Chronique d’un pèlerinage différé

 

lune brume.jpgL’envie de mettre mes pas dans ceux des jacquets de Compostelle a germé en moi voici plus de dix ans, après notre tour du monde. J’ai découvert le plaisir de la marche dans la durée grâce à un couple d’amis quand j’étais encore étudiante. Ce fut une révélation ! Dans ma famille, notre père marchait mais presque toujours seul et de préférence la nuit. Il ne partageait pas ces moments  qui lui permettaient de se ressourcer et de communier avec la nature dont il avait un grand besoin. C’est au plus près d’elle, dans le bruissement des feuilles, les chants des oiseaux, le croassement des grenouilles, les odeurs du tilleul, le goût sucré des cerises au début de l’été, le craquant acidulé de la pomme en automne, qu’il apaisait ses angoisses et renouait avec son enfance bretonne.

 

 

 

Tour du monde 035.jpgDans Paris, je marchais des heures, empruntant souvent une voie me faisant aller du Panthéon à la place de la Nation en passant par les jardins du Palais-Royal et le Marais. Je pouvais et peux toujours marcher jusqu’à en avoir mal aux pieds, avoir le sentiment que les os de mes fémurs vont transpercer mon bassin. Avec mon mari, au début, nous marchions dès que possible sur les hauteurs de Montbrison, dans les plaines de l’Ain, avant de nous envoler pour un tour du monde et y user les semelles de nos chaussures de randonnée que j’ai conservées comme des reliques saintes ! Marcher, c’est ce que j’aspire à faire avec nos enfants. Leur donner le goût de la marche dans le temps, toucher du doigt l’essence des choses essentielles : une bonne paire de chaussures, de l’eau, un repas simple, un couchage, de belles personnes en chemin ou le soir à l’étape et, tout autour, la nature et sa magie, le calme et son mystère.

 

 

 

The-Way-02.jpgL’an dernier, j’ai convaincu  trois amis natifs du scorpion comme moi d’organiser une grande scorpionnade de trois jours. Je n’avais pas fêté mon anniversaire dignement depuis trop longtemps et cela m’attristait car j’aime réunir ceux que j’aime pour que tous passent un agréable moment de joie et de partage. Ces trois jours ont été une telle réussite et, malgré la fatigue, je me suis dit qu’on recommencerait tous les ans. Au même moment, je me suis promis que je marcherai désormais toutes les années sur une portion de Saint-Jacques-de- Compostelle. Avec mon mari, nous avions vu le très beau film « the way » au cinéma, et j’avais bon espoir de l’entraîner dans mon aventure. J’étais entrée dans son rêve de tour du monde. Il pouvait bien m’accompagner tous les ans une semaine ou deux sur un bout du pèlerinage.

 

 

 

livres compostelles.jpgJe voulais entrer dans le mystère de ce chemin mythique, alors, à la médiathèque, j’ai emprunté « le pèlerin de Compostelle » de Paulo Coelho dans lequel j’ai trouvé des exercices que je pourrai faire vivre à mes patients. De son côté, mon mari lisait « Immortelle randonnée : Compostelle malgré moi » de Jean-Christophe Rufin. J’aurais peut-être dû me méfier d’une partie du titre donné par l’auteur à son ouvrage… « malgré moi ».

 

 

 

chemin jaune.jpgVoici quelques semaines, je faisais part à mes amis de mon projet et les invitais à me rejoindre. Je rêvais de partager un bout de route avec des amis lointains ou des êtres proches mais avec lesquels on ne vit pas toujours le meilleur. Je trouvais que la marche était un moyen simple et sympathique pour se retrouver après de longs mois sans se voir ou en ayant fait que se regarder. Mais, je n’avais pas d’autre possibilité que de partir quelques jours entre la fin du mois de mai et les premiers jours de juin. Un projet de marche en Haute-Corse pour le printemps avait déjà capoté. J’espérais vraiment que celui-ci aboutisse. J’avais commencé par vouloir marcher du Puy-en-Velay à Conques. Cette partie est réputée pour être à la fois la plus spectaculaire et la plus difficile avec des dénivelés importants et une journée de neuf heures. Comme, assez vite, mon unique oncle, un homme d’une endurance exceptionnelle, me suggérait de cheminer seule (une manière déguisée de me dire qu’il ne marcherait pas avec moi), que je sentais que les amis ne pourraient pas se libérer à cette date et que mon mari, noyé sous le travail, préoccupé par ses projets, ne m’accompagnerait qu’à condition que nous partions moins loin et moins longtemps, je me rabattais sur la portion Nevers/Vezelay. Une de mes amies, une des scorpions de la scorpionnade, a eu la gentillesse, au retour des vacances de Pâques, de me rapporter un bourdon de Lourdes.

 

 

 

escargot.jpgUne de mes patientes à laquelle je parlais de mon projet m’a gentiment apporté un roman qu’elle prête volontiers. Un roman qui voyage d’un lecteur à un autre, nourrissant ça et là une pensée : « le vestibule des causes perdues » de Manon Moreau. Faute de temps, je l’ai lu lentement, très lentement comme s’il fallait cette lenteur pour accompagner les jacquets du roman, comprendre comment les semaines passées à marcher agissaient en profondeur sur eux, sentir de quelle manière ils s’épuraient perdant des peaux superficielles pour arriver au cœur d’eux-mêmes. J’ai terminé le roman dans le Gard, sur une plage, celle de l’Espiguette, en Camargue. Des grains de sable ont dû se glisser entre les pages du livre. C’est vraiment un ouvrage qui voyage !

 

 

 

Jespiguette.jpg’étais allongée au sommet d’une dune. Mon mari était installé à mes côtés et notre chien allait de l’un à l’autre, la langue pendante et si triste d’être tenu en laisse ! Le livre était ouvert devant moi. Je contemplais la mer que les rayons du soleil faisaient scintiller. Nos enfants jouaient. L’aînée et le benjamin, nus comme des vers (nous n’avions pas emporté de maillots de bains) s’étaient enroulés dans une serviette et ils se laissaient dégringoler le long de la dune. Ils riaient fort. Non loin d’eux, la cadette, elle, faisait des roues dans la pente. Encore à côté, une adorable fillette de l’âge de la cadette regardait les enfants. Elle était déjà là à notre arrivée, avec son papa, un quadragénaire, aux cheveux très courts, aux muscles saillants. La petite fille avait des cheveux bruns légèrement bouclés qui volaient au-dessus de ses épaules pain d’épices. Elle portait une robe rouge à rayures blanches avec une ancre bleu marine sur la poitrine. La petite fille regardait souvent dans la direction de notre cadette qui, elle, portait une robe jaune et blanche serrée à la taille par une cordelette. Elle aurait été ravie de jouer avec elle et, d’ailleurs, la petite fille exécutait également des roues parfaites dans le sable. Elle aurait aimé s’amuser avec une autre petite fille car, maintenant, son papa se reposait après l’avoir conduite dans la mer et avoir joué avec elle aux raquettes. La petite fille souriait des pitreries de l’aînée et du benjamin qui, à intervalles réguliers, couraient dans la mer pour s’y rafraîchir, sauter au-dessus des vagues et venaient s’étendre dans le sable pour se vêtir le corps de vêtements imaginaires. Un monsieur d’un certain âge, qu’on aurait pensé tout droit sorti de « Cinema Paradiso » était arrivé sur la plage tirant sa petite roulotte pleine de glaces. Les enfants s’étaient précipités, suivis de près par des parents qui venaient leur offrir un peu de la magie des vacances, un souvenir doux et sucré de cette journée au bord de la Méditerranée.

 

 

 

Cel ventre.jpgJ’avais soufflé à ma cadette d’aller proposer à la petite fille de jouer avec elle mais la cadette, timide, n’avait pas osé le faire et elle s’était assise dans le sable où elle avait commencé à dessiner avec des pastels sur des feuilles que j’avais glissés dans mon sac avant de partir, en plus d’une fougasse et d’une bouteille d’eau. Le regard brun de la petite fille dont le papa avait des tatouages sur les épaules rencontrait le mien. Nous nous sourions et j’aurais dû aller la voir moi-même pour lui proposer de venir jouer ou dessiner. Je n’étais pas revenue sur cette plage depuis l’année 2003. La dernière fois, j’étais avec mes beaux-parents, ma belle-sœur et un de nos amis. J’avais mon gros ventre tout rond avec ma petite fille à l’intérieur. La même petite fille qui, aujourd’hui, se couvrait de sable avec son petit frère tandis que sa sœur se demandait pourquoi, si souvent, sa grande soeur et son petit frère ne jouaient que tous les deux, la laissant en dehors.

 

 

 

chemin lumière.jpgC’est en Camargue, au pays des grands rassemblements gitans, des chevaux et des taureaux sauvages que j’ai su ce que Mara, Robert, Sept Lieues, Henrique, Bruce, Clotilde, Le Breton, Flora et Arpad étaient venus trouver sur le chemin les menant à Compostelle, dans le vestibules des causes perdues. On raconte que personne n’entreprend le pèlerinage sans une raison profonde. On ne la connaît pas forcément quand on se met à cheminer. Elle se fait jour petit à petit. On dit que la plupart des pèlerins marchent pour eux. Je sais que ce n’est pas pour moi que je marcherai mais pour quelqu’un qui, justement, aimait marcher mais n’a jamais pensé à partager ces moments avec moi.

 

 

 

orge.jpgMaintenant, c’est sûr, je ne marcherai pas encore tout de suite. Il faudra attendre un peu. Ce n’est pas grave. L’envie est là, forte, définitive. C’est seulement que je ne souhaite pas marcher seule. J’ai enduré trop de solitude quand je menais mon travail de thèse, que j’étais perdue entre colza au jaune finissant et têtes d’orge naissant pour avoir envie de partir seule. Je sais qu’on n’est jamais seul sur le chemin. On est porté par le souffle de tous ceux qui nous ont devancés et on est accompagné par tous ceux qui cheminent à nos côtés, à défaut d’être ensemble, mais je ne suis pas prête pour cette expérience de marche solitaire. Cela viendra, sans doute, mais plus tard quand je serai tout à fait guérie de ma solitude !

 

bourdon.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

 

ange.jpgPoussière, boue, soleil et pluie,
C’est le chemin de Santiago.
Des milliers de pèlerins
Et plus d’un millier d’années.

 

Pèlerin, qui t’appelle ?
Quelle force cachée te mène.
Ni le chemin des étoiles
Ni les grandes cathédrales.
Ce n’est pas non plus la brave Navarre,
Ni le vin de la Rioja,
Ni les fruits de mer galiciens
Ni les chants castillans
Ni l’histoire ni la culture,
Ni le coq de la Calzada,
Ni le palais de Gaudi
Ni le château de Pontferrada.
Je vois tout en passant,
Et c’est un plaisir de tout voir.
Mais la voix qui m’appelle,
je l’entends au plus profond de moi-même.
La force qui me pousse,
La force qui me mène
Je ne sais pas moi-même l’expliquer :
Seul Celui d’en haut le sait.

 

Eugenio Garibay Banos