Chronique d’un cabinet de sophrologie à réinventer

On connait tous des moments de profonds découragements, des envies de tout envoyer balader et de ne plus rien faire. On aimerait alors se laisser porter comme la plume par le vent ou la feuille à la surface de l’eau de la rivière par le courant. On pourrait aussi se transformer en ours ou en chauve souris, se rouler en boule ou se suspendre au fond d’une grotte et s’endormir en mettant toutes nos fonctions vitales en mode « économie d’énergie » ou encore se laisser tenter par une vie à la marge de la société en autarcie dans un hameau tel que l’anticipait Barjavel avec Ravage. La terrible guerre qui ravage l’Ukraine et fait tant de mal à des millions de russes otages d’un président mégalomane provoque une crise énergétique. Dans des entreprises de production des chaines sont à l’arrêt et les grands groupes songent déjà à délocaliser là où l’énergie est moins chère…Les mois de confinements, les grands ports à l’arrêt ont montré les limites de la délocalisation mais on veut recommencer! J’ai cessé de chauffer le cabinet et tout l’étage de la maison au début du conflit en Ukraine. Mais je m’éloigne de mon idée de départ.

Je suis triste devant mon agenda aux pages si blanches quand, avant le Covid, je les couvrais de rendez-vous avec mon écriture illisible. Il m’arrivait de passer dix heures par jour dans mon cabinet. Régulièrement, je terminais à 20 heures car les patients venaient me voir après leur travail. Je travaillais aussi le samedi matin quand aucune autre plage n’était possible. Je me dépensais sans compter mes heures mais en donnant rapidement à mes patientes et patients les clés de compréhension de leurs problèmes et les outils pour se faire du bien. Quelques médecins merveilleux m’adressaient leurs patientes ou leurs patients. Je leur faisais part de l’avancée des accompagnements. Une belle relation de confiance s’était établie entre nous. Mais ces médecins merveilleux ont pris leur retraite et la jeune génération n’est globalement pas réceptive à ma pratique. Il est plus simple de prescrire des antidépresseurs ou des anxiolytiques ou d’adresser des patients à des psychologues intervenant dans des lieux où la prise en charge est gratuite ou pas trop onéreuse.

La crise de 2008 avait été terrible à encaisser. Le Covid a fait beaucoup de mal. Les petites entreprises qui avaient réussi à tenir risquent de s’effondrer avec le cout de l’énergie. La population se paupérise. Des séances de sophrologie sont un luxe quand on peine à s’en sortir tous les mois. Trop peu de mutuelles remboursent cette discipline. C’est triste tant elle est efficace, ne crée pas de lien de dépendance et permet, si on le souhaite, d’apprendre à se mieux connaitre. Aujourd’hui, dans ma discipline, celles et ceux qui ont des cabinets prospères viennent souvent du monde privé quand je suis une transfuge de l’université. Ils ont été dans la communication ou les ressources humaines de grands groupes et quand ils s’installent ils savent s’appuyer sur un réseau solide et entreprendre des démarches à visée commerciale. Ils savent explorer les pistes tendance et proposer des séances collectives. Ils travaillent également beaucoup en visio. Les séances en visio peuvent-elles remplacer l’accompagnement en face à face dans un cabinet? Je l’ai pratiqué avec des étudiants ou des agriculteurs. Avec les étudiants, j’ai trouvé cela plus agréable car je les voyais en vrai et nous arrivions à créer une forme d’intimité. Avec les agriculteurs, c’était différent car la plupart restaient dans l’anonymat, d’autres avaient du mal à se connecter ou les chiens aboyaient pendant la séance quand ce n’était pas le facteur qui venait déposer un colis. Quand un patient ou une patiente franchit la porte d’Ar-Men, il bascule dans un univers presque parallèle où le temps se suspend comme lorsqu’on marche en forêt. Les portables sont mis en mode avion. Tant d’hommes se sont assis en me disant en préambule: « Je ne suis pas bavard » et sont restés deux heures! Finalement, pourquoi, parfois, on n’est pas bavard? Peut-être parce que depuis l’enfance on n’a jamais été entendu par nos proches. On a parlé dans le désert. Les mots se perdaient. On finit par ne plus essayer. Alors quand on rencontre une personne qui se met entièrement à notre écoute et ne nous bouscule pas, mieux, nous invite à ouvrir progressivement les vannes, ce sont des années de paroles contenues qui s’expriment!

La psychogénéalogie joue un rôle central dans mon travail. Toutes les personnes qui franchissent le pas de mon cabinet ne sont pas toujours désireuses d’explorer leur arbre généalogique, de comprendre pourquoi leurs parents ou leurs grands-parents ont pu être absents, défaillants, toxiques ou violents. Quand une personne est prête à mener cette enquête, je le sais tout de suite. La première séance qu’on appelle l’anamnèse est déterminante. Elle permet de créer un lien de confiance, un espace d’écoute et de recueillir le plus d’informations possibles. Un sophrologue pédagogique s’interrogera sur ce que le patient associe à du positif: lieux de vacances, loisirs, souvenirs, plats. Un sophrologue analytique procédera au même recueil positif mais s’attachera à comprendre comment la personne s’inscrit dans son histoire familiale. Un patient ne vient pas seul dans le cabinet. Il emmène avec lui son conjoint ou sa conjointe, ses parents, ses grands-parents, sa fratrie, ses enfants. Il est essentiel d’avoir toutes les pièces de son puzzle. Quand il en manque, je demande à la personne de les trouver. Parfois, malheureusement, il est trop tard. Les personnes détentrices des informations sont mortes. Quand on sent que les personnes qui pourraient délivrer les informations ne le veulent pas ou que c’est trop douloureux, il faut les contourner et en interroger d’autres.

Voici plusieurs années, la soeur de mon mari a pris le temps d’aller rendre visite à une soeur de leur père vivant dans une maison de retraite. Ce dernier ne parlait pas de sa famille ou alors pour raconter les mêmes souvenirs notamment le cadeau que son père lui avait fait à l’âge de 15 ans d’une boite de couleurs qui avait transformée sa vie.  La soeur de Stéphane a appris beaucoup de choses sur leur famille paternelle et en levant le voile sur un pan entier de l’histoire familiale tant de comportements se sont éclairés. Maintenant, encore beaucoup de questions demeurent en suspens. Stéphane ne semble pas s’en soucier contrairement à moi qui sait que certaines clés s’y trouvent. Il y a ce qui est transmis par le vécu des générations qui nous ont précédés et qui est souvent inconscient et il y a aussi ce qui est génétiquement transmis. Les généticiens en sont encore à l’aube de leurs découvertes mais parce qu’ils contrôlent la production de quelque 100 000 protéines différentes, les gènes modulent profondément la physiologie. Chaque protéine joue un rôle direct sur le fonctionnement de l’organisme ou un rôle indirect en régulant l’activité d’autres gènes. Ainsi, le lien qui existe entre la physiologie d’un individu et sa vulnérabilité à l’alcoolisme est bien illustré par l’exemple du premier gène lié à la dépendance à l’alcool qui a été identifié. On peut avoir un terrain qui nous prédispose à être dépendant à l’alcool ou à une autre substance et échapper à cette dépendance car on mène une vie équilibrée dans laquelle on se réalise. Les enfants de parents dépendants à une drogue sont souvent plus anxieux que les autres. Cette anxiété de départ doit être analysée et dépassée car c’est elle qui peut expliquer la dépression et les dépendances qui l’accompagnent.

Dans mon cabinet, des patientes ou des patients font le récit d’alcooliques ou de suicidés sur plusieurs générations. Un jour, un descendant de cette lignée malheureuse se dresse et renonce à la partie sombre de son héritage sans pour autant avoir le sentiment de trahir les siens. Cette nuit, j’ai lu à la faveur de mon insomnie de quatre heures du matin que des scientifiques avaient publié dans la revue Nature les conclusions d’une étude tendant à prouver que les descendants de ceux qui avaient survécu à l’épidémie de peste noire ayant décimé l’Europe au Moyen Age présentaient des prédispositions à des maladies auto-immunes comme la maladie de Crohn ou l’arthrite rhumatoïde. Si leurs allèles Erap2 les avaient protégés de Y.Pestis, ces mêmes allènes Erap2 les rendaient plus vulnérables s’agissant de maladies auto-immunes. Depuis un certain temps, je me demande comment se transmet l’ADN et ce qu’il transmet. Découvrira-t-on un jour que c’est toute notre histoire depuis des siècles qui nous est transmise par le patrimoine génétique de nos parents? On parle de plus en plus de l’invisible depuis le Covid mais si les médiums étaient des êtres capables de percer les mystères de l’ADN transmis par celles et ceux qui les consultent contenant des informations relatives au passé du défunt?

On sait qu’encore aujourd’hui l’homme est très proche dans la recherche de la satisfaction de ses besoins essentiels de l’homme de la pré-histoire. L’homme doit se nourrir, se reproduire et avoir du pouvoir. S’agissant de la reproduction, elle ne couvre pas la même finalité chez les hommes et chez les femmes. Mis à part les époques où avoir de nombreux enfants était signe de prospérité et de garantie pour l’avenir, la reproduction est secondaire chez les hommes qui cherchent surtout le plaisir que procure la sexualité à laquelle s’attache un fort sentiment d’être vivant. Nombreux sont les hommes que les problèmes d’érection plongent dans un était dépressif profond. La femme, elle, a pu quand elle n’était pas en mesure de maitriser sa fécondité redouter des grossesses allant de pair avec de la fatigue et un risque de mortalité pour elle et pour l’enfant à naitre. Mais la femme est encore souvent aujourd’hui heureuse d’enfanter. L’enfant est rassurant. Trop de jeunes filles ayant souffert de carences affectives sont mamans très jeunes. Elles aspirent à fonder ce foyer qui leur a fait défaut et à recevoir de l’amour d’un petit être qui doit en recevoir avant de pouvoir en donner. Un bébé ne répare pas des blessures de l’enfance.

C’est très frustrant d’avoir des compétences, sentir tant de mal-être dans la société et ne pas pouvoir en faire bénéficier celles et ceux qui en auraient un si grand besoin! Des patients sans souci financier vont chipoter sur le tarif d’une séance quand une personne qui a peu s’étonnera que vous ne facturiez pas plus le temps passé au cabinet. Je conserve un souvenir vivace d’attentions merveilleuses comme un pain d’épices ou une boite de chocolats avant Noël, des fleurs quand sonne l’heure de la fin de l’accompagnement, des livres reçus par la Poste, des friandises pour Fantôme, des petits mots d’adolescents et des dessins d’enfants. Il y a aussi cette boite remplie d’émaux de Briare trouvé un jour devant la porte et déposée par une patiente qui quittait la région et savait combien j’aimais les émaux. Je pense à elle à chaque fois que j’observe la fresque que nous avons imaginée avec les enfants sur l’un des murs de la maison.

Je dois relancer mon activité et ai pensé à plusieurs pistes. Avant le Covid, il était acté que j’intervienne au lycée pour proposer des séances aux élèves en première et en terminale. Il s’agissait de les aider à se préparer aux examens à venir et aux études supérieures. Je devais intervenir dans la salle de danse et puis le virus a tout stoppé. J’ai ensuite appris qu’un professeur s’était formé au yoga et proposait cette année un atelier une fois par semaine à ses seuls élèves qui seront un peu ses « cobayes ». Le yoga est une discipline merveilleuse mais elle ne peut pas permettre de dépasser les angoisses et de préparer le post-bac. J’ai été très déçue que le lycée ne me propose plus l’intervention qui avait été préparée. Dans des séances collectives, on ne peut pas entrer dans le détail du vécu de chaque personne. On se borne à une sorte de balayage des techniques clés.

Me voici à nouveau à repenser mon activité. Sans les médecins généralistes qui m’ont fait confiance, je ne sais pas si j’aurais réussi à développer mon cabinet de sophrologue en sabots exerçant à la campagne sur un plateau. En même temps, cet emplacement facilitait les déplacements de personnes venant de villages plus éloignés de la ville. En ville, je n’aurais pas eu les mêmes patients. Ici, j’aime entendre parler  de ces deux vieilles dames qui, voici deux ans, se retrouvaient encore au lavoir pour laver leur linge et, surtout, échanger, comprendre comment et d’où sont venus les familles qui ont repris les terres laissées sans exploitant après les guerres, apprendre la fabrication du caoutchouc ou des médicaments, suivre la vie dans les champs, entendre le récit des liens d’amour unissant les enfants devenus des adultes à leurs grands-parents, saisir l’attachement à un animal. Ce n’est sans doute pas un hasard mais la plupart de mes patientes et patients sont des hypersensibles et/ou surdoués.

Je dédie cette chronique aux médecins mais aussi aux professeurs, aux kinés ou ostéopathes qui m’ont fait confiance et aussi à C qui tenait un bar-tabacs et qui m’a envoyé plusieurs de ses clients. Je la dédie également à toutes mes patientes et à tous mes patients de 4 à 85 ans qui sont venus au cabinet et avec lesquels chaque accompagnement a été unique. Je leur dois de m’avoir inspiré des « techniques » que je raconterai sans doute un jour dans un livre. Je pense à celles et à ceux que Fantôme, Ar-Men, mon inventaire à la Prévert et moi nous attendons. A l’approche de la saint Nicolas, je confectionne des petits gâteaux alsaciens et leur odeur flotte dans l’air.

A très bientôt,

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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