Chronique des petits bonheurs

Ce n’est pas la première fois que j’évoque les petits bonheurs dans mes chroniques. Dans la pratique sophrologique, une grande place leur est accordée. Il est très important, voire essentiel, de savoir reconnaître et apprécier tous les petits bonheurs que la vie place, tous les jours, sur notre chemin. Ils sont vraiment accessibles pour peu qu’on parvienne à observer ce qui nous entoure, ressentir les émotions positives de ceux dont on partage l’existence et être à l’écoute de son corps.

Depuis quelques jours, un vrai froid continental s’est installé sur le plateau. Le matin, tout est blanc. L’eau a gelé à la surface des mares. Dans la piscine, les canards de Charlotte sont immobilisés dans la glace. On dirait qu’ils patinent. Mes gants ne me protègent pas assez du froid mordant. Quand je rentre, mes mains sont rouges et douloureuses. J’aime ce temps sec, cette nature immobilisée par le givre. Fantôme aussi. Notre berger australien est taillé pour les températures négatives.

Ce matin, je songeais à mes petits bonheurs. J’aime, avec Fantôme, regarder les chevreuils dont la silhouette se découpe sur un ciel à peine éclairé par les premiers feux du jour naissant, voir courir un renard, entendre les branches des arbres craquer, un oiseau de nuit prendre son envol. J’aime quand Arnaud et Cédric labourent les champs et que cela sent la terre fraîche. J’aime, depuis la fenêtre du couloir desservant les chambres, observer le balai ininterrompu des oiseaux venant piquer les boules de graisse ou picorer les graines. Le soleil éclaire leurs ailes en transparence quand ils les ouvrent. J’aime constater que la nature, lentement, amorce son réveil. Les premiers bourgeons apparaissent.

J’aime, avec les roues du vélo, faire craquer les flaques gelées et, avant, y trouver des formes. J’aime me coucher le soir dans des draps frais, repassés et sentant bon encore plus aux beaux jours quand ils ont séché au soleil, aller nourrir les moutons avec Muguette, l’accompagner dans son potager, l’entendre parler avec ses poules et son coq, couper son bois sur un billot situé sous la grange, sentir ces moments de belle complicité unissant nos enfants, la main de mon mari cherchant la mienne, cueillir les premières mirabelles gorgées de soleil, m’allonger sur des pierres chaudes, marcher pieds-nus dans l’herbe grasse, effeuiller les marguerites, surprendre la course folle d’une étoile filante, expérimenter une nouvelle recette sans essayer de la suivre, m’installer confortablement dans une salle de cinéma et savoir que le film va me plaire, quand je suis d’humeur nostalgique écouter le concerto numéro 23 de Mozart, « Les moulins de mon coeur » de Michel Legrand, les Gymnopédies d’Erik Satie, les chansons interprétées par Chet Baker.

J’aime encore sentir l’odeur du pain chaud, du savon de Marseille, du mimosa, des immortelles, des premières violettes, des forêts de résineux, des feuilles d’automne, de figuier, de l’écorce des platanes, du blé mûr, de la nature après l’orage, des vieux livres sommeillant sur les étagères de la et bonne et rassurante maison de Pont, du café fraîchement moulu, du Woolite, du citron vert, du parfum que portait notre père « Pour un homme » de Caron et celle des cheveux tout doux d’un nourrisson. J’aime aller au marché avec les filles, me promener sans idée précise dans la médiathèque, concevoir le programme d’un week-end à Paris, voir notre petite nièce, Charlotte, quand notre aînée appelle sa grande cousine, Margot, en Face Time, les déjeuners qui suivent le retour du marché, découvrir un fromage que je ne connais pas, l’hiver, quand il fait très beau, sentir le contraste entre le froid et la chaleur des rayons du soleil, partager des morceaux de pain sec entre Fantôme et le jeune mouton qui vit à côté de la maison et que j’ai baptisé « Mout-Mout », lire une vraie lettre, sentir qu’une patiente ou un patient a retrouvé son équilibre et sa joie, entendre notre fils, Louis, rire à gorge déployée.

J’aime malaxer de la pâte à tarte, planter des bulbes dans la terre, refaire des ourlets, recoudre un bouton, passer l’aspirateur, enlever la poussière. J’aime ce moment où l’avion prend de la vitesse et où on sent son dos collé à son fauteuil au moment du décollage. J’aime accueillir un être cher à la gare ou à l’aéroport, m’installer dans un café avec un cahier et écrire. J’aime le bruit si particulier que font les panneaux qui affichent les vols au départ ou à l’arrivée. J’aime quand, dans la rame d’un métro, des musiciens souvent roms montent et jouent des airs entraînants. J’aime marcher le long d’une grande plage du Sud Finistère par jour de très fort vent. J’aime entendre la pluie frapper les velux, regarder les nuages filer dans le ciel et jeter de grandes ombres sur le plateau. J’aime quand un bon feu crépite dans la cheminée et que je partage le canapé rouge avec Fantôme. J’aime me promener dans les archives du blog et retrouver de vieilles chroniques.

Il y a, bien sûr, de très grands bonheurs mais comme ils sont rares, il est important de savoir cueillir les petits, parfois très petits bonheurs de la vie. Tous ces petits bonheurs mis bout à bout finissent par composer un grand bonheur facile d’accès.

Notre rôle de parents et de grands-parents consiste à éveiller nos enfants à tous ces petits instants de bonheur. C’est l’un des pans les plus agréables de l’éducation! Ce week-end, je demanderai aux enfants et à leur papa d’écrire sur une feuille leurs petits bonheurs et, ensuite, nous les partagerons. Je sais déjà que Céleste aime marcher dans la boue, Victoire croquer dans les grains d’un fruit de la passion, Louis sauter dans le trampoline avec son papa et ce dernier quitter le petit port de la marina de San Damiano aux commande de son Zodiac.

Et vous, quels sont vos petits bonheurs?

Très belle fin de semaine,

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

4 commentaires sur “Chronique des petits bonheurs

  1. Parade contre toutes choses jugées inutiles . Chapitre 14 du petit prince . Peut-être bien que cet homme est absurde. Cependant il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son réverbère, c’est comme s’il faisait naître une étoile de plus, ou une fleur. Quand il éteint son réverbère ça endort la fleur ou l’étoile. C’est une occupation très jolie. C’est véritablement utile puisque c’est joli

    Votre confrère noveliste delerm pour ses premières gorgées de bières et autres minuscules plaisirs

    https://youtu.be/qM1XxVZH-I0

    https://youtu.be/N4fq04aZtf0

    Un parquet qui craque. Trouver un silex taillé au milieu d un champ. L odeur du lilas en fleurs. Un earl Grey. Nos enfants riant à gorges deployes. Sentir des larmes arriver devant un film ou en quittant des proches. ,
    Sentir une tarte au four. Écosser des petits pois. L odeur du foin. Une tomate du jardin, frotter une feuille d eucalyptus. Capter l attention des enfants leur montrer qu’ une petite chose est en réalité extraordinaire. Etc……..

    1. Hier, j’ai essayé de vous répondre mais Ciara rendait les communications difficiles. Merci d’avoir partagé certains de vos petits bonheurs. Entendre un parquet craquer et écosser des petits-pois sont deux choses que, comme vous, j’aime beaucoup. En revanche, je préfère les retrouvailles aux au revoir. J’ai déménagé 15 fois depuis que je suis née et pour moi les au revoir ont souvent été des adieux. Etes-vous originaire de la Bretagne Nord? Toute la famille de mon père est finistérienne mais…du Sud! Passez une excellente journée.

      1. aimer les adieux oui et non , etre heureux de ce qui a eu lieu et pas triste que ce soit terminé , ce moment ou la larme monte , qu’elle coule ou pas ,ce n’est pas le plus important , tout ca est un indicateur fiable du niveau de sentiment et d’emotions eprouvés
        de Bretagne Nord? non rien vu de tel mais je me suis arreté en 1711 , je n’ai pas trouvé la faille pour aller plus loin. Origine qq centaine de metres a l Est par la majeur partie de l’arbre coté paternel , avec l’ascendant de 1711 a 14 km a l’Est , et 1810 km a l’Est pour une partie de la branche maternelle ,mais je n’ai pas terminé la branche maternelle plus locale

        1. Cher Cédric, le seul Cédric avec lequel j’échangeais était justement « local ». Ce n’est pas évident de remonter les branches de son arbre jusqu’en 1711! Pourquoi la Bretagne Nord? Parce que 22: Côtes d’Armor. Le vent violent a séché les champs. Au point du jour, Fantôme et moi glissons moins. La nature est bien trop en avance…Je pense aux gelées tardives et mortelles de ces deux dernières années.

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