Chronique revisitée de la fin de l’école maternelle huit ans plus loin…

Notre aînée, celle qui a fait de nous des parents, aura quinze ans samedi…Je me demande comment cela est arrivé si vite! Pourtant, je crois avoir vécu dans le présent, même si, c’est évident, mon esprit était souvent préoccupé. Céleste aura quinze ans le quinze septembre et je la revois à sa naissance par césarienne programmée: petit bouton de rose à la peau lisse avec des boucles rousses collées sur le crâne. Comme cela m’arrive entre deux patients, je voyage dans le temps. Je pars dans mes souvenirs et j’exhume cette chronique qui parlera à tant d’autres parents! « Maman, maman, j’ai ma liste de fournitures scolaires pour la rentrée. La maîtresse a dit qu’il fallait aussi acheter un cahier de vacances pour ne pas oublier ce que nous avons appris cette année. Il faut l’acheter tout de suite ! »

C’est sur ces trois phrases que s’est refermée l’année scolaire 2008/2009 et que, brutalement, j’ai réalisé que notre fille aînée allait entrer à l’école primaire, en classe préparatoire. J’avais eu six ans pour m’y préparer et pourtant, cela me semblait irréel. Céleste était partie  jouer dans le jardin avec sa sœur et son frère. Elle était guillerette, légère. Je restais plantée là, bêtement, les bras ballants, avec cette liste de fournitures scolaires entre les doigts de la main. J’avais juste eu le temps de lire, à la fin de la liste, qu’il fallait trois trousses différentes : une trousse pour les crayons de couleurs, une trousse pour les feutres et une trousse pour les autres articles.

De la balançoire, Céleste m’a lancé : « les sacs à dos, c’est fini. Il me faudra un cartable. Un cartable avec des roulettes ». Je lui ai souri en pensant, et pourquoi pas une Samsonite gros modèle ! En réalité, je n’avais pas du tout le cœur à faire de l’humour, mais j’étais heureuse qu’elle soit si contente d’entrer à l’école primaire. Avait-elle bien intégré que la vraie liberté était finie et que les choses sérieuses commençaient ? Avait-elle compris qu’elle aurait une place déterminée en début d’année et qu’elle n’en bougerait plus jusqu’à la fin, et que, d’ailleurs, elle ne bougerait plus du tout pendant les heures de classe ?

Je la regardais se balancer, rire, chanter avec sa sœur et son frère. Je n’avais, je crois, rien fait pour la garder à moi, l’empêcher de grandir, d’aller de l’avant. Je n’avais jamais été une maman qui pleure en laissant ses enfants à la crèche, dont le cœur explose quand ils partent une semaine. Maintenant, me revenaient en mémoire les phrases d’amis ayant des enfants plus âgés que les nôtres. En substance, ils disaient tous : « le grand bouleversement, c’est la rentrée à l’école primaire. A partir de là, on les perd. Ce n’est plus comme avant. Ils sont vraiment grands ».

Céleste faisait le cochon pendu, et dans ma tête tournaient six années de vie. En accéléré, je revivais sa naissance, les mois d’allaitement, les nuits blanches à attendre qu’elle se rendorme en regardant des rediffusions d’émissions à la télévision, les gazouillis, les premiers mots suivis de près par les premiers pas, l’entrée à la crèche, les poussées dentaires, la naissance de sa sœur, l’installation dans le Loiret, la découverte d’une autre crèche, l’adieu aux couches et à la tétine, l’entrée à l’école maternelle, les premiers goûters pour les anniversaires, les premières vacances à la montagne, avec le petit piou-piou fièrement arboré sur le blouson, la naissance du petit frère, les vacances au bord de la mer, le vélo sans les roulettes, la baignade sans les brassards et même avec masque, tuba et palmes pour suivre son papa ou son grand-oncle et ramasser au fond de l’eau des Bernard-l’ermite, la première dent de lait tombée, et la première classe de mer en grande section de maternelle.

Je suis arrivée aux dernières images du film des six premières années de vie de Céleste et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à tout ce qui se profilait à l’horizon comme, par exemple, l’entrée en sixième, le passage du brevet des collèges, l’entrée en adolescence, le premier chagrin d’amour qui ravage les cœurs des filles et, par ricochet, celui des mères, la vie de lycéenne avec l’incontournable passage du bac français et du bac général, les soirées qui s’étirent de plus en plus et le permis de conduire.

Céleste continuait à jouer dans le jardin, avec sa sœur et son frère. J’étais toujours plantée là, avec les bras le long du corps et ma liste de fournitures scolaires dans la main. Puis, mon esprit s’est envolé. Il n’est pas allé très loin. Il s’est contenté de survoler les champs de céréales. Il a longé une jachère fleurie et a pénétré dans l’école des filles par un trou de souris. Un silence anormal, presque pesant y régnait. Les portemanteaux étaient orphelins. Les murs des classes étaient désespérément nus. Les maîtresses, aidées de leurs fidèles assistantes, avaient retiré, un à un, les dessins, les peintures et les collages réalisés par leurs élèves. Les jeux, les trottinettes et les vélos ne traînaient plus dans la cour. Les billes, aussi, avaient disparu. Ces billes que les garçons peinaient à faire rouler droit sur le sol granuleux de la cour. Les élastiques ne faisaient plus danser les jambes des petites filles et le vent ne faisait plus voler le bas de leur robe.

Je me suis laissée aller à cette nostalgie propre aux fins d’année scolaire qu’éprouvent bon nombre d’enseignants et qui n’exclut pas le bonheur de souffler pendant deux mois, de se ressourcer, de se renouveler avant de démarrer une nouvelle année.

L’heure du bain était passée depuis longtemps. J’ai fait rentrer les enfants et ai accroché la liste
des fournitures scolaires sur la porte du réfrigérateur. Demain, promis, j’irai leur acheter leurs cahiers de vacances qu’elles commenceront dans l’excitation générale avant de les oublier, les premières pages remplies.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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