Chronique d’un séjour à Bonneval-sur-Arc

Si vous avez lu les deux dernières chroniques, vous savez la raison qui nous a fait tourner le dos au Queyras cette année pour choisir la Savoie et son village de Bonneval-sur-Arc dans le parc national de la Vanoise. Comme beaucoup de personnes ayant été régulièrement déracinées, je m’attache vite à certains lieux avec lesquels je noue des liens privilégiés. Saint-Véran et ses hameaux en sont un bel exemple. J’imagine que le fait que ma famille maternelle y ait eu l’un de ses berceaux, à Ceillac, a pu jouer dans cette affection. C’est à Saint-Véran, qu’âgée de dix ans, élève en classe de CM2, j’ai séjourné plus de quinze jours avec ma classe. A l’époque, nous habitions dans la Sarthe, au Mans. Avant, nous avions vécu à la Martinique et, bientôt, nous découvrions Rochefort-sur-Mer rendue célèbre par Demy, Legrand et les jumelles et, avant, par Colbert et sa corderie royale où sera reproduite, à l’identique, l’Hermionne, ayant conduit le marquis de La Fayette aux Etats-Unis en 1780.

Je me rappelle que toutes les nuits pendant ce séjour, je pleurais sur mon oreiller car ma famille me manquait. Tous les jours, pendant les leçons de ski, mes pieds gelaient et je chutais. Je m’étais foulée le pouce de la main droite qui s’était retrouvé coincé entre mes skis! Un brouillard terrible avait fait disparaître les montagnes. On ne voyait plus le bout de nos spatules. Le jour de l’Epiphanie, j’avalais la fève pour ne pas être obligée de choisir un roi! C’est à Saint-Véran que je découvrais pour la première fois des Saint-bernard dans la rue principale. Je m’attendais à trouver des tonnelets d’alcool suspendus à leur cou mais ils n’en avaient pas.  Par ailleurs, dans ce village si incroyablement figé dans un temps passé, j’étais assurée de rencontrer Heïdi, son grand-père, Peter et les chèvres. Dans une boutique de souvenirs, j’achetais des coquetiers en bois sculptés à nos parents et une marmotte à ma soeur. Je rêvais d’offrir à notre mère un coucou mais ils étaient bien trop chers. Les coquetiers sont dans l’un des placards de la bonne et vieille maison de Pont et la marmotte prend la pose et la poussière sur une étagère dans la chambre de notre mère.

J’aime vraiment ce bout du monde situé dans le département des Hautes-Alpes, ses chalets dont les balcons s’offrent aux rayons du soleil, ses cadrans solaires dont les maximes philosophiques interrogent sur le sens donné au temps, à la vie, à la mort, ses fontaines ronronnantes étanchant la soif des hommes et des bêtes et son ciel si pur que, la nuit, on caresse les étoiles du bout des cils. Quand j’ai connu celui qui deviendrait mon mari devant Dieu pour le meilleur et pour le pire et le père de nos trois gentils monstres, celui qui me ferait, sur le tard, renoncer à contre-coeur à mon nom de famille que j’avais commencé à forger par mon travail universitaire, j’ai eu besoin de lui montrer les endroits qui comptaient pour moi.

Nous avons démarré par la bonne et vieille maison de Pont-Saint-Esprit en Gard rhodanien, ma seule vraie maison, avons continué par l’Estérel où vivent mon unique oncle et sa femme également ma marraine, avons poursuivi par la découverte du Finistère sud où, à Bénodet, Stéphane, avec la complicité du clan Guillou, organisait des fiançailles surprise et, enfin, est venu le Queyras, à la fin du printemps. Nous avions décidé un tour du mont Viso mais des pluies diluviennes nous avaient contraints à revoir nos plans. Tous les jours, nous partions marcher à la journée. Il faisait un temps magnifique. L’eau cavalait dans les ruisseaux. Les estives offraient un lieu idéal pour les pique-niques. Les fleurs couvraient les alpages. Une délicieuse odeur de miel flottait dans l’air.

S’agissant de Paris où je vivais quand Stéphane et moi avons fait connaissance, il faudrait de longues années avant que mon mari ne succombe à son charme et comprenne les raisons profondes qui me faisaient m’y sentir vraiment chez moi. Récemment, je disais à l’un de mes jeunes patients qui, son bac en poche, partira étudier à Paris qu’il n’y a pas meilleur endroit pour vivre ses années étudiantes et que lorsqu’on est créatif (c’est le cas de ce jeune homme) on est nourri sans cesse et porté par une énergie extraordinaire. Pour résumé ce sentiment, je lui expliquais que pendant mes douze ans de vie à Paris, il m’avait semblé avoir les doigts branchés sans cesse dans une prise électrique! Pour moi, alors, une sensation extraordinaire!

En bon natif de la Bresse, Stéphane est un excellent skieur qui continue à skier pour nos enfants, pour que, plus tard, eux aussi, puissent dévaler des pistes avec leurs enfants. Dès que notre trio sera parfaitement autonome, nous le laisserons s’amuser sur les pistes et nous irons marcher à la journée avec Fantôme, notre berger australien. Avec des jumelles, nous essaierons de deviner la présence de chamois ou de bouquetins. Stéphane et moi n’aimons pas les grandes stations où l’on passe plus de temps à attendre à un télé-siège qu’à descendre une piste. Nous fuyons les stations chics où les sportifs exhibent des tenues hors de prix et où, les femmes, passées un certain âge, présentent des cicatrices étranges à l’arrière des oreilles.

Les enfant et nous n’avons pas eu de coup de coeur pour Bonneval-sur-Arc. Manque de chance l’appartement que nous louions à une monitrice ESF de Val d’Isère était à l’ombre toute la journée. Le village est assez encaissé. Le soleil est long à passer les montagnes mais rapide à les quitter. Nous avons eu froid. Les années dans le Queyras nous ont donné de mauvaises habitudes: skier en polaire sur une neige transformée, déjeuner sur le balcon en tee-shirt, dominer la vallée. Avec un papa aussi pédagogue que le leur, les enfants ont encore progressé et Céleste et Louis se sont initiés au snowboard. Le matin, les enfants travaillaient ou faisaient de la luge et Stéphane et moi allions marcher. Ensuite, pique-nique sur des tables en bois près d’un télé-siège et ski avant que le soleil ne disparaisse.

Les enfants ont regretté le chalet de mamie Arlette, une femme incroyable qui partage sa vie entre les Hauts de Seine et le Queyras. Au tout début des années 70, son mari, leur quatre fils et elle sont tombés sous le charme des Hautes-Alpes. Ils ont décidé, avec un couple d’amis, d’y faire construire un chalet tout en bois. Quand il fait très beau, le mélèze chauffé par le soleil exhale une odeur très particulière. Tous les ans, mamie Arlette nous invite à prendre un apéritif chez elle. Comme on est bien autour de la cheminée avec un verre de vin blanc! En février dernier, avec Victoire, nous nous sommes offert une marche merveilleuse jusqu’au refuge de la Blanche. Le déjeuner en terrasse et la descente en luge furent les récompenses.

Cette année, nous avons décidé de confier notre quatrième enfant tout poilu à ma mère. L’an passé, Fantôme avait souffert de crevasses et, dès le premier jour, alors que nous vidions le contenu du coffre et qu’il se promenait librement, il avait combattu tous crocs dehors avec un chow-chow fauve auquel il manquait la patte avant droite. Les deux mâles avaient largement dépassé le stade de l’intimidation. Fantôme avait coupé un bout d’oreille au chow-chow et ce dernier lui avait fait un trou dans la patte. La plaie avait été longue à cicatriser. Dans les stations, les chiens en liberté sont nombreux. Les chiens dévolus à la garde des bêtes aux beaux jours vivent souvent dehors. Fantôme qui est un mâle dominant que j’ai refusé de faire castrer se bat volontiers. Séparer deux animaux est difficile et contrairement à ce que disent la plupart des maîtres, les chiens ne cherchent pas seulement à s’intimider, ils peuvent se faire du mal. J’en ai fait l’expérience très désagréable et effrayante à plusieurs reprises.

Epuisée par mon travail de sophrologue en sabots, j’avais vraiment besoin de casser un rythme infernal. Le matin, sans Fantôme, je n’ai pas été obligée de me lever avant tout le reste de la troupe pour lui donner une bonne heure de promenade avant que nous partions skier avec les enfants. Le soir, alors que nous venions de franchir le pas de la porte, les chaussures de randonnée étant remplacées par les chaussures de ski, je n’avais pas à repartir arpenter le village et ses environs avec notre chien sportif et dont le large gabarit se prête mal à des appartements à la montagne. Accueillir un animal dans sa vie, c’est assumer de lui offrir la vie qui correspond à ses besoins pour qu’il soit heureux et équilibré. Fantôme est calme et n’a jamais fugué. C’es la preuve que nous lui consacrons tout le temps et l’énergie conformes à sa nature sportive et ludique.

La première fois où nous sommes allés à Saint-Véran en février, nous étions logés dans un chalet en plein coeur du village non loin de l’église réformée. Nous occupions un appartement au premier étage dont la fenêtre s’ouvrait sur un balcon exposé plein sud. Les filles, elles, étaient délocalisées au second étage dans une chambre indépendante. Fantôme dormait au pied du lit superposé installé dans la cuisine/salle à manger. La place du bas était occupé par Louis. A chaque fois que Louis bougeait, que les filles descendaient pour aller aux toilettes ou que Stéphane ou moi nous levions, Fantôme s’agitait et on entendait sa queue battre la mesure sur le parquet. Dans le calme de la nuit, ce bruit évoquait celui d’une baguette venant marteler la peau tendue d’un tambour. A la fin du séjour, le monsieur qui était installé au rez-de-chaussée avec sa fille s’était demandé ce qui pouvait faire tant de bruit! Plus Stéphane haussait le ton pour que Fantôme cesse et plus il battait fort de la queue. Cela déclenchait chez moi un véritable fou rire!

On ne se doute pas combien les vacances à la montagne en famille sont comiques et épuisantes entre les skis et les bâtons à porter tant que les enfants sont petits, les dérapages pas toujours contrôlés avec des chaussures lourdes comme des fers à repasser sur des chemins glacés, le sketch du rangement des skis et des bâtons dans des casiers ridiculeusement petits, les pauses « pipi » avec des combinaisons dont les manches se sentent si facilement attirées par la cuvette des toilettes et le bâton qui joue la fille de l’air depuis le télé-siège…Si j’étais humoriste, je pense que j’aurais consacré un spectacle aux vacances au ski!

Ce que Stéphane et moi avons préféré c’est le hameau de l’Ecot situé quatre kilomètres au-dessus de Bonneval. On y accède par le sentier des agneaux  longeant le canyon de l’Arc ou par une piste damée. C’est à l’Ecot qu’ont été tournées les scènes de village de « Belle et Sébastien ». La première fois que nous y sommes montés, une tempête de neige avait rendu impraticable et dangereux le sentier et la route n’était pas damée. Nous nous enfoncions jusqu’aux cuisses et avions du renoncer alors que nous étions à cent mètres de l’église. Un vent glacial soufflait.

Le soleil revenu, le jour de la saint Valentin, nous avons réservé dans le seul restaurant et salon de thé de Murielle Anselmet dite « Mumu ». Le hameau était abandonné à ses souvenirs depuis 1970 et c’est Murielle Anselmet qui a été la première à s’y installer à l’année dans un chalet ayant appartenu à une tante et un oncle. Après vingt ans de vie de gardienne au refuge du Carro et des Evettes, elle a eu envie de redonner vie à l’Ecot. Quand elle ne cuisine pas des plats et des gâteaux délicieux, elle travaille dans son atelier de poterie. Les mois d’hiver, elle conduit ses deux filles à l’école en moto neige.

« Chez Mumu », nous avons très bien dîné dans une ambiance chaleureuse avec notamment des Français installés à Zürich et deux couples membres du yacht club de Monaco ayant restauré des chalets dans le hameau. La jeune femme qui officiait dans la salle était native de Montpellier. Venue travailler une saison, elle s’était tant plue à Bonneval qu’elle ne voulait plus en bouger. Quand nous nous sommes arrachés à la chaleur des lieux, la nuit était tombée depuis deux heures. Un grand quart de lune éclairait les montagnes. La grande ourse était facilement observable ainsi que d’autres constellations dont j’ignore le nom. La lumière de la lune projetait les ombres des branches des arbres sur la neige. On entendait couler l’Arc sous le pont de la Lama, pont vouté romain. Ces moments étaient absolument magiques et nous renvoyaient loin en arrière à l’époque de notre tour du monde, notamment lors d’ascensions de sommets en haute montagne commencées à minuit. Les enfants avaient refusé de nous suivre et je trouvais dommage qu’ils ne partagent pas avec nous ces instants merveilleux au plus près de la nature.

Maintenant, nous avons regagné notre plateau sur lequel commence à lever une barbe verte. Fantôme nous a fait une fête incroyable! Notre mère a aimé ses cadeaux: une flasque de Chartreuse et une cloche comme celle qu’en porte les vaches dans les alpages. Fantôme et moi avons retrouvé Muguette et son arche de Noé photographiée par Michèle. Chez nos voisins, une brebis a mis au monde deux agneaux. Samedi, en fin de journée, nous avons entendu chanter les grues cendrées alors qu’elles volaient au-dessus de la maison. Plus que les hirondelles, elles sont pour moi le signe que le printemps est à nos portes. Les écouter chanter et les voir voler est toujours un moment merveilleux.

Quelques jours à jongler entre patients et enfants, révision en vue des contrôles de la rentrée et rangement éternel dans la maison, sorties avec Fantôme au point du jour et visites à Muguette et le trio aura regagné le collège ou le lycée. Si les bonnes mines ne dureront pas, les globules rouges fabriquées pendant une semaine en altitude nous porteront jusqu’à la fin de l’hiver.

Bonne semaine à vous tous!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

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