En onze ans de vie dans le Gâtinais, j’ai eu tout loisir de longs week-ends durant de scruter le plateau qui s’étire sous la fenêtre de mon bureau, de décrypter tous les mystères de la ligne d’horizon, de suivre la course des nuages poussés par le vent du nord dans un ciel tourmenté. Je suis passée maître dans l’art de la contemplation. J’ai appris à observer ce qui m’entourait sans penser. J’observe les champs nus ou semés, la hauteur des céréales, la couleur des feuilles, les infinis dégradés de vert et de marron, le vol des piverts, des corbeaux, des colombes, des chouettes, la course rapide du lièvre, les petites fesses blanches des lapins pressés de se mettre à l’abri à l’approche de notre berger australien, les hordes de chevreuils en lisière de forêt, les belles queues rousses des renards, le passage des grues et des oies sauvages volant en formation, les premières fleurs au printemps et les dernières à l’automne, les chapeaux ronds ou pointus des champignons, la fumée s’échappant des tas de fumier fraîchement déposés aux abords d’un champs, les traces des engins agricoles dans la terre boueuse, les couleurs du ciel se reflétant dans les flaques d’eau, les nénuphars voguant à la surface des mares, les toiles d’araignées prises dans le givre, le cœur mauve des coquelicots, les oreilles du chevreuil dépassant des épis de blé, la silhouette immobile du héron prêt à dévorer un caneton, les limaces et les escargots traversant le chemin humide, les acrobaties des écureuils, les pommes et les poires s’arrondissant sur les branches des arbres, l’écharpe de brouillard entourant la nature, le soleil, dans ses levers et ses couchers, sur le plateau, d’une beauté, parfois, à vous couper le souffle !
Dans le Gard, déjà, j’avais commencé à développer cette forme de contemplation mais c’est ici que j’ai vraiment appris à observer sans penser. J’étais au nombre de ces êtres dont le cerveau a beaucoup de mal à se mettre en veille et qui rêvent de ne pas avoir besoin de dormir pour vivre encore plus ! La vie à Paris ne faisait que renforcer ma nature hyper active. Paris correspondait et correspond toujours à mon énergie. J’étais sans cesse dans l’échange, la réflexion, le mouvement. C’est la sophrologie qui m’a permis d’offrir à mon cerveau des moments d’arrêt et de retrouver le vrai chemin du corps, un corps aimé et non un corps instrumentalisé par un esprit tout puissant. La sophrologie n’a pas eu raison de mon énergie mais elle m’a appris à vivre sans me mettre en danger.
Une marche en pleine nature peut être un vrai moment de ressourcement ou ne pas l’être du tout. Si vous marchez sans être attentif à ce qui vous entoure, sans solliciter vos sens, que vous vivez, déjà, la journée de travail du lendemain, listez toutes les taches qui vous attendent ou encore téléphonez, vous passez tout à fait à côté des bienfaits d’une marche. Autant aller directement courir sur un tapis dans une salle de sport bruyante et transpirante !
Si, quand vous marchez, vous êtes concentré sur votre respiration, sur le chemin que l’air parcourt dans votre corps, que vous sentez la différence de température entre l’air inspiré et l’air expiré, que vous ressentez ce qui se passe dans vos jambes, sous la plante de vos pieds, que vous humez les parfums des feuilles, de l’herbe, de la terre, que vous écoutez les chants des oiseaux, les bruissements dans les fourrés, le bruit du vent glissant sur les feuilles, que vous vous arrêtez (quand le temps s’y prête !) pour vous allonger dans l’herbe, que vous contemplez les nuages dans le ciel, fermez les yeux pour mieux sentir la caresse du soleil sur votre peau, percevoir derrière vos paupières le soleil jouant à cache-cache avec la cime des arbres, que vous laissez vos doigts parcourir ce qui vous entoure, que vous interrompez votre promenade pour manger des mûres, ramasser des noix et des noisettes alors vous aurez vraiment vécu un moment d’apaisement dans le présent, l’ici et maintenant, pour reprendre une expression très à la mode qui a le don de m’agacer comme tout ce qui est à la mode. Il y a longtemps, j’ai décidé que je ferai mienne la chanson « i’m old fashioned » interprétée pour la première fois par Ella Fitzgerald, que je ne chercherai jamais être à la mode mais, plutôt, à cultiver l’art d’être moi-même.
Les bienfaits de la nature sur nous, c’est l’enseignement que l’on peut puiser dans l’une des nouvelles de Daudet que j’affectionne le plus et qui est tirée des « lettres de mon moulin », « le sous-préfet aux champs ». Sur la route d’un comice agricole, transporté dans une calèche, un sous-préfet, qui n’a pas encore trouvé les mots du discours qu’il prononcera dans quelques heures, se fait arrêter au bord du chemin. Laissant calèche, chevaux et cocher, il pénètre dans la forêt et débouche sur une charmante clairière. Il a chaud. Il défait les boutons de son habit. L’odeur des violettes lui fait tourner la tête. Il s’allonge dans l’herbe tendre et oubliant sa charge et sa tenue, il se met à composer des vers.
Nous ne nous ressourçons vraiment que lorsque nous sommes corps et âme engagés dans le moment présent. Si la nature nous a dotés de cinq sens, c’est pour en faire bon usage. Rares sont les personnes qui les utilisent vraiment. La vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher donnent au monde qui nous entoure sa vraie dimension. C’est pourquoi il est si important de développer autant que possible les sens de nos enfants. Cet apprentissage commence au berceau par les gestes tendres, les mots doux, les berceuses, l’odeur de la peau de la maman, mais aussi du papa, le goût des aliments. L’éducation des sens est l’une des portes qui mène au bonheur, à un bonheur simple, tous les jours accessible.
En sophrologie, il est un exercice que j’ai imaginé et que j’aime beaucoup pratiquer avec mes patients. C’est l’exercice du collier des perles de bonheur. Je leur demande de repérer dans une journée ou à l’échelle d’une semaine, tous les petits bonheurs et de les enfiler sur un fil au bout duquel ils auront fait un nœud. Les natures optimistes pourront obtenir des sautoirs et les natures peu habituées à identifier les petits bonheurs commenceront avec une bague. Quand ils ont enfilé sur le fil toutes les perles de bonheur, je leur demande de le ranger dans une boite à bijoux qui témoigne de ce que tous ces petits bonheurs sont précieux.
Je vais partager avec vous un de mes petits bonheurs de ce mercredi. Entre deux rendez-vous, j’étais partie en voiture à la pharmacie. En rentrant, j’observais la nature. L’automne prenait fin dans la forêt. Le vent faisait tourbillonner des feuilles rousses et or. J’écoutais un concerto pour clarinette de Mozart. La musique et l’automne me procuraient un sentiment d’harmonie profond. Je me souvenais qu’enfant, dans la Sarthe, avec nos deux chiens, j’adorais sauter et rouler dans des tas de feuilles mortes. Alors, au moment de terminer cette chronique, je vous pose la question : quels sont vos petits bonheurs au quotidien ? Fermer ses yeux, le soir, étendu dans son lit, en répondant à cette question est gage d’un bon sommeil !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner