Chronique automnale

 

automne.jpgLe début de l’automne est là, reconnaissable aux arbres dont les feuilles vertes virent au jaune, au brun, au rouge, avant de s’unir dans un roux flamboyant, à leur vieux noyer dont les coques encore couvertes de brou restent à ramasser dans l’herbe humide, au parfum entêtant que la haie de troène exhale, aux dernières mûres gorgées de pluie, aux écureuils qui traversent les petites routes, à ce groupe de cinq chevreuils dont les sorties à découvert ne sont plus protégées par les hautes têtes de blé ou de maïs désormais moissonnés, aux chasseurs qui promènent leurs grandes bottes et leurs chiens dans les champs boueux, aux étals des marchés qui voient apparaître des poires conférence enfin juteuses, de plus en plus de variétés de pommes et à ces belles grappes de raisin blanc, ce délicieux Chasselas de Moissac, dont les petits grains, associés à de fines tranches de vieux parmesan, font la joie des enfants de la maison.

 

 

 

cantine-malle-en-mactal.jpgLa semaine passée, enfin, elle s’est décidée à faire le tri dans les vêtements de la collection printemps/été des enfants. Dans le garage, sous la chaudière, il a fallu exhumer la grosse cantine, celle qui disparaît sous un amas d’objets hétéroclites dont une boite de hautes bottes bleues encore jamais portées, des rollers et leurs accessoires, deux bombes, un nécessaire pour panser les poneys et un sac contenant maillots, bonnets, pince-nez, lunettes et tongs pour éviter le contact peu amène avec un sol humide couvert de phanères municipales. Après avoir libéré l’accès à la cantine, elle a enlevé les quelques centimètres de poussière qui s’y étaient accumulés. Par un détour troublant d’une mémoire dont elle ne cherche jamais à posséder la clé pour la laisser vagabonder, elle a repensé à cette réplique bouleversante que Michel Boujenah mettait dans la bouche de l’un des personnages de son spectacle « Elle et moi ». Cette femme dont presque tous les proches avaient disparu dans la nuit et le brouillard des camps se refusait à « faire les poussières » car, pour elle, chaque poussière pouvait appartenir au corps de l’un des siens.

 

 

 

produit-bio-sachet-anti-mite.jpgElle commençait à peine à sortir les vêtements de la collection automne/hiver que, déjà, elle se mettait à éternuer. La faute aux sachets d’anti-mites auxquels elle est allergique. Entre deux éternuements, elle réussissait tout de même à ranger dans les armoires et les placards les vêtements de saison et à replacer dans la cantine ceux qui pourraient encore servir. La veille, quand elle avait demandé à numéro deux si elle acceptait qu’elle donne des robes qui étaient désormais trop petites pour elle, la petite fille avait plongé l’eau noisette de ses yeux dans le regard maternel et lui avait répondu : « oui, je veux bien, mais alors tu le feras quand je ne serai pas là car cela me rend triste que tu les donnes pour toujours ». La maman lui avait dit que comme l’avait fait leur grand-mère pour elle, elle conservait pour ses enfants certains de leurs vêtements et que, peut-être, plus tard, ils seraient heureux de les voir sur leurs propres enfants.

 

 

 

armoire bretonne.jpgCe soir-là, elle avait refermé les deux battants d’une vieille armoire bretonne laquelle avait durablement servi d’habitat à des poules dans la ferme endormie de la marraine de son père. Bien avant qu’ils ne viennent vivre ici, elle l’avait décapée, nettoyée, cirée et les ferrures avaient retrouvé leur lustre passé. Pendant très longtemps, le bois de l’armoire avait exhalé une odeur de cidre, comme un buffet provençal s’obstinait toujours à sentir le vieil armagnac !

 

 

 

Musique brésilienne blog.jpgEn déposant les vêtements de la saison passée au fond de la cantine, elle s’était interdit de déplier des petites robes des filles gardées pour elles car chacune d’elle allait la renvoyer dans le passé et lui faire revivre les bouts de vie qui lui étaient associés. Ce jour-là, elle manquait de temps pour se laisser glisser dans ce voyage. Mais, ses yeux avaient eu le temps de repérer une petite robe blanche avec des bandes rouges en tissu gaufré. Numéro deux la portait pour son deuxième anniversaire, de même qu’une grosse bosse qu’elle s’était faite sur le front le même jour. Cette robe avait été offerte par son parrain mais c’était sa compagne qui l’avait affectueusement choisie pour la petite fille. Si la robe était toujours là, rangée dans la cantine, le parrain, lui, avait quitté l’univers de la famille. Longtemps après, la petite fille évoquait encore le souvenir de son parrain et demandait à danser sur la musique des deux chansons du CD qu’il avait cherché à produire. Elle en aimait les accords brésiliens. Et puis, progressivement, la petite fille avait cessé de demander de ses nouvelles. Une photo de lui et d’elle, bébé, était toujours sur l’une des faces du réfrigérateur. Quand elle la regardait, la maman se rappelait les très agréables moments qu’ils avaient passés tous ensemble en Provence.

 

 

 

cierge.jpgIl y aurait beaucoup à écrire sur ce magnifique lien qui peut se créer entre un parrain ou une marraine et un filleul ou une filleule. Une chose est certaine : on peut rester présent même quand on est loin et le lien peut se mettre à exister même tardivement quand le parrain ou la marraine est âgé et le ou la filleule adulte et que les deux sont désireux de le faire vivre.

 

 

 

boite-a-the-laque-modele-2.jpgAprès avoir refermé la cantine, remis à leur place la boîte contenant les bottes, les bombes, le nécessaire pour panser les poneys, les rollers et leurs accessoires et le sac pour la piscine, elle réfléchissait aux objets, à leur valeur, non pas financière mais affective, à tout ce qu’ils nous racontent de ceux qui nous les ont offerts, de ceux dont nous les avons hérités, de ce qu’ils nous disent de nous qui les avons acquis. Elle pensait à ceux qui jettent tout et à ceux qui ne jettent rien. Elle aimait l’idée qu’on puisse transformer un objet fabriqué en série en un objet fait sur mesure tant on la fait sien. Elle songeait à la joie qui était la sienne d’utiliser presque quotidiennement des objets qui avaient appartenu à leur grand-mère maternelle : des cuillères en bois, une boite à thé laquée, un plaid en mohair bleu.

 

 

 

pendule.jpgIl est un objet que numéro trois aime tout particulièrement, maintenant qu’il n’en a plus peur : une tortue en métal doré qui cache sous sa carapace le cadran d’une pendule. Elle appartenait à son arrière grand-mère maternelle. C’était un cadeau qui lui avait été fait dans son travail. Le mécanisme est grippé. Les heures sont figées dans l’éternité. Voici peu, numéro trois posait la tortue sur la table de la cuisine. Il se plaçait en face d’elle et actionnait le bouton qui soulève brutalement le dos de la tortue. Comme il demandait à sa maman qui aurait la tortue plus tard et que cette dernière lui répondait que ce serait celui d’entre eux qui l’aimerait le plus, il s’est écrié : « alors, ce sera moi ! Je l’adore la tortue de grand-mère Nanette ! ». Voici un bel exemple de la manière dont les objets s’inscrivent dans notre histoire familiale et viennent entretenir le souvenir de ceux qui ne sont plus.

 

 

 

rosa.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner