Chronique d’un séjour en Haute-Corse

Je me rappelle, enfant, qu’au soir du dernier jour d’école, il me semblait que les grandes vacances dureraient toujours. Et puis, la veille de la rentrée, avec mon cartable sentant bon un mélange de cuir et de fournitures scolaires neuves, les ongles parfois encore mauves du jus des mûres, j’étais un peu sonnée. Je n’avais pas vu l’été passer! Un été mosaïque: un peu de Finistère et de Var, beaucoup de Gard. Nous ne nous aventurions jamais en famille au-delà des frontières de l’hexagone. Notre père aimait voyager mais seul. Il nous relatait ses séjours européens ou africains dans des lettres ou des cartes que nous avions tant de joie à recevoir. Il pouvait y ajouter le menu d’un dîner officiel à l’ambassade de France à Madrid ou à Londres, à Bamako ou à Dakar. Ce sont ses récits si vivants et colorés qui m’ont donné envie de découvrir le continent africain, le Mali en tête. Je regrette que lors de notre grande respiration de novembre 2000 à décembre 2001, nous n’ayons pas découvert l’Afrique. Voici vingt ans, les pays qui m’attirent n’étaient pas gangrenés par l’islamisme et ensanglantés par les conflits armés.

Dans la famille de mon mari, les étés étaient différents. Mes beaux-parents étaient d’authentiques adeptes du dieu Râ. Ils cherchaient la brûlure du soleil. Ils étaient attirés par les rivages méditerranéens. Ils ne redoutaient pas, en voiture, depuis l’Ain, de gagner la Grèce ou la Yougoslavie. Mon beau-père aimait pêcher depuis son zodiac avec ses deux enfants ou peindre de magnifiques aquarelles à l’ombre d’un pin parasol. Ma belle-mère aimait lire tout en offrant son corps aux rayons du soleil et jouer avec ses enfants dont elles étaient seulement séparées par vingt et une petites années. Les dernières années de sa vie, mon beau-père s’installait plusieurs mois à Venise ou à Burano. Ma belle-mère m’a souvent dit qu’elle aurait aimé partir sillonner la planète avec un sac à dos. Par la magie de la littérature, elle voyage inlassablement.

Mes beaux-parents avaient passé de si merveilleuses vacances itinérantes en Corse qu’ils ont, avec leurs enfants, fait l’acquisition d’une maison en Balagne, dans le petit village de Lumio, entre Calvi et L’Ile-Rousse. Le temps passant, leurs quatre petits-enfants se sont beaucoup attachés à cette maison. Chez nous, c’est Louis qui aime le plus séjourner en Corse, sous réserve d’y être avec son papa, son héros dont il ne parvient jamais à se rassasier.

Contrairement à mon mari, j’aime les pays secs et froids. Je suis attirée par l’Ecosse, l’Islande, la Scandinavie, Terre-Neuve, les pôles. Heureusement, nous avons réussi à communier autour de trois régions froides: l’Himalaya, la Patagonie et le Queyras. Je me rappelle une offre d’emploi qui m’avait tellement tentée publiée en 2015. Une place de postière était à pourvoir sur la base de Port Lockroy en Antarctique de novembre à mars. Si j’avais été une scientifique, j’aurais aimé pouvoir partir en mission sur la base française Dumont d’Urville. Dans un autre registre et bien plus accessible, je me serais bien vue en gardienne de refuge en haute-montagne. Mais, là, maintenant, tout de suite, si je pouvais, si je n’avais pas trois enfants et un cabinet, je demanderais à être embarquée sur l’Ocean-Viking qui, depuis le port de Marseille, vient de partir pour sa seconde mission de sauvetage des migrants. Il m’est absolument insupportable d’assister impuissante à ce drame humain et ce depuis beaucoup trop d’années!

Cet été, pendant quinze jours, pas de glace mais la mer Méditerranée, à la fois « grande bleue », « cimetière marin » et  mer la plus polluée au monde. Nous avons vécu en Balagne à l’heure de notre dernière petite nièce, Charlotte, née en juin 2017. Cela nous a permis de redonner à nos adolescents un rythme de vie plus sain. Durant deux semaines, nous avons largement profité de longs bains de mer dans une eau à 26 degrés (un autre aspect du réchauffement climatique), réussi à retrouver un sentiment de solitude dans une toute petite crique située sous le phare de la Revellata et ne permettant le mouillage que d’un seul bateau, entrepris notre traditionnelle marche avant le coucher du soleil jusqu’aux ruines d’Occi, au-dessus de Lumio, tenté, sans succès, pour la seconde fois, d’atteindre le sommet du Monte Tolu (nous nous étions une nouvelle fois trompée de chemin), eu le bonheur de toucher l’âme corse du bout de nos doigts depuis la terrasse ombragée d’un café à Speloncato, dîné les pieds dans le sable, été découvrir, avec le bateau, au départ de Saint Florent le désert des Agriates et déambulé dans les ruelles de L’île-Rousse, beaucoup plus agréable que Calvi dont la citadelle, la nuit, est envoutante.

Franchement, je n’ai pas compris l’engouement des gens pour les plages du désert des Agriates. Il y avait tant de bateaux au mouillage qu’on se serait cru à Porquerolles au coeur de l’été. Tout autour de Calvi, on trouve des plages tout aussi jolies et sauvages. Du désert des Agriates, c’est l’Ostriconi que je préfère avec ses vaches endormies sur le sable et sa rivière venant se jeter dans la mer. Ce que j’aime le plus en Balagne, ce sont les villages retranchés dans les montagnes, des villages difficiles d’accès comme Muro, Feliceto, Nessa, Belgodere, Corbara, Lavatoggio, Montemaggiore ou encore Calenzana. Les églises romanes sont magnifiques. En redescendant du Monte Tolu, nous avons fait une halte à Speloncato. Nous nous sommes promenés entre les ruelles avant de nous installer à la terrasse d’un café, à l’ombre d’un murier.

De l’autre côté de la place, un groupe de femmes retraitées discutaient. Elles étaient assises en rond. Toutes étaient fardées, habillées avec élégance et bien coiffées. Un chat noir aux yeux verts passait et repassait entre leurs jambes. Dans une grosse voiture blanche, des hommes en treillis affichant des mines réjouies traversaient la rue principale en klaxonnant. C’était le retour de la chasse aux sangliers.

Au sommet du village, depuis le quartier de la Cima, on bénéficie d’une vue magnifique jusqu’à la mer. A l’ouest, on découvre la Petra Tafunata, la roche percée. Après l’équinoxe de printemps et un peu avant celui de l’automne, on peut voir le soleil apparaître à travers la pierre à son coucher.

Tous les matins, entre 8h30 et 9h00, Charlotte poussait la porte des chambres de son frère et de ses cousins pour aller les réveiller. Une fois, elle s’était munie de la tapette à mouches! Quel bonheur pour un tout-petit d’avoir de grands cousins! Nos filles la faisaient jouer dans la mer ou dans la piscine, lui donnaient sa douche, lui racontaient des histoires, lui mettaient des bigoudis, composaient des petits bouquets de fleurs et faisaient de la peinture. Comme tous nos enfants avant elle, Charlotte parle déjà très bien et aime apprendre sans cesse de nouveaux mots. Par ailleurs, avec une grande soeur de 19 ans et un frère de 15 ans, elle aspire à tout faire toute seule. Sa maman et elle ont une relation très fusionnelle.

Jeudi 28 août, après avoir récupéré nos bagages à Orly, nous étions tous tristes de nous quitter. Ma soeur et moi sommes très proches mais ne pouvons pas nous voir aussi souvent que nous le voudrions. Le fait que nous soyons vraiment une micro famille et que nous ayons dû traverser ensemble de nombreux orages a renforcé nos liens. Nous n’avons pas connu de grandes messes familiales, de cousinades. Chez nous, à Noël, dans le meilleur des cas et de manière rarissime, nous étions sept!

Les quelques brins d’immortelle que j’ai ramassés au-dessus de Speloncato n’exhalent aucun parfum. Il faut que la température monte dans mon bureau. J’attends ma première patiente. La maison est incroyablement calme. Fantôme dort dans l’entrée. Victoire n’a pas souhaité que son papa la conduise au collège. Elle a préféré prendre son car non loin de la mare sans eau de Muguette et retrouver tout de suite ses amies et sa place du fond, la place des « grands », des élèves en classe de troisième. Stéphane a emmené Louis et j’ai retrouvé, avec Céleste, la route qui mène au lycée et passe par la forêt. Je me rappelle mon émotion l’an dernier quand, un lundi matin, j’ai déposé notre aînée alors qu’elle allait faire son entrée en seconde. Elle était sortie de la voiture après m’avoir embrassée. Elle était partie sereine rejoindre quelques amies. Je la voyais s’éloigner. Ses grands cheveux dorés dansaient tout autour d’elle. Tant d’images se télescopaient dans ma tête: sa naissance, ses premiers mots, ses premiers pas le long du Rhône, son entrée à la maternelle, à l’école primaire, au collège. C’est la vue brouillée que j’avais repris le chemin du retour.

Cette année ne sera pas forcément simple: une aînée en première, une cadette en troisième, un benjamin en cinquième, un mari débordé, pas de relais familial et ce changement de décade, sans doute l’un des plus difficiles à négocier pour une femme. Dimanche dernier, alors que je faisais du repassage dans mon petit atelier clandestin, j’ai été brutalement envahie par une énorme bouffée sombre en me décidant à jeter les lampions que les enfants fabriquaient pour le défilé de la fête de l’école. Heureusement, je sais pouvoir puiser dans la nature, avec Fantôme, notre fidèle berger australien, au point du jour, les forces nécessaires pour rester en scelle.

Bonne rentrée à vous tous!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

3 commentaires sur “Chronique d’un séjour en Haute-Corse

    1. Chère Dominique, je suis toujours heureuse de vous lire. Rares sont les personnes qui prennent le temps de laisser un petit mot. Je vous embrasse en espérant votre trio en bonne forme

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