Le couvre-feu empêche la veillée pascale. Certaines paroisses ont l’excellente idée de la décaler au dimanche matin. L’enthousiasme de Victoire semble communicatif car Léa, l’une des ses amies la plus proche née le même jour qu’elle, demande à nous accompagner. A 5h10, je m’extraie du chaud du lit. J’entends la respiration calme de Stéphane. Je m’habille à tâtons. Il a gelé. Pour résister au froid, j’enfile un col roulé en laine mérinos acheté en Nouvelle-Zélande voici plus de vingt ans. Bien qu’il soit légèrement troué au niveau de l’avant-bras droit, je le conserve comme une relique sainte. Je n’ai encore jamais rien eu d’aussi léger et chaud.
Les animaux sont surpris de me voir descendre dans la cuisine d’aussi bonne heure. Je vais réveiller Victoire qui me demande cinq minutes de grâce. J’obtempère. Je m’oblige à boire un café et à manger quelque chose. Je vais chauffer la voiture. La lune éclaire le plateau. Le ciel est piqué d’étoiles. Le pare-brise est givré. Nous passons chercher Léa. Victoire nous ambiance avec des standards des Bee Gees ou de Mickaël Jackson. Je roule au pas. C’est l’heure où les animaux traversent les routes. Il est 6h10 quand nous nous garons sur le parking de l’église. Pas un chat. Pas un bruit. On se croirait dans un roman de Simenon avant qu’un crime ne soit commis. L’heure passe et, justement, il ne se passe rien. Où sont les fidèles? Où est Paul qui va célébrer la messe? Ont-ils tous eu une panne de réveil? Victoire appelle Armelle, servante de messe. Avec sa maman, malgache, et sa jeune soeur, elles sont en chemin.
Nous quittons la voiture et pénétrons dans une église déserte. Laure qui enseigne la philosophie à l’Institut catholique de Paris vient nous chercher. J’admire sa démarche cadencée en cette heure matinale. Le début de la célébration, l’office de la lumière, se déroule devant la propriété dont, tout à l’heure, les propriétaires nous ouvreront largement leurs portes pour un petit-déjeuner réconfortant. Nous avançons en file indienne. Les oiseaux chantent la montée du jour dans un ciel encore parfaitement sombre. Il fait très froid. Le feu qui crépite est le bienvenu. Il me rappelle de très lointains souvenirs de scoutisme. Paul allume le cierge pascal et évoque l’alpha et l’oméga, signifiant que Dieu est le commencement et la fin de toutes choses. Nous allumons tous un cierge et tentons d’en protéger la flamme avec notre main. Je suis déjà parfaitement congelée.
Nous suivons Paul et les servants de messe jusque dans l’église où des cierges brillent. Je suis sensible à cette ambiance feutrée qui me fait penser aux maisons dans lesquelles les premiers chrétiens se réunissaient quand Rome les persécutait. Beaucoup de chants et d’allégresse. Léa ne s’ennuie pas un seul instant. Victoire est ravie. Quant à Armelle, elle est heureuse de voir ses deux amies dans l’assistance. Le jour est levé. Les cierges sont éteints. Nous retrouvons le lieu où, à l’aube, a brûlé le feu nouveau, signe de purification et de renaissance. Nous sommes accueillis dans une ravissante propriété dont les portes donnent sur un grand jardin et un bois où, depuis onze ans, vit un chevreuil prénommé Bambi. Un feu réconfortant brûle dans la cheminée. Le café fait du bien. Je le bois dehors tout en regardant les enfants se livrer à une immense chasse aux oeufs. Je retrouve un couple que je n’ai pas vu depuis longtemps. Comme leurs deux filles, Camille et Estelle, ont grandi!
Tandis qu’un petit garçon souhaite à tout prix que je prenne un oeuf dans son panier, les filles se précipitent vers moi, flanquées de Paul et me demandent si je veux bien qu’elles viennent en renfort de la chorale qui va animer la messe de dix heures trente. Elles sont si enthousiastes que je n’ai pas le coeur à leur dire non. La messe sera très longue car sept catéchumènes vont recevoir le baptême. Parmi eux, une maman et ses cinq fils.
Je dépose les filles à l’église et ai juste le temps de faire un aller-retour à la maison. Céleste me dit avoir mis son réveil ce matin pour nous accompagner mais ne pas l’avoir entendu sonner. Stéphane est en charge du déjeuner de Pâques. C’est Céleste qui s’occupera de la table et de sa décoration. Un rapide coup de brosse, un tour aux toilettes et je repars. Je retrouve presque tous les fidèles de la Vigile pascale dont une maman, Hélène, son mari et leurs trois jeunes enfants qui semblent encore plus rapprochés en âge que les nôtres. Pendant la messe, leur petite fille, Pélagie, qui ne doit pas avoir plus de deux ans, vient s’installer sur mes genoux et me demande de lui lire des histoires. Des livres et des coloriages sont posés sur les marches menant à l’autel. Pélagie voit des loups partout. Son frère me dit qu’ils ont un chien. Le plus grand me chipe mon cierge après qu’il ait déjà cassé ceux de ses parents.
Les baptêmes sont impressionnants. Une baignoire a été installée devant l’autel et rempli au début de l’office par plusieurs dizaines de litres d’eau bouillante. Les cinq enfants et leur maman, vêtus de noir, sont entièrement immergés dans l’eau. Germain, un adulte trentenaire, passe en dernier. Je n’arrive pas à me réjouir pour eux tant je les imagine grelottants dans leurs habits dégoulinants dans une église où la température ne doit pas atteindre les 10 degrés. Quand ils reviennent, ils portent des vêtements blancs. Ils sont passés de l’ombre à la lumière. Victoire me dira avoir été très émue par les baptêmes.
Bientôt une heure de l’après-midi. L’assemblée se disperse après avoir chanté avec force un chant espagnol plein de joie « Resucito ». Les filles sont ravies. Je suis un morceau de glace. Je décongèle lentement dans la voiture demeurée en plein soleil. Céleste a fait une jolie table. Les enfants font honneur au carré d’agneau que Stéphane sert avec une sauce sucrée faite avec du jus de grenade, d’orange sanguine et de miel. Je passe mon tour. Je ne fais pas d’entorse à mon alimentation végétarienne. Il faudrait que je trouve encore la force de renoncer au lait et au fromage mais je ne m’en sens pas capable.
Pas de chasse aux oeufs avec les enfants. Notre petite nièce Charlotte que nous n’avons pas revue depuis Noël me racontera au téléphone avoir trouvé des sujets en chocolat sur les balcons de sa grand-mère. Je suis impatiente de la retrouver!
Le soleil finit de descendre au-dessus du plateau. J’espère qu’en Bourgogne, les vignerons auront réussi à sauver leurs récoltes futures. Les images des vignes illuminées par des centaines de bougies étaient absolument magnifiques et m’ont rappelé un très joli film « Le goût des merveilles » sorti en 2015.
Nous avons repris le rythme de l’école à la maison. Tous les soirs, au moment du dîner, je demande aux filles (Louis n’a pas de visio au collège) à quelle heure elles ont cours et, le matin, je confie à Victoire mon ordinateur. Désormais, à nouveau, il faut lutter avec Louis qui s’imagine, le soir, pouvoir veiller très tard. Avec lui, j’ai pâli sur des exercices de grammaires sur les classes et les fonctions. Ce soir, j’ai eu, en séance, une jeune collégienne scolarisée en sixième. Elle me disait sa chance d’avoir une mamie, ancien professeur de mathématiques et deux parents ingénieurs pour l’aider quand elle avait un peu de mal. Elle pensait aux élèves qui doivent se débrouiller seuls. Elle m’a fait sourire en me racontant que son oncle lui avait offert pour Pâques un poussin en chocolat du chocolatier Patrick Roger et que ses parents l’avaient presqu’entièrement mangé, profitant des deux jours qu’elle passait avec ses cousines.
Ce matin, Muguette était de très méchante humeur. Sa chaudière était tombée en panne. Le plombier devait arriver. Eugène allait aider Muguette à planter ses pommes de terre. Tout en m’éclipsant avec Fantôme, j’entendais Muguette houspiller le pauvre Eugène.
Cette après-midi, Emmanuel Macron a annoncé la suppression de l’ENA. J’ai tout de suite pensé à notre père, ancien élève de cette école et issu de la promotion Marcel Proust. Je me suis dit que notre père, depuis son nuage, avec des amis chers, devait sabler le champagne. Il appelait de ses voeux la disparition d’une école qui avait bloqué au rez-de-chaussée l’ascenseur social et pratiquait l’entre-soi. Il était consterné que l’ENA serve de tremplin à des carrières politiques. Il était malheureux de voir que le sens de l’Etat et de la chose publique manquaient chez beaucoup de hauts-fonctionnaires. Une vraie question se pose: quelle sera désormais la formation de celles et ceux qui voudront entrer dans la haute-administration? On serait bien inspirés de choisir des femmes et des hommes ayant déjà une vraie expérience de terrain.
Demain, en fin de matinée, j’emmène Louis se faire couper les cheveux. J’en profiterai pour m’offrir le dernier livre de Delphine Horvilleur, « Vivre avec nos morts ». J’ai lu des critiques qui m’ont vraiment conquise.
Bonne fin de semaine et bonnes vraies-fausses vacances!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner