A pas feutrés, une petite fille remonte le
couloir. Je l’imagine s’interdisant de marcher, sur certaines formes
géométriques, du long tapis étroit qui s’étire tel le serpent monétaire. Si
elle se trompe, elle se donnera un gage ou, alors, son vœu ne sera pas exaucé. Avant
qu’elle n’ait eu le temps de pousser la porte de notre chambre, je me dresse
sur un coude, en l’occurrence le gauche, pour découvrir l’heure dont les
chiffres rouges sont projetés sur le bas d’un placard. 6h30. Non, mille fois
non, ce n’est pas encore possible ! La petite fille entrouvre la porte, le
pouce dans la bouche et le doudou, ou du moins ce qu’il en reste, dans la main
restée libre. Le pauvre doudou est si mal en point que les travaux d’aiguille
ne lui sont plus d’aucune utilité. La petite fille en a pris son parti.
Gentiment mais fermement, je l’invite à continuer
sa nuit. Elle obtempère et repart en sens inverse. J’ai à peine reposé la tête
sur l’oreiller que la voix de notre fils, dormant seul à l’étage, me parvient
dans le baby phone. Je mets le son au plus bas. Enfin, c’est notre aînée qui allume
sa lumière et commence une partie de cartes solitaire. Son père lui demande de
se rendormir. Pas un instant, nous doutons de l’heure affichée par le réveil
relié, par l’opération du Saint Esprit, à un satellite tournoyant, à des
milliers de kilomètres, au-dessus de nos têtes. Nous sommes samedi. Les filles
sont en vacances depuis hier. Nous avons promis d’être à Paris à 11h15. Cet
horaire n’est pas négociable. Avant, nous devons déposer notre petit garçon
chez sa grand-mère. Ce soir, nous le récupérerons et laisserons les filles pour
quelques jours. La théorie des vases communicants s’applique aussi aux
enfants ! Mon mari se relève et me dit : « il fait jour
dehors ! Le réveil ne doit pas marcher ! ». En effet, il est
huit heures trente.
Je bondis, en dehors du lit, avec la rapidité
d’un chat qui aurait vu se faufiler une souris. Je saute littéralement dans mes
vêtements que j’ai eus la bonne idée de préparer la veille et me rue dans la
salle de bains. Le tout, bien sûr, en pestant et en me maudissant de ne pas
avoir cru bon de mettre un réveil. Alors que je ne décolère pas, me coiffe et
me maquille à la va-vite, mon cher mari me rejoint pour prendre sa douche. Lassé
de m’entendre ruminer mon agacement, il se fâche. La journée commence
bien !
Il ne voit pas pourquoi je suis stressée alors
qu’il est maintenant 8h50, que les filles ne sont pas habillées, n’ont pas pris
de petit-déjeuner, que notre fils crie famine depuis le fond de son lit, qu’à
cette heure avancée, il doit être trempé sur trois épaisseurs (body, pyjama et
turbulette) que nous devons avoir levé le camp à 9h30 et que je souhaite
remettre un peu d’ordre dans la maison.
Tandis que notre aînée a sorti son frère de son
lit, lui a donné son biberon et qu’avec sa petite sœur, elles commencent,
mollement, à s’habiller, les yeux rivés sur l’écran de la télévision, mon mari
s’est tranquillement assis et prend son petit-déjeuner. J’ai déjà monté et
descendu les escaliers dix fois. Je doute de trouver le temps d’absorber
quelque chose. Une petite voix me souffle que je dois avoir la marque des plis
de l’oreiller incrustée sur la joue droite. D’un revers de la main, je balaie
cette sournoise petite voix intérieure.
Si vous saviez comme, dans ce genre de
situations, j’envie et admire toutes celles et tous ceux qui sont nés sous le
signe de la planète zen. Je me maudis de ne pas être capable, comme eux, de
laisser, sans problème aucun, une maison avec des chambres défigurées par des
lits en pagaille, des reliefs du petit-déjeuner sur la table de la salle à
manger et, au fond de l’évier, des bols pleins de chocolat au lait, des
couteaux gras et des verres sales parce que la machine à laver a tourné la nuit
et que je n’ai pas eu le temps de la vider.
De la même manière, je voudrais être capable,
malgré les aiguilles qui tournent, de prendre le temps de m’asseoir pour
petit-déjeuner plutôt que de finir par boire mon café, debout, tout en grattant
les restes de lait sur les bords de la casserole et en lavant les biberons que
nous devons glisser dans les sacs. Mon mari, lui, ne se départit à aucun moment
de son flegme légendaire qui pourrait le faire passer, sans difficulté, pour un
sujet de
Toujours
trouve même le temps de faire les quatre lits. Quand, cette nuit, à trois
heures du matin, après un dîner à la fois détendu et détendant, nous pousserons
la porte de la maison, avec notre petit garçon, je serai ravie de ne pas avoir
à faire mon lit avant de m’y glisser !
Nous quittons la maison à
l’heure dite et, dans la voiture, la tension retombe. Les enfants, comme
toujours, sont en grande forme et se plaisent à improviser librement sur les
morceaux de musique que nous écoutons. Entre deux averses, le soleil pointe le
bout de son nez. Nous nous offrons le luxe d’être en avance.
Deux papas partent vaquer à leurs occupations. Une
maman, metteur en scène, a quitté la maison depuis longtemps. Elle rentrera
tard. Je reste avec les quatre cousins. Après une mâtinée immobilière pour
certains et dessins animés et devoirs de classe pour d’autres, nous allons nous
garer dans le ventre du parking souterrain du centre commercial de la place
d’Italie. Rien à faire, je ne parviens pas à dompter le malaise récurent qui
m’envahit dès que je suis plusieurs mètres sous terre. La lumière naturelle et
l’air extérieur, aussi pollué soit-il, manquent cruellement dans ces univers
dédiés à la consommation de masse et à la restauration rapide. Pour complaire
aux enfants, nous allons rendre visite au clown rouge et jaune. Deux papas,
patients et courageux, se mettent dans la file d’attente aussi longue que
celles qui se forment, parfois, devant certains guichets postaux. De notre
côté, les enfants et moi, nous mettons en quête de places libres. Après un bon
quart d’heure, nous nous installons. Comme il n’y aura pas de places assises
pour tout le monde, les papas déjeuneront debout, leurs plateaux collés à la
pile de vêtements qui, à tout instant, menace de s’effondrer emportant avec
elle verres de coca, glace à la vanille et ramequins de ketchup.
Les enfants se délectent à renfort de frites et
de chicken mac nuggets. L’enseigne américaine essaie de se refaire une
virginité diététique. Le jus de fruit est sans sucres ajoutés et, en guise de
dessert, les enfants croquent des bouts de pomme et des grains de raisin,
conditionnés dans des petits sachets en plastic, où on s’attendrait plutôt à
trouver des nounours gélatineux et des crocodiles gluants, des fraises tagada
et des petits dragibus. De mon côté, j’accompagne chaque frite, bientôt sèche
et froide, d’une feuille de ma grosse salade dont la sauce blanche est
terriblement sucrée. Je repense au film « super size me » et aux
ravages sur l’alimentation causés par la mondialisation.
Après le déjeuner, nous sortons de terre et
retrouvons la lumière naturelle de ce samedi très « après la pluie, le
beau temps ». Avenue des Gobelins, nous nous offrons une plongée dans le
monde du silence. La salle est comble. Beaucoup de petits-enfants sont accompagnés
de leurs grands-parents. Les aînés viennent initier les plus jeunes aux
richesses du monde marin. Nous avions adoré « Himalaya, enfance d’un chef »
dont les accords musicaux nous avaient rattrapés et accompagnés le temps de nos
promenades dans les rues étroites et sinueuses de Katmandou ou de Leh. Nous
avions été conquis par la poésie du « peuple migrateur ». Nous étions
donc tout près à aimer « océans » et à nous laisser voguer au son de
la voix, profonde et chaude, de Jacques Perrin.
Et puis, nous avons été déçus, vraiment déçus.
Plus encore, sans doute, parce que nous appartenons à une génération élevée au
sein des documentaires du commandant Cousteau, que nous avons tous rêvé d’être
océanographes et que « le grand bleu » restera un de nos films
cultes, un peu comme « les enfants du paradis » ou « le
guépard » pour nos parents.
Le film nous a déçus,
nous les grands, parce que nous n’avons pas rêvé, qu’il n’y avait ni début ni
fin, que le poisson se mordait
voir évoluer le couple d’animateurs jumeaux le plus célèbre de la télévision,
dans une sorte de parade amoureuse, dix milles lieues sous les mers. Certains
passages étaient très beaux. Ils étaient, malheureusement, noyés dans un
ensemble décousu et trop long. Les enfants étaient heureux et ont même ri, même
si, à la fin, ils décrochaient et étaient las de voir plonger et tournoyer dauphins
et baleines. Les deux plus jeunes cousins ont été très malheureux de voir
mourir, dans un combat perdu d’avance, des requins, des dauphins, des tortues
pris au piège des immenses filets dériveurs.
En sortant, j’ai pensé que le plus important
résidait dans le fait que ce film, ultra médiatisé, remplisse son rôle
pédagogique en faisant en sorte que tous les enfants qui le verront ouvrent,
sur l’environnement qui les entoure, les mêmes grands yeux curieux que le plus
jeune fils de Jacques Perrin.
Anne-Lorraine
Guillou-Brunner
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