemble toujours à ça. Mais, à un moment, qui, pour lui, arrive toujours trop vite, sa sœur est fatiguée de le pousser. Doucement, le rythme de la balançoire se ralentit. Sa vision du monde se rétrécit. La vue sur les bois et les grands champs de blé lui échappent. La balançoire s’arrête. Il ne voit plus, alors, que le mur couvert de vigne et de chèvrefeuille dont les pétales sont ouverts.
Le petit garçon et sa sœur se désolent, aussi, de ne plus pouvoir aider leur père à arroser les plantes du jardin. C’est rigolo de donner à boire aux fleurs. On tient bien fermement le pommeau du tuyau. On met un genou en terre ou on reste debout, tout en inclinant le buste. On s’amuse à suivre le ballet des fourmis qui courent partout le long des rhododendrons et des buis, de l’oranger et du magnolia. Avec un peu de chance, on peut apercevoir un lapereau ou un écureuil roux.
L’intermède ensoleillé a été de courte durée. La pluie reprend ses droits. Les oiseaux s’en moquent. L’humidité ambiante exhale les parfums du jardin. Un moustique vient de piquer une cheville. Demain, si tout va bien, il fera beau et le bon Saint-Barnabé aura eu raison du vilain Saint-Médard qui aurait voulu nous condamner à quarante jours de pluie.
Une maman se rappelle, avec une précision qui la surprend, une année, à Paris, où, sans nulle doute, Barnabé avait du être trop occupé pour annuler le sort pluvieux lancé par Médard. Sans interruption, la pluie était tombée sur les toits de la capitale en mai, en juin et en juillet. Les journées étaient si tristes qu’on était contraint de travailler à la lumière électrique. Privés de chauffage collectif, on avait à peine chaud dans les appartements. Les terrasses des cafés étaient désertes. A leur passage, les autobus chassaient des gerbes d’eau. La capitale promenait des airs de grande mélancolique. Dans son petit studio, une étudiante prenait son mal en patience. Elle rédigeait sa thèse et, souvent, son esprit abandonnait ses réflexions bioéthiques, quittait le bureau, traversait la fenêtre fermée, passait de l’autre côté de la rue et cherchait à s’imaginer la vie des détenues de l’ancienne prison des femmes de la petite Roquette.
Demain, allez, le soleil reviendra et si ce n’est pas un soleil éclatant, un beau soleil annonciateur des feux de la saint Jean, au moins, sa présence suffira-t-elle à éloigner la pluie.
Demain, ballon rond oblige, toute la planète vibrera aux rythmes du mbube et du mbaqanga.
Demain, un petit garçon fera son après-midi d’adaptation à l’école maternelle. Sa sœur, la moyenne, sera toute fière de l’accueillir dans sa classe et de l’entourer de mille et une tendres attentions. Comme la maman devra récupérer son futur écolier à 16h30, les filles seront exemptées de garderie. Tous ensemble, ils iront chez le boulanger acheter de bonnes choses pour le goûter.
On se garera sur la place du village. Les portes de la petite église seront fermées. A l’intérieur, les murs résonneront encore des petites voix timides des enfants ayant fait, dimanche dernier, devant une large assemblée, leur communion et leur profession de foi. Sur l’autel, les pivoines auront perdu leurs pétales. Avec ou sans Barnabé, le coq du clocher ne bronchera pas et le pourtour des lèvres des enfants sera noir de chocolat.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner