Chronique télévisuelle (hommage rendu à notre père et au service public)

Notre père s’étonnait toujours un peu de ce que des parents fassent le choix d’élever leurs enfants sans télévision. Pour lui, tout ce qui permettait un accès à l’information, à la connaissance, à la culture était positif. Comme les enfants nés avant ou pendant la seconde guerre mondiale, il avait grandi avec la radio, les journaux et les livres. Dés la sixième, il lisait de la première à la dernière page Le Monde. Son père lui rapportait parfois des livres de seconde main et il écoutait des pièces de théâtre radiodiffusées. Il était un boulimique d’informations. Je n’ai jamais entendu notre père nous reprocher à ma soeur et à moi les heures passées devant la télévision. D’un tempérament plus rêveur que moi, ma soeur quittait son environnement familial grâce au petit écran. L’été, dans le Gard, quand la chaleur nous condamnait à l’immobilité, nous tuions souvent le temps devant la télévision. Le vieux poste dont il fallait enfoncer les boutons pour changer de chaine diffusait des images un peu déformées et aux couleurs passées. A l’adolescence, les séries policières avaient remplacé les programmes pour la jeunesse. Notre père trouvait que la culture télévisuelle permettait aux jeunes de parler le même langage. Très vite, et c’est la chance que nous avons eue, il nous a appris à développer un regard de sociologue sur ce que nous voyions, lisions ou écoutions. Nous ne devions pas devenir des moutons mais penser par nous-mêmes en nous méfiant de celles et ceux qui s’imposeraient en ayatollahs de la bonne culture. Nous pouvions lire des critiques de films ou de livres mais nous ne devions pas renoncer à un film ou à un livre car ils avaient été assassinés par des journalistes se livrant souvent à des querelles de clocher!

Depuis quelques semaines, je pense à ce que j’ai conservé de ces milliers d’heures passés devant la télévision. Je me souviens précisément de Zébulon et du chien Polux, personnages du Manège enchanté, de Chapi, Chapo et de Flipper le dauphin. Plus loin, il y eut tous les héros Récré A2: Goldorak, Albator, Capitaine Flam, Scoubidou et bien sûr Candy dont je n’ai jamais vu la fin! Comme tant de filles de mon âge, j’ai eu un faible marqué pour le pirate de l’espace et le sauveur de l’humanité! J’étais sensible à la poésie de Papier vole et à l’humour décalé de L’Alinéa. J’ai adoré des séries comme Le club des cinq, La pierre blanche et l’incontournable Petite maison dans la prairie dont j’ai revu les épisodes avec l’une de mes amies quand nous étions étudiantes en droit! Je garde une place de choix dans ma mémoire à La croisière s’amuse et aux Drôles de dame ainsi qu’à Super Jaimie et à L’homme qui valait trois milliards. Avec notre maman, adepte de séries policières, nous avons vu tous les Maigret avec Jean Richard et Bruno Cremer mais aussi les Columbo et les Cinq dernières minutes. Avant, il y avait eu L’île aux trente cercueils dont la nouvelle version ne m’a pas du tout tentée, le merveilleux Georges Descrière campant un Lupin admirable, les Chapeaux melons et bottes de cuir et Amicalement vôtre. Dans un registre plus léger et très américain, il y avait L’amour du risque ou comment un couple de milliardaires s’amuse à résoudre des enquêtes avec l’aide de son chauffeur. Au rayon des classiques, mon adolescence a été marquée par de superbes sagas familiales: Les gens de Mogador, La famille Boussardel mais aussi Le Comte de Monte-Cristo ou Vidocq. J’ai aussi beaucoup aimé des récits historiques comme Les fiancées de l’empire, les rois maudits, La dame de Monsoreau ou La lumière des Justes. Jeune fille, j’ai été séduite par L’amour en héritage. Notre télévision publique a su durablement produire des séries d’excellente facture et puis la qualité s’est durablement perdue. C’est Arte, désormais, qui parvient à promouvoir de remarquables séries françaises mais aussi européennes. Les séries noires nordiques sont d’une efficacité redoutable. Je pense notamment à Bron.

https://www.youtube.com/watch?v=TReVaAxoEYg

A la Martinique, je me rappelle avoir vu un film d’horreur sur une maison hantée. La nuit, des esprits mauvais venaient planer au-dessus de la famille endormie et il ne fallait pas s’aventurer dans la cave. Je suis incapable de me rappeler avec précision comment j’ai eu accès à ce film. Quand nous habitions un ravissant château sans confort dans la Sarthe, j’ai été traumatisée par une adaptation sombre des aventures de Fantômas avec Helmut Berger, Jacques Dufilho et Pierre Malet. Dans le générique, on voyait l’ombre de Fantômas survoler les toits de Paris.

Dans un genre plus sérieux, je me rappelle de la Royal Shakespeare Company interprétant des pièces le dimanche après-midi, des Apostrophe souvent très animés, du Grand échiquier présenté par Jacques Chancel. Nous ne boudions pas des divertissements dits grand public comme les soirées imaginées par Gilbert et Maritie Carpentier, les Champs-Elysées de Michel Drucker et plus tard Fort Boyard ou La course au trésor avec Philippe de Dieuleveult tragiquement disparu en Amazonie. Comme des milliers de jeunes de ma génération, Cousteau et son équipage de la Calypso m’avaient donné envie de devenir océanographe. Notre père est le premier que j’ai entendu qualifier l’homme au bonnet rouge de fausse gloire n’utilisant la mer et ses merveilleux habitants qu’à des fins purement financières. Maintenant je sais qu’il avait raison. Par ailleurs, Jacques Cousteau n’avait rien compris aux défis que les hommes auraient à relever dans le domaine environnemental contrairement à Haroun Tazieff ou Paul-Emile Victor. Aveuglé par son ego, il ne vivait que dans une pensée court-termiste. Bien que très jeune, j’ai des images encore précises de Jacques Martin et de sa bande de joyeux lurons dans Le petit rapporteur.

https://www.youtube.com/watch?v=tPjHLRYZiHM

Je l’ai souvent écrit dans mes chroniques mais c’est à notre père que ma soeur et moi devons notre culture cinématographique. Il enregistrait tous les films du cinéma de minuit sur des cassettes et nous les regardions le week-end notamment en hiver quand le temps était à la pluie. J’ai des souvenirs merveilleux de soirées dans la bonne et vieille maison de Pont où, pendant les vacances de Noël, nous revoyions l’inoxydable série des Sissi ou des Angélique ou rions devant des émissions humoristiques. Nos parents, ma soeur et moi et le chat (les chiens nous avaient quittés), nous étions assis les uns contre les autres sur le canapé marron. Avec notre père, j’avais regardé Les mystères de l’Ouest et avais un faible pour Robert Conrad que je retrouverais dans Les têtes brûlées sous les traits de Greg Boyington dit Papy pour ses hommes. Je le trouvais bien plus séduisant dans sa tenue d’officier de l’air que dans ses pantalons et ses vestes moulants à l’excès quand il était James T. West.

https://www.youtube.com/watch?v=EqyO_9Co_NQ

Quand j’ai commencé mes études, j’ai eu la chance de vivre trois ans avec notre grand-mère maternelle. C’était les débuts de la six et cette petite chaine se faisait sa place en rediffusant de vieilles séries ou en diffusant des émissions d’un genre nouveau. C’est avec notre grand-mère tout en buvant du thé fumé avec un nuage de lait et en mangeant du cake ou des scones que j’ai regardé les épisodes de Magnum (à la fac, mes amis m’avaient baptisée Higgins non pas que j’ai quoique ce soit d’anglais mais parce que j’ai toujours raconté les histoires avec force détails), de Claire de lune et appris à décortiquer la publicité en écoutant Christian Blachas et Anne Magnien. Notre grand-mère, passionnée de culture en général et de musique classique en particulier, ne ratait jamais Musique au coeur (même si elle avait des raisons de détester Eve Ruggieri), un Grand échiquier, Du côté de chez Fred, Apostrophe ou Droit de réponse avec un Michel Polac toujours désireux de provoquer ses invités ou de les voir s’invectiver. Avec notre grand-mère, je suivais aussi Bas les masques de Mireille Dumas et Le divan d’Henry Chapier. Bien qu’elle ne soit pas voileuse, elle adorait Thalassa. J’ai toujours eu du mal avec le côté rigide pour ne pas dire constipé de Georges Pernoud. La télévision, c’était aussi les retransmissions de la quinzaine de Roland-Garros, les jeux olympiques, les championnats du monde et des matchs de rugby d’anthologie comme le XV de France/All Black joué à Paris le 31 octobre 1999. J’ai crû que ma soeur et moi allions avoir une crise cardiaque! Ce match est commenté par Daniel Herrero dans son Dictionnaire amoureux du rugby.

https://www.youtube.com/watch?v=pgRrTsGhulk

Maintenant que le temps a passé, je suis surtout une inconditionnelle des émissions de la radio publique et de la programmation de la chaine Arte. Cette chaine franco-allemande a commencé à émettre en 1992. J’avais 23 ans et, étudiante ou commençant à travailler, j’ai vécu jusqu’à l’âge de 30 ans sans télévision. A Paris, le petit écran n’est pas nécessaire. Le spectacle et l’information sont partout: dans le métro, les rues et les gares. J’allais en moyenne au cinéma deux fois par semaine et également au théâtre ou à des concerts. Quand j’étais seule le soir, j’écoutais la radio ou je lisais. La télévision ne m’a alors jamais manqué. J’ai eu des amoureux qui avaient des télévisions. C’est chez l’un deux que j’ai vu tous les épisodes de la série X-files.

C’est vraiment Arte qui me plait le plus. Je lui dois une série de documentaires fabuleuse sur l’art et que la chaine rediffuse en ce moment « Les aventuriers de l’art moderne ». Récemment, j’ai vu un documentaire passionnant sur l’économie du bonheur. On comprend comment Martin Seligman a imaginé la psychologie positive et comment elle a généré des profits colossaux en étant vendue aux entreprises privées. Cette psychologie positive a été utilisée également par des hommes politiques comme Tony Blaire ou Nicolas Sarkozy. J’ai aussi eu beaucoup de plaisir à voir le film réalisé par l’un des deux fils d’Annie Ernaux dont je n’ai encore jamais rien lu Les années super 8. Si les enfants d’Annie Ernaux sont un peu plus âgés que ma soeur et moi, elle est née la même année que notre maman. Les films racontent la vie de famille replacée dans l’histoire avec, notamment, un voyage dans le Chili d’Allende quelques mois avant le coup d’état du Général Pinochet. Ce film raconte de manière émouvante la vie d’une femme, professeur, mère de deux enfants, qui s’efforce de se réaliser et de mener à bien ses projets d’écriture. On voit le couple se déliter. Le fait qu’Annie Ernaux publie avec succès des livres très autobiographiques dans lesquels elle exprime ses difficultés à être reconnue dans ses voeux de réalisation personnelle a certainement contribué à l’éloignement de son mari. Annie Ernaux semble avoir souffert de ne pas appartenir au même milieu bourgeois que la famille de son mari et, plus tard, elle a regretté de s’être défoulée sur sa mère qui vivait avec eux et l’aidait autant qu’elle le pouvait. Malheureusement, trop souvent, les mamans absorbent les frustrations de leurs filles ou leur peine.

https://www.youtube.com/watch?v=zo1Vis2inhw

Notre grand-mère maternelle avait offert à nos parents une caméra super 8. Notre mère réalisait des films. Notre père prenait des photos. Les films dorment depuis de longues années dans un placard dans le Gard. Je crois ne les avoir jamais vus. Je sais que sur l’un d’entre eux, on voit la dame qui remontait la route de Didier à Fort-de-France avec son lourd panier contenant des fruits et des légumes qu’elle proposait aux habitants des maisons. Quand Annie et Philippe Ernaux ont divorcé, leurs fils étaient entrés dans l’adolescence. Les films ont été remisés. Il a fallu que les fils de l’autrice deviennent parents pour qu’ils aient envie de montrer à leurs enfants ce qu’avait été leur vie.

Avant que la série ne soit diffusée sur Arte, Stéphane et moi avons vu Les papillons noirs. J’ai adoré cette série même si certains passages sont d’une grande violence. La série raconte l’histoire d’un homme arrivé à la fin de sa vie et qui souhaite écrire ses mémoires. Il fait appel à un romancier en panne d’inspiration après que son premier livre ait reçu un accueil chaleureux. Le vieil homme (incroyable Niels Arestrup) s’avère avoir commis par amour pour une certaine Suzanne des crimes horribles aux quatre coins de la France exclusivement en été dans les années 70. Albert et Suzanne se sont connus dans un orphelinat. Ils étaient deux enfants cabossés par la vie. Suzanne était la fille d’une française et d’un soldat allemand et Albert n’avait pas de père. Le romancier, Antoine, est un homme fragile, un ancien repris de justice alcoolique. L’histoire des deux hommes va s’entremêler. Chacun semblant servir de miroir à l’autre. Tous les acteurs sont remarquables hormis l’actrice qui campe la mère d’Antoine et est carrément mauvaise dans le dernier épisode. La période des années 70 est remarquablement bien reconstituée. On a le sentiment que des photos de cette époque comme nous en avons dans les albums de famille s’animent. Les années 70 et 80 sont vraiment tendance! Il suffit de voir le succès remporté par Stranger things mais également Le serpent. A cette période de notre histoire très récente s’attachent des sensations de liberté, d’insouciance et de foi en l’avenir sur une terre dont on pouvait encore s’imaginer qu’elle n’était pas menacée par les folies humaines.

https://www.youtube.com/watch?v=EVciDIvAOmE&t=30s

Arte est une chaine qui permet de voyager, de se cultiver et de se divertir dans des registres très variés. La série anglaise Good vibrations m’a énormément plu avec son esprit décalé et sa joie de vivre contagieuse. J’ai aussi beaucoup aimé la seconde saison de En thérapie. Je n’avais pas réussi à entrer dans la première. Le fait que la plupart des personnes ayant suivi ou suivant une analyse aient trouvé le docteur Dayan tout en sensibilité et empathie m’a permis de prendre la pleine mesure de la maltraitance et de l’absence d’investissement de tant de thérapeutes dans l’accompagnement de leurs patients. Par ailleurs, le docteur Dayan franchit plusieurs fois la ligne rouge et projette son vécu dans certaines situations sur ses analysés.

A Netflix, je dois de merveilleux moments devant Dontown Abbey ou The crown. Pendant le confinement et que je n’avais plus le droit d’exercer mon métier, les enfants m’ont fait découvrir Stranger things qui m’a fait me replonger dans mon adolescence et repenser à E.T. Avec beaucoup de retard, j’ai littéralement dévoré les huit saisons de la série américaine Homeland qui aura sans doute inspiré Le bureau des légendes.

Je pourrais creuser encore davantage pour laisser revenir des moments de bonheur télévisuel et, d’ailleurs, alors que je suis en passe de boucler cette chronique, je vois surgir le doux visage de Sady Rebbot et j’entends la voix de son fils dire: « C’est bon! Je remballe! ». J’avais entre 11 et 13 ans quand les deux saisons ont été diffusées à la télévision. J’étais pleine d’admiration devant ce papa qui élève seul sa grande famille et trouve les mots justes quand il s’agit d’aborder des sujets aussi sensibles que le vol ou la sexualité avec son fils et ses trois filles. Prisonnier de sa pudeur excessive de Breton taiseux et accaparé par son métier si exigeant, notre père n’aurait jamais su faire ça! Penser à Papa poule me fait songer à Pause café et à Médecins de nuit. Véronique Jannot était très juste dans son rôle d’assistante sociale au grand coeur. Quant à Catherine Allégret, elle était épatante en secrétaire médicale et nocturne.

Pour mettre un terme à cet hommage rendu au petit écran et à notre père qui nous a permis de penser en grand, je choisis ce générique qui me bouleversait et me bouleverse toujours!

https://www.youtube.com/watch?v=2QRypARnHNs

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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