Chère Madame, Chère Lydie Dattas,
Quand j’ai eu 12 ans, mon père qui m’a guidée sans jamais me tenir la main, montrée une voie sans jamais rien m’imposer, m’a suggéré la lecture de Jean Genet mais aussi celle de Pierre Loti, Guy de Maupassant, Jean Lorrain. Chez nous, il n’y a jamais eu un enfer caché dans la bibliothèque mais, partout, et à tous les étages, des trésors à découvrir, des voyages à entreprendre. Très vite, mon père m’a aussi invitée à lire Céline, Giono, Drieu La Rochelle, Cocteau. Il m’a appris à séparer le bon grain de l’ivraie, à séparer l’homme de son œuvre, à moins que l’œuvre ne rende compte des dérives de l’homme.
Plus tard, seule ou guidée par une main amie, je découvrirais Tahar Ben Jelloun, Jonh Irving, Milan Kundera et, pour moi, « le monde selon Garp », « la nuit sacrée », et « l’insoutenable légèreté de l’être » seront des livres piliers d’une pensée en devenir.
Cet été, en Haute-Corse, j’ai, par hasard, acheté la revue « Bonheurs » et je vous ai découverte. Tout de suite, je vous ai re-connue comme une mère spirituelle, comme celle qui partageait exactement tout ce que je ressentais s’agissant de ce que les femmes ont à apporter aux hommes et à l’humanité en puisant dans leurs ressources propres, en cessant de singer les hommes, de se bercer de l’illusion que la femme peut être l’égale de l’homme en toutes choses. Dieu que cela serait triste et réducteur pour notre sexe et celui des hommes ! Héritière d’une famille d’intellectuels, de savants, de passeurs de savoirs, mais aussi de paysans bretons, d’artisans gardois, de juristes pointilleux, de médecins venus d’une génération qui ne se retranchait pas derrière la technique, fille d’un homme si peu père et tellement poète, je n’aime pas les intellectuels « à la française ». Grâce à la richesse de mon chêne généalogique, j’ai la chance de me sentir autant chez moi au comptoir d’un café du Finistère sud que dans un grand salon de l’avenue Foch.
En classe de philo, portée dans cette matière par un professeur remarquable, une femme puissante et sensuelle, j’ai pris en horreur Descartes quand j’ai succombé devant la pensée de Socrate (même si sa façon d’accoucher les esprits me paraissait violente), de Nietzsche qui nous apprenait à sortir de la culpabilité, nous appelait à imaginer notre propre système de valeurs, nous encourageait à ne pas mettre des étiquettes sur ce qui nous entoure, et ai aspiré, profondément, à être un esprit autant qu’un corps, à ne pas laisser l’esprit dominer le corps et le corps dominer l’esprit. Le chemin qui devait me conduire à l’harmonie, à la paix retrouvée entre mon corps et mon esprit a été long et douloureux puisqu’il est passé par une anorexie dure dans laquelle, à l’époque, mes parents n’ont vue qu’une lubie de plus d’un enfant trop passionné, une thèse en droit privé sur le don humain, des tranches d’analyse, quelques incursions en dépression, un suicide, un tour du monde, trois enfants mis au monde sans technicité et, finalement, l’exercice du métier de sophrologue tant analytique que pédagogique, voie qui m’a fait renoncer à la profession d’analyste pour laquelle il semblerait que j’ai eu quelques dispositions. Avec le recul dont je dispose à présent, je suis heureuse d’avoir choisi le métier de sophrologue plutôt que celui de psychanalyste, car, en sophrologie, on va à la rencontre de la conscience ET du corps. Les changements vont s’inscrire dans le coeur des cellules, de toutes les cellules: cérébrales, nerveuses, musculaires, sanguines. L’analyse ne permet pas de travailler directement avec la « matière » corps. Le travail autour des mots aboutit à lever les somatisations coporelles mais ne permet pas de contacter la biologie, de sentir son corps vibrer, ses sens se mettre en action.
Vos mots m’ont touchée au plus profond. Votre visage m’a émue. Votre parcours de vie est merveilleux. Votre collaboration avec Christian Bobin si évidente et naturelle! J’ai acheté « la nuit spirituelle » et je parle de vous à ces femmes que j’aime et qui, souvent, n’ont pas encore eu la chance de vous lire. Je pense notamment à deux professeurs de droit privé à Paris 1, deux femmes d’une grande élégance morale. L’une d’entre elles a, récemment, publié chez Fayard un essai sur la gestation pour autrui, fictions et réalités. Je pense encore à Danièle, une femme, une mère, une philosophe toute en générosité, ce qui n’exclut pas des coups de griffes très acérés quand cela s’impose.
Je sais qu’une partie d’elles vous attend, vous espère et que la rencontre qu’elles vont faire de vous au travers de vos livres leur donnera encore plus de souffle. Jean Genet vous a écrit, après avoir lu votre « nuit spirituelle » qu’il avait reçu une gifle. J’ai reçu une caresse et vous en remercie. Votre écriture m’a fait l’effet d’un travail d’orfèvre. Chaque page est ciselée, chaque mot a sa propre résonnance. J’ai pensé à votre père et ai essayé de ressentir les émotions qui étaient siennes quand il jouait de l’orgue à Notre-Dame. Si, un jour, vous avez un peu de temps pour faire la connaissance d’une femme de bientôt 44 ans, je serai ravie de venir vous voir et, si vous l’acceptez, vous demander de lire mon travail.
Bien à vous,
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Chère Anne-Lorraine Guillou Brunner,
En cherchant des informations sur Lydie Dattas, je tombe sur votre lettre ouverte, très belle, et je ne peux m’empêcher d’y répondre, sans être bien sûr Lydie Dattas, mais sans être une femme non plus une femme. Mais j’avoue ne pas voir de différences (au-delà du sexe) entre une femme et un homme. Chaque personne est un monde unique et quand on le voit, on ne peut plus faire d’une différence de sexe un critère de pensée, même bienveillant. Mais je ne vous ai pas écrit pour parler de cela ! Je vous ai écrit parce que votre lettre ouverte m’a touché. J’ai lu moi-même la nuit spirituelle, dans une perspective sans doute différente de la vôtre : je suis chrétien, et ce poème en prose a donné un écho à l’espérance que je porte du salut de tous les hommes sans aucune exception : cette nuit, quelqu’en soit la raison, est un cri d’amour, et qui le pousse est déjà sauvé ; une histoire d’amour mal vécue certes, inversée mais une histoire d’amour tout de même qui reprendra sens et retrouvera son endroit au moment où l’on s’y attendra le moins. Je vous rejoins dans la lecture de la nuit spirituelle de Mme Dattas, une œuvre d’une rare intensité et profondeur.
Cordialement
Cédric
Cher Cédric,
Je vous remercie pour votre message qui me touche et je suis heureuse que « la nuit spirituelle » de Lydie Dattas puisse jeter un pont entre deux êtres qui ne se connaissent pas. Je suis, comme vous, chrétienne mais, il est vrai, que ce n’est pas avec ma foi que j’ai abordé cette fameuse nuit qui marque en profondeur le lecteur. J’y ai accosté en tant que femme. J’avais lu un entretien de Lydie Dattas dans une revue et ce qu’elle disait des femmes m’avait énormément touchée car il est rare qu’on entende une femme inviter les autres femmes à rester des femmes, dans le sens de ne pas chercher à singer les hommes, à être ce qu’elles ne sont pas, à se perdre dans une recherche de l’égalité qui, par essence, ne peut être et ne je pense pas à l’égalité dans les droits reconnus à tous les êtres humains, comme celui d’avoir accès aux mêmes emplois et d’être rétribués de façon similaire.
Lydie Dattas invitait les femmes à rester à l’écoute de leur sensibilité, de leur force créatrice et, aussi, à ne pas diaboliser les hommes et à chercher avec eux toujours l’harmonie. Là où je vous rejoins c’est que ce qui compte par-dessus tout, c’est que les femmes et les hommes puissent être justes et exprimer une vraie liberté personnelle et non subir les pressions sociales de la vie en groupe, tenir en échec les classifications arbitraires.
Plus que « la nuit spirituelle », c’est « la foudre » qui m’a bouleversée. Je suis heureuse que du jaillissement de cette nuit spirituelle soit sortie une amitié profonde entre Genet le malmené, l’écorché et Lydie Dattas, l’universelle, la lumière spirituelle.
Ma lettre ouverte n’a pas encore trouvé le chemin qui mène à son vrai destinataire mais, chemin faisant, elle vous a trouvé et j’en suis heureuse!
Spirituellement,
Anne-Lorraine