Chronique d’une Pentecôte familiale et ensoleillée

Quand famille et amis arrivent le samedi en début d’après- midi et repartent le dimanche après le déjeuner (histoire de ne pas se retrouver prisonnier du trafic), c’est court. Le temps est compté. Un long week-end, c’est tellement mieux pour se retrouver dans le plaisir de la durée! Pendant des années, quand mes proches repartaient, une tristesse profonde m’envahissait. Je ne comprenais pas pourquoi cette maison n’était pas seulement une maison de campagne; pourquoi nous n’en refermions pas la porte et les volets et ne regagnions pas nous aussi Paris? Pourquoi nous n’habitions pas un appartement dans l’un de ces grands immeubles haussmanniens avec plafonds hauts, moulures, parquet craquant, cheminée et grand couloir aux murs tapissés de livres? C’est le même sentiment qui me gagnait après chaque séjour qui nous avait tenu éloignés de la maison. L’année dernière encore les toujours si rares évasions parisiennes me faisaient souffrir car je savais leur caractère éphémère. Au retour, il me fallait plusieurs jours pour accepter ma vie dans Ar Men, mon existence suspendue au dos d’un plateau souvent battu par un vilain vent du nord et, en même, toujours si changeant, si mobile et, comme dans le poème de Verlaine, tellement le même.

Le temps passant, j’ai fini par renoncer à mon désir de retourner vivre à Paris, le Paris de mes études, de mes débuts à l’Université. Un Paris libre, un Paris forcément idéalisé et infiniment moins pollué que le Paris d’aujourd’hui. Mon cabinet me retient désormais attaché à ce plateau. Nous avons noué de vraies belles amitiés et nos enfants ont ce que ma soeur et moi n’avons jamais connu: une stabilité géographique, les mêmes amis depuis la maternelle, une maison-ancre, des attaches fortes. Il en faut des années, des efforts, de la persévérance et, aussi, des compétences, pour développer une patientèle, se faire connaître et reconnaître dans une activité telle que la mienne, se bâtir une réputation.

Renonçant à mon souhait de vivre à nouveau à Paris, je m’étais alors mise à espérer un jour avoir au moins un tout petit chez moi. Un endroit où j’aurais pu venir quelques jours par mois, m’y ressourcer, écrire, inviter nos amis à dîner, y aller seule, avec Stéphane ou avec les enfants lesquels, l’âge venant, aimeraient tant y aller plus souvent. J’ai aussi abandonné cette idée et être comme un coucou de passage accueilli dans le nid des autres ne me plaît pas beaucoup. Quand on a adoré une ville comme j’ai aimé Paris. Quand on s’y est enfin senti vraiment chez soi, dans un endroit en phase avec son énergie, sa curiosité, ses aspirations profondes, on a du mal à être toujours chez les autres même si on les aime profondément. Je sais que je n’aurai pas de chez moi dans Paris.

Alors, maintenant, je songe que lorsque j’en aurai les moyens, je trouverai un petit hôtel plein de charme dans lequel je retiendrai une chambre quand j’en aurai envie. Il faudra que ce soit un hôtel familial, un hôtel d’habitués, un hôtel comme celui dans lequel nous étions descendus à Buenos Aires, alors que le pays, début 2001, commençait à s’enfoncer dans une épouvantable crise financière. Un de ces hôtels où règne une atmosphère très détendue, où on sert des petits-déjeuners dignes des goûters des grands-mères idéales avec gâteaux moelleux et jus de fruits fraîchement pressés.  Il faudra qu’il y ait une cour intérieure, un petit jardin, qu’on puisse y entendre le chant des oiseaux et non le bruit des voitures. Quand j’aurai trouvé mon petit hôtel, je l’investirai comme un prolongement d’Ar Men, un lieu propice au rêve et à l’écriture.

Ils ont été nombreux les écrivains qui n’avaient pas d’appartement, de maison mais louaient des chambres d’hôtel à l’année ou y séjournaient le temps de la rédaction d’un nouveau roman. Ce choix les libérait de toute contrainte matérielle. Ils pouvaient se consacrer pleinement à l’écriture et à toutes les activités nécessaires au processus créatif. On n’écrit pas à partir du vide. Un écrivain, comme un journaliste, a besoin de mener des recherches, de réunir du matériau, d’observer des êtres dans les rues, à la terrasse des cafés, dans les halls des gares, dans les salles d’embarquement des aéroports, aux abris-bus, dans les couloirs du métro, devant les toiles d’un peintre dans un musée, à la sortie d’une église ou d’un lycée, dans les allées ombragées des jardins, dans les fêtes foraines, sur une plage.

C’est à l’hôtel Madison au 143 du boulevard Saint-Germain qu’Albert Camus a terminé « L’étranger ». C’est à l’hôtel des grands hommes, au 17, Place du Panthéon, qu’André Breton et Philippe Soupault ont inventé l’écriture automatique et écrit « Les champs magnétiques ». Oscar Wilde et Jose Luis Borges furent de fidèles clients de l’Hôtel, situé rue des Beaux-Arts. Michel Déon, un de mes auteurs favoris, le père « Des poneys sauvages » et du « Taxi mauve » avec lequel j’ai eu la chance d’échanger une fois, sous la Coupole, au moment de l’intronisation d’André Frossard, descendait toujours à l’hôtel de l’Université, situé au 22 de la rue du même nom et non loin du siège de la maison Gallimard. Il demandait toujours la chambre numéro onze. C’est toujours à regret que Michel Déon s’arrachait à sa verte Irlande, son feu de cheminée crépitant, sa cave dans laquelle sommeillait des bouteilles de pur malt, sa tenue de gentleman-farmer pour revenir en France assurer la promotion d’un nouveau livre. Je caressais un rêve: celui, un jour, d’aller le rencontrer dans sa retraite irlandaise et de découvrir l’endroit où il avait écrit ces romans qui ont accompagné mes années de faculté et me nourrissaient quand le droit m’asséchait.

http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-reception-de-michel-deon

En écrivant cette chronique, je découvre tout à fait par hasard l’existence de la société des hôtels littéraires. Pour l’heure, on en compte quatre et tous appartiennent à la chaîne Best Western: l’hôtel littéraire « Le Swann » dédié à Marcel Proust, rue de Constantinople dans le huitième arrondissement de Paris, l’hôtel Marcel Aymé rue Tholozé, à Montmartre, l’hôtel littéraire Gustave Flaubert à Rouen et l’hôtel Alexandre Vialatte à Clermont-Ferrand. Chaque lieu a été imaginé pour satisfaire la passion des clients pour leur auteur préféré. Les chambres portent les noms de personnages de leurs romans ou de personnalités qu’ils appréciaient.

De renoncement en renoncement, j’ai fini par accepter mon présent. Désormais, quand la famille et les amis repartent pour Paris, que je leur fais un dernier signe de la main tandis que leur voiture s’élance sur la petite route, je ne suis plus triste de rester. Je ne ressasse plus ce que j’ai perdu et ce qui me manque. Je me concentre sur les bons aspects de la vie ici, à la campagne: une grande maison permettant d’accueillir dans des conditions agréables nos proches, un jardin de plus en plus joli maintenant que les plantations s’épanouissent, une terrasse ombragée par des canisses sur laquelle il fait bon, au retour des jours plus longs et plus doux, de déjeuner, prendre un apéritif ou dîner, les petits chemins de terre serpentant entre les champs sur lesquels Fantôme et moi allons contempler par tous les temps et en toute saison, la montée du jour; l’été, souvent, des ciels si clairs que les étoiles semblent à portée de main.

Bien sûr, parfois, l’odeur du lisier épandu en fin de nuit rend l’air irrespirable et les traitements laissent dans l’atmosphère un parfum de chimie qui rappelle le site de Feysin. Au printemps, de minuscules araignées se glissent dans nos vêtements, sous nos draps et nos corps se couvrent de piqures. Au printemps, encore, les mouches s’invitent dans la maison. Quand je travaille, leurs vrombissements peuvent mettre ma sérénité en péril. Dans cette région très humide, les moustiques s’en donnent à coeur joie sur nos peaux sucrées. L’hiver, quand les jours rétrécissent, que la pluie vient glisser sur les vitres, que le plateau ressemble à une petite mer intérieure, on s’ennuie comme dans un film de Rohmer. On a beau connaître les vertus de l’ennui, se faire couler des bains chauds, faire des gâteaux, le temps dure longtemps. Mais, dans la chanson où le temps dure longtemps et la vie sûrement plus d’un million d’années, c’est toujours en été…Pas au coeur de l’hiver, sur un plateau dégoulinant dont la terre lourde de silex est laissée à l’abandon.

Le week-end dernier, nous avons amplement profité du jardin. La température était idéale. Les pivoines explosaient. Les rosiers étaient couverts de fleurs et de boutons. Les cousins étaient ravis de se retrouver, de partir se promener en vélo sur les chemins, de disputer des parties de kems ou de « bonne paye » et, la nuit venue, de se raconter encore mille et un petits secrets la tête posée sur l’oreiller. Charlotte, la dernière venue, la merveilleuse surprise dans notre famille qui croyait afficher complet, passait de bras en bras. La vue de ses petits pieds nus potelés me ravissait. Avec Victoire, le mercredi, nous avions été lui acheter un petit maillot en prévision de son premier bain.

En la voyant barboter au milieu d’une famille de canards, je repensais à Céleste, au même âge, jouant dans une bassine rouge dans le jardin de ses grands-parents paternels. Sa cousine, Margot, alors âgée de trois ans et demi, faisait couler de l’eau sur ses cheveux. Ensuite, on installait Céleste dans son trotteur et Margot la tirait tout autour de l’auvent. Dans la cour de la bonne et vieille maison de Pont, nous avions aussi mis Margot, Céleste et Valentin dans une très grande bassine en fer. Ils s’amusaient follement avec des louches et des casseroles.

Le dimanche soir, tandis que Charlotte dormait, que les cousins jouaient installés autour de la table de la cuisine, deux soeurs et leurs maris riaient devant l’un des films du tandem Toledo/Nakache « Tellement proches ». Ce film qui porte sur les liens qui unissent les membres d’une fratrie entre eux et les rapports entretenus avec leurs belles-familles est à la fois très juste et très drôle. Devant de film, je songeais à tout ce que Virginie et moi avions vécu depuis notre naissance, à cette complicité presque gémellaire qui nous unit, à nos moments de tension, à la séparation des trois ans avec leur expérience américaine. Je pensais à l’amour profond qui a toujours existé entre Stéphane et ma soeur. Je me rappelais tout ce par quoi Mathieu et moi étions passés pour arriver à nous aimer et à nous respecter par-delà nos différences. La plupart des hommes peuvent avoir du mal à comprendre ce qui se joue entre deux soeurs, la puissance des liens, l’amour inconditionnel, le besoin de partage et le rôle de l’aînée dans l’existence d’une cadette.

Une de mes patientes a récemment perdu sa soeur aînée. Très fragile, son aînée s’est donné la mort. Elle était célibataire et sans enfant. Depuis, sa soeur cadette, mariée et mère, est à la dérive. Au sentiment de culpabilité de ne pas avoir pu empêcher son aînée de se suicider s’ajoute la détresse devant la perte de leurs souvenirs communs, de leur complicité. Perdre un frère ou une soeur, c’est perdre son enfance et son adolescence. Peu de temps avant de me marier, j’ai traversé des moments très sombres, si sombres que j’ai pu envisager la mort comme solution à mon mal-être. Mais, je ne me serais pas tuée car je pensais à ma soeur, mon lien au monde. Je n’avais pas le droit de lui infliger une telle souffrance.

Demain, cela fera une semaine que ma soeur et les siens arrivaient à la maison pour le long week-end de Pentecôte. Comme tous les ans, à la même époque, le temps s’accélère. Lundi prochain, j’assisterai au dernier conseil de classe de notre aînée qui, dans quinze jours, passera les épreuves orales de son brevet. Ensuite, il y aura le spectacle de chant de Louis et de ses camarades, la boum du collège, les deux jours de kermesse avec retraite aux flambeaux, le départ de Victoire à Londres avec sa marraine et ses deux fils, la restitution des manuels, la remise des dictionnaires aux élèves de CM2, une dernière réunion d’éveil à la foi et d’aumônerie pour Victoire et Céleste et le temps des grandes vacances aura sonné!

D’ici-là, je voudrais, avec un peu d’avance, souhaiter à toutes les mamans, les mamans par le sang, les mamans adoptives, les secondes mamans, les mamans de coeur et à toutes les femmes qui auraient voulu avoir des enfants mais n’ont pas pu voir leur désir exaucer mais ont vécu leur maternité d’une autre manière, une très bonne fête des mères! Dimanche, quand mon trio m’apportera des petits présents, des gentils mots qui feront oublier la somme des disputes, des non respect des règles de vie dans la maison, je repenserai à tout ce que j’offrais à notre maman quand j’étais enfant et à tout ce que nos enfants m’ont déjà offert: cuillères en bois peintes et vernies destinées à accrocher les torchons, abats-jour en rafia ou en laine, dessous de plat en céramique, pots à crayon décorés, attrape-rêve, objets en pâte à sel, dessins, peintures et tendres poèmes.

Je vous laisse avec cette chanson de Luis Mariano que j’aime beaucoup!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

https://www.youtube.com/watch?v=ANj6StScGYU

3 commentaires sur “Chronique d’une Pentecôte familiale et ensoleillée

  1. Et c’est à la Brasserie de la Poste à Montargis que Jean Cocteau a écrit les Enfants Terribles en 1938…
    Amicalement
    Dominique

    1. En six jours et six nuits…Je me rappelle avoir évoqué le passage de Cocteau et de Jean Marais à l’hôtel de la Poste (tellement plus joli que l’hôtel Ibis) dans une ancienne chronique. Louis, Charlotte, Baptiste et Donatien vous ont fait penser aux enfants terribles?

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