Un peu avant huit heures et demie, elle se gare non loin de l’école avec les deux filles à l’arrière. Comme dans presque tous les villages français, l’école est à côté de l’église et de la mairie. Le ciel est bleu. Il fait frais. Au début, ils ne sont qu’un petit groupe de parents avec leurs enfants et puis, petit à petit, le groupe s’étoffe et ce sont bientôt tous les élèves, les nouveaux et les anciens, qui attendent devant les grilles. Les enfants sont ravis de retrouver leurs amis. Le plus souvent, ils ne se sont pas vus depuis la fin de l’année scolaire. C’est long deux mois ! Ils ont tant de choses à se raconter ! Sur les visages de certains, le hale des vacances est encore très présent. Sur d’autres, les peaux, doucement, retrouvent leur couleur initiale. Dans les cheveux, le soleil s’est amusé à tisser des fils dorés. Les cartables sont lourds. A l’intérieur, les fournitures scolaires sont rangées avec le soin qui accompagne la nouveauté.
Après sept ans, la maman de trois connaît tous les visages. Elle pourrait nommer les prénoms de presque tous les enfants. C’est une rentrée différente des autres. Les filles ne sont plus dans l’école qu’elles ont fréquentée depuis la première année de maternelle et où leur petit frère, lui, fait sa rentrée, ce matin, sa petite main glissée dans celle de son papa. Ces deux derniers jours, le soir venu, les enfants se sont plaints d’avoir mal au ventre. Numéro deux et numéro trois ont dit qu’ils avaient peur de changer de classe, de faire la connaissance d’un autre maître. Numéro trois, jouant à merveille son rôle de « grande », leur a dit qu’elle aussi, au début, elle avait un peu peur et puis que, très vite, c’était oublié tant on était content à l’école.
Les grilles de l’école ouvrent. Des hirondelles tournoient dans le ciel, au-dessus du toit de la petite église dont elle n’a jamais franchi le porche. Le car qui assure le ramassage scolaire arrive. Il n’y a qu’un enfant à bord, un élève de CM2, un élève dont la maman est institutrice et ne peut conduire son fils à l’école et accueillir les élèves de sa classe. Les parents et les enfants entrent dans la cour. La directrice et les institutrices sont debout devant les marches qui conduisent à la partie ancienne de l’établissement. La directrice présente son équipe avant de faire l’appel. L’école compte quatre classes : un CM2, un CM2/CM1, un CM1/CE2 et un CE2/CE1. La voix de la directrice se perd dans la cour et, déjà, la maman croit avoir entraperçu, derrière la vitre d’une des salles de classe, le visage du cancre cher à Prévert. A l’appel de son prénom et de son nom, numéro un rejoint son institutrice. Un grand sourire se dessine sur ses lèvres. Elle la connaît déjà. Son ancienne maîtresse et elle ont conduit ensemble leur classe à Combloux pour dix jours d’équitation, d’escalade et de marche, au printemps dernier. C’est au tour de numéro deux de se détacher, de se ranger à côté de ses camarades. Elle adresse un petit sourire tendre à sa maman qui, elle, se demande si sa petite fille n’est pas trop triste de ne pas faire sa rentrée, ce matin, avec sa plus ancienne amie restée dans l’autre école dans une classe de CP/CE1.
Les institutrices, suivies de leurs élèves, gagnent les classes. Les parents se retrouvent seuls dans la cour. Certains ne cachent pas leur joie que les enfants aient repris le chemin de l’école. D’autres sont manifestement tendus, nerveux. Cela ira mieux ce soir quand les enfants, gais comme des pinsons, feront le récit de leur première journée à l’école. D’autres encore semblent tout à fait perdus, comme si le départ des enfants laissait un vide impossible à combler après deux mois d’attention quotidienne.
Il est neuf heures passées de quelques minutes. La maman remonte dans sa voiture et se dit qu’elle a peut-être encore une chance d’embrasser son numéro trois et de saluer l’équipe enseignante de l’autre école. Un peu vite, elle passe sur le pont enjambant la rivière et servant de frontière naturelle entre les deux villages. Elle croise des voitures qui repartent mais le parking est rempli comme les jours de rentrée. Le bus orange stationne toujours devant l’école. Monsieur le Maire est là avec le garde-champêtre qui porte sa casquette des grands jours. Elle est si pressée d’entrer dans la classe qu’elle en oublie le cerisier dont la présence raconte le cycle des saisons, les pages du calendrier. Elle est heureuse de retrouver cette école qui, pour elle, à une odeur particulière, celle des souvenirs qui parlent à la mémoire. Elle revoit les personnes qui s’occupent des enfants à la garderie. Elle va saluer la maîtresse de numéro trois qui est en pleine forme, ressourcée après de longues semaines de vacances amplement méritées et prête à reprendre les rênes d’une nouvelle classe. Elle fait un petit coucou à son fils qui est installé à une table ronde avec son groupe de meilleurs amis. Il lui répond par un sourire qui met à jour toute la tendresse de son caractère parfois dissimulé sous des gestes impulsifs, des cris à la Tarzan et des accès de très mauvaise humeur.
« Sa » septième rentrée est derrière elle. La maman de trois s’en retourne chez elle par le petit chemin caillouteux, le chemin rigolo, celui qui fait vibrer la vieille voiture et secoue ses passagers. Elle ne l’empruntera plus le matin avec les trois enfants. Ils ne verront plus ensemble s’envoler au-dessus des champs une famille de perdrix avec ses petits ou rougir, dans la lumière, les grandes oreilles des lapins de garenne. La rentrée des filles lui a laissée une drôle d’impression. C’était tellement impersonnel en comparaison des rentrées dans la précédente école. Il y avait là comme un avant-goût de première rentrée au collège.
Elle sait que, ce soir, les trois enfants seront à la fois heureux et soulagés. Heureux d’avoir retrouvé tous leurs amis et soulagés de constater que leur institutrice est sympathique. Ce soir, dans les cartables, elle trouvera du travail pour les parents : les feuilles de renseignements à remplir, l’assurance à fournir, les papiers pour la cantine, les autorisations en vue des photos et vidéos et la cotisation pour la coopérative scolaire. Ce soir, en rentrant, numéro deux appellera sa plus ancienne amie et les petites filles se raconteront leurs impressions mutuelles à l’issue de cette première journée.
Et avant de s’endormir, la maman de trois qui a toujours sur sa table de chevet un recueil de textes de Prévert l’ouvrira et relira encore et encore « Page d’écriture ». Elle ne pourra pas s’empêcher de se demander pourquoi deux et deux font quatre !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Joli ticket émotionnant qui nous évoque notre propre histoire.
Toujours une joie de te lire chère Anne-Lorraine ! Merci
Beaucoup de nostalgie dans ce billet, c’était vraiment sympathique à lire 🙂 A titre personnel, je me souviens très bien de mon entrée en sixième. Mon école maternelle et primaire était située dans un petit village de la région Centre et je pense franchement que cela n’aurait pas été aussi bien si j’étais allé à Paris…
Cher Martin, vous portez le même prénom qu’un de mes cousins ayant grandi à Valence. Je vous remercie pour votre message. Les rentrées sont des moments particuliers. En septembre, notre aînée entrera en sixième et j’ai écrit une nouvelle qui raconte ce passage entre deux mondes, une sorte de rite initiatique. Les enfants sont heureux, ici, dans les écoles des villages. A bientôt.