Chronique d’un esprit entre automne et souvenirs de Noël

Hier matin, enfin, le soleil réapparaissait après plusieurs jours de pluie soutenue coulant sur les maquillages d’Halloween, les saints du calendrier et les tombes des défunts. Ses rayons, en jouant dans les feuilles des arbres, nous rappelaient combien l’automne est une saison magique; le grand feu d’artifice que la nature nous offre. Toute la matinée, j’avais attendu de pouvoir aller marcher avec Fantôme autour du plateau. Je voulais contempler  la palette de couleurs dans la canopée. Je voulais entendre encore le bruit du vent bruissant dans les feuilles. Je voulais sentir l’odeur de la terre humide et des pommes en décomposition. Je voulais regarder le soleil jeter de grandes ombres et les champignons déplier leurs têtes plates ou rondes sur le dos détrempé du plateau.  Mais, après avoir travaillé, j’ai dû aller faire des courses. C’était le seul moment de la semaine où je pouvais remplir le réfrigérateur. Les victuailles du marché, les fromages mis à part, sont des déjeuners de soleil.

Au retour de l’un des temples dédiés à la grande consommation, j’empruntais la route que je préfère. Elle enjambe deux ponts, laisse sur sa droite une maison d’éclusier maintenant désaffectée, traverse un ravissant village, passe sous les fenêtres de la maison d’une amie, longe une rivière et serpente dans la forêt. Sur la dernière portion de cette petite route qui, ensuite, rejoint la départementale, se trouvent une incroyable rangée de mélèzes. Tous les ans, j’attends ce moment où les aiguilles de ces grands conifères vont virer au rouge, au roux et à l’orangé et que les bords du chemin formeront un tapis.

Hier, je me suis arrêtée, suis sortie de la voiture et me suis installée au pied de l’un de ces géants. J’ai contemplé son tronc, ses branches et sa grande chevelure de feu évoquant des poèmes de Nerval. J’ai respiré sa délicieuse odeur de résineux. Tristement, à côté, une drôle de machine très bruyante s’en prenait aux arbres. J’entendais les troncs gémir, les branches craquer. Dans l’air flottait un très fort parfum de sève. Les arbres abattus saignaient. Arrachés à la forêt, les mélèzes deviendraient sous les mains de l’homme coque de navire, charpente de maison, poteau électrique ou bien encore table de salle à manger.

Quand, enfin, les courses rangées, le déjeuner de restes expédié, je sortais avec Fantôme, les nuages se réinstallaient aux commandes du ciel et, très vite, les flaques d’eau du chemin ondulaient sous la frappe des gouttes. Fantôme me regardait avec un oeil compatissant. Il semblait désolé pour moi. Nous écourtions notre promenade. Nous avions malgré tout senti les odeurs des feuilles, des pommes et du buis.

Le matin, tandis que je poussais mon caddie entre les allées des rangées de cadeaux de Noël de l’un des temples de la consommation, je m’offrais plusieurs madeleines de Prout. Devant toutes les figurines et les articles des Sylvanian, imaginés au Japon voici trente ans, je repensais à cette liste au Père Noël que notre cadette, Victoire, avait écrite. Je me souvenais combien elle s’était appliqué utilisant des stylos de différentes couleurs et la décorant avec des paillettes. Cette année-là, notre Victoire, adepte des univers délicats, des ambiances lilliputiennes, n’avait demandé au vieux monsieur à barbe blanche que des sujets et des accessoires Sylvanian. Comme tous les enfants portés par la magie de Noël, de ce grand rêve se faisant réalité, elle ne se rendait pas compte de la valeur de tout ce qu’elle avait demandé. Les Sylvanian sont aussi adorables qu’ils sont chers. Même si, clairement, le coût de ces figurines et accessoires étaient hors de prix, j’étais prête à en offrir une partie à notre cadette. Je souhaitais que la magie de Noël opère. Mon mari trouvait cela parfaitement ridicule. Finalement, c’est notre mère qui offrait à Victoire une petite maison avec les personnages lapins sans savoir qu’il en existait déjà une en Haute-Corse. Je redoutais la réaction de Victoire. Je la vis ouvrir un à un ses cadeaux dont aucun n’était sur la liste et, alors qu’elle découvrait le contenu du dernier, de grosses larmes roulèrent sur ses joues. Mes yeux se brouillaient. Je sentais monter en moi une grande vague de colère et me reprochais de ne pas m’être écoutée.

Dans les jours qui suivirent, Stéphane alla chercher dans la remise au fond du jardin le grand carton dans lequel étaient stockés tous les fascicules contenant les pièces et les objets d’une maison de poupée à fabriquer soi-même. Alors que nous n’avions pas encore d’enfant et vivions dans le Gard au retour d’un tour du monde, j’avais acheté pendant de longs mois tous éléments nécessaires à la construction d’une maison de poupée dont chaque pièce possédait son mobilier, ses accessoires et même ses lampes pouvant être éclairées.

Notre grand-mère m’avait offert une maison de poupée quand j’étais enfant. Nous habitions dans la Sarthe. Je revois encore les photos de ce Noël froid avec la présence chaleureuse de nos deux chiennes. Comme toujours, notre père avait choisi un sapin si grand qu’il avait fallu en couper la flèche. Ce cadeau de notre grand-mère est sans doute celui qui m’a le plus marquée. Pourtant, la maison n’était pas jolie. C’était une sorte de maison moderne dénuée de charme. Mon plaisir ne consistait pas y faire évoluer la famille constituée d’un père, d’une mère, d’une grande soeur et d’un petit frère mais de changer la destination des pièces et la décoration intérieure.

Stéphane passa plusieurs dimanches à monter avec les enfants la maison. Elle ne plut jamais autant à Victoire que l’hôtel playmobil ou la maison Barbie! Comme Louis et ses amis avaient pris l’habitude de tout mettre sans dessus-dessous dans la maison et avaient cassé plusieurs pièces du mobilier en bois, je décidais d’installer cette dernière dans mon bureau. Elle va désormais attendre la venue d’une petite-fille qui, comme sa mère ou sa tante, aimera les univers intimes et saura manipuler les choses avec délicatesse. Charlotte, notre dernière nièce, le moment venu, sera peut-être heureuse de redonner vie à la maison qu’habite toujours la famille de lapins Sylvanians. Victoire leur avait fabriqué, dans de petites boites d’allumettes, des pupitres.

Devant l’espace consacré aux poupées, je revoyais les doux visages de Léa et de Chocolat. Si Léa avait été offerte à Céleste par sa mamie pour ses deux ans, Chocolat était un des cadeaux que Stéphane et moi avions fait à Victoire pour un Noël. Chocolat était un adorable poupon noir portant un pyjama, des chaussons et un bonnet jaune. Les Noël et les anniversaires aidant, Victoire eut tout ce qui était nécessaire pour prendre soin de Chocolat: un lit, une poussette, un maxi-cosy et une grande collection de vêtements. En CM2, Victoire décida que le temps était venu de quitter l’univers des poupées. Elle me demanda de laver les vêtements, les draps et les couvertures. Ensuite, elle rangea le tout dans un carton qu’elle étiqueta et qui dort désormais dans le grenier de la bonne et vielle maison de Pont. Je crois me rappeler que Victoire a inscrit sur l’étiquette « Pour ma fille plus tard ».

Dans un rayon, je découvrais des micro-ondes, des grille-pain et des bouilloires électriques. Cela me rappelait cet aspirateur jaune et vert que Louis avait demandé au Père Noël ainsi qu’un fer avec une table à repasser. Je m’étais empressée d’accéder aux souhaits de Louis. Je trouvais merveilleux qu’un petit garçon s’intéresse à des jeux traditionnellement réservés aux petites filles, futures garantes de l’harmonie domestique. En grandissant, Louis demandait presqu’exclusivement des playmobils. A une époque, l’étage de la maison qui n’avait pas encore été « sacrifié » pour que notre benjamin y ait une chambre comptait deux châteaux-forts, deux bateaux de pirates, un commissariat, un ranch, une pyramide et un nombre incalculable de personnages bien souvent scalpés, démembrés et couverts de feutre rouge. Plus les playmobils étaient en piteux état et plus Louis les aimait car ils avaient combattu avec le plus grand des courages. Longtemps, j’ai trouvé des playmobils dans des endroits très originaux: ficelés au tronc du magnolia ou suspendus dans ses branches, plantés la tête la première dans la terre ou enterrés sous les graviers de la cour. Quand Louis partait, j’en profitais pour essayer de retrouver les cheveux des playmobils. Les voir avec un trou au sommet du crâne a toujours heurté mon sens de l’esthétisme!

Céleste, elle, nous avait contraints, sans le vouloir, à courir les boutiques pour lui trouver LE cadeau de Noël que cette année-là, toutes les petites filles désiraient: un kidisecrets: un journal intime électronique. Récemment, Louis avouait avoir essayé d’en forcer l’ouverture pour accéder aux secrets de sa grande soeur.

En repensant à tous ces jouets qui avaient fait le bonheur des enfants, à toutes ces heures passées à les trouver et à les emballer de la plus jolie des manières, une pointe de nostalgie m’envahissait. C’est si magique quand les enfants croient encore au Père Noël, que leurs yeux pétillent à la vue des paquets entourant le sapin, qu’ils découvrent, ravis, les cadeaux qu’ils avaient commandés. Je savais comment sortir de la nostalgie. Il me suffisait de me rappeler l’état du tapis persan après que les enfants aient cassé dessus les blocs de terre recélant les squelettes de dinosaures!

En ce qui me concerne, les moments que je préférais à Noël, dans le Gard, dans la bonne et vieille maison de Pont n’était pas lié à des cadeaux.  C’était la décoration du sapin et la préparation de la bûche avec notre père, l’installation de la crèche avec notre mère et la confection des fruits déguisés et des canapés avec ma soeur, l’apéritif dans le petit salon où, religieusement, nous écoutions des chants de Noël, la messe de minuit à laquelle nous assistions nos parents, ma soeur et moi, ce sentiment de partage si rarement éprouvé aussi fortement et ces concerts, films ou spectacles comiques que nous regardions, serrés les uns contre les autres, sur le vieux canapé marron. Iris, la chatte de ma soeur n’était jamais bien loin. A cette époque, notre famille était déjà orpheline de ses deux chiennes. Dès l’adolescence, ce n’était pas les cadeaux qui m’importaient mais une chaleur familiale, un sentiment d’harmonie d’autant plus fort qu’il était fugace et une vraie communion atour de la Nativité.

Tandis que je finis cette chronique, la nuit est tombée depuis de longues heures. Le froid et le brouillard enveloppent le plateau. La lune est vaporeuse. Chaque enfant est dans son lit. Fantôme est étendu au pied de l’escalier. Son menton repose sur la première marche. Si Moustache était encore de ce monde, il dormirait sur le lit de Louis. Stéphane est à Paris. Mes paupières sont déjà lourdes. Je sens que le chef de gare ne sera pas long à siffler le départ du train. Je vais me hâter de trouver ma place, côté couloir, dans le sens de la marche. Avec un peu de chance, j’atteindrai ma destination sans encombre, sans que le train ne marque l’arrêt dans une gare déserte et que, sans motif, un petit contrôleur bougon, sanglé dans un costume bleu nuit, m’oblige à descendre du train.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

1 commentaire sur “Chronique d’un esprit entre automne et souvenirs de Noël

  1. Nicolas aussi a eu comme cadeau de Noel un fer et une table à repasser ,il a eu aussi sa période de tricot ,y parait que Raymond tricotait très bien
    Je lis toujours avec plaisir tes « hors cadre  »

    Je t’embrasse

Répondre à Bourbigot Marie-Thérèse Annuler la réponse

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