Chronique autour de livres et des dix-sept ans d’une aînée

Les jours ont fini de s’étirer comme les ombres des grandes dames de fer sur le plateau. Les coeurs des tournesols continuent de noircir. Des oiseaux viennent s’y poser pour en manger les graines. A nouveau, des avions laissent leur signature dans le ciel. La chaleur va monter vite, implacable. A chaque fois que je me promène je sens combien la nature souffre du manque d’eau. C’est si triste de voir tant de sapins à l’agonie débordés par le réchauffement climatique. L’eau de la piscine est cristalline. J’imagine combien les enfants pourront être heureux de s’y rafraîchir au retour du collège ou du lycée. Plus aucune hirondelle ne vient s’y désaltérer. Trois semaines que Muguette et moi les avons vues se rassembler sur les fils électriques avant de s’envoler pour des contrées lointaines.

Demain, notre Céleste aura 17 ans et les paroles de la chanson de Guy Béart que notre maman affectionnait tant me reviennent en mémoire: « Ma petite est comme l’eau, elle est comme l’eau vive. Elle court comme un ruisseau, que les enfants poursuivent… » Parfois, il m’arrive de rêver que je redeviens cette eau vive que sa maman câlinait le soir avant que le sommeil l’emporte loin, très loin. Il m’arrive aussi de me rappeler toute cette tendresse échangée avec les enfants et qui prend une autre forme quand ils grandissent. L’année dernière, encore, tous les matins, je m’asseyais sur le bord du lit de Céleste et lui caressait la joue ou les cheveux en lui chuchotant qu’il était l’heure de se réveiller. Victoire, depuis l’entrée en sixième, met son réveil et se débrouille seule. Il n’y a plus qu’avec Louis que je peux encore me laisser aller à des passages du sommeil à l’éveil en tendresse. Louis qui, parfois, se plante devant moi et me dit en ouvrant ses bras: « Viens, on va faire un câlin ». Je me réjouis de penser que, devenu adulte, Louis sera un homme tendre tant avec sa compagne qu’avec ses enfants. Tant de patientes me disent regretter, voire souffrir d’avoir des compagnons incapables de gestes tendres mais demandeurs de communion charnelle. N’est-ce pas triste de rester deux heures assis sur un canapé côte à côte sans jamais se prendre la main ou sentir un bras qui vient s’enrouler autour d’une épaule? Le manque de tendresse assèche autant que le manque d’eau et l’excès de soleil.

Notre Céleste aura 17 ans demain et je nous revois son papa, elle et moi dans la bonne et vieille maison de Pont dans le Gard rhodanien. Nous étions parfaitement béats comme tous les parents du monde. Céleste ouvrait des yeux bleus immenses sur tout ce qui l’entourait. Elle était joyeuse, adorait rejoindre ses petits camarades à la crèche et que son papa la mette au lit après qu’elle ait joué sur les tapis du salon et écouté des histoires de Petit ours brun. Comme tant d’autres enfants, Céleste a vécu des évènements qui l’ont fait souffrir, ont momentanément altéré sa nature optimiste et ont fait d’elle une porcelaine fêlée et réparée selon l’art japonais du Kintsugi. Céleste est facile à vivre sauf quand on vient troubler son sommeil car, alors, elle peut se muer en dragon! Elle est partante pour tout. Elle n’accorde que peu d’importance aux remarques désagréables qu’on pourrait lui faire et ne se montre jamais rancunière. Hier, sur la terrasse, je regardais notre fille dans cette grande robe noire qu’elle s’est fait offrir pour son anniversaire, qui lui donne un air de vestale et lui va si bien. Si Céleste réussit dans son projet de devenir sage-femme en se formant dans un premier temps au métier d’infirmière, elle sera une soignante étonnante associant compétences techniques, assurance du geste et grand sens de la psychologie humaine.

Dés lors que nous mettons des enfants au monde, nous savons que ce moment viendra de les voir partir pour marcher sur le chemin qu’ils se seront choisis. Nous le savons; nous nous y préparons et, quand ce moment arrive, le sentiment est étrange. C’est un peu comme si le temps s’était contracté et qu’on était passé d’un bébé à une jeune fille. Je me prépare depuis longtemps. J’ai la chance d’avoir « encore » deux enfants et un mari avec lequel nous nourrissons de nombreux projets. Nos enfants n’ont jamais pris toute la place dans nos vies, même si elle est très importante! Nous existions avant eux et nos vies ne s’arrêteront pas après qu’ils soient partis. Comme cela doit être difficile pour des mamans ou des papas ayant élevé leurs enfants seuls de négocier ce passage!

En ce moment, sur ma table de nuit, quatre livres: le premier m’a été offert par un cousin (Ame soeur Fragments de vie intérieure de David-Marc d’Hamonville) les deux autres par Sophie avec laquelle j’ai noué une correspondance au début de l’été (Correspondance entre René Char et Nicolas de Staël et « La fiancée des corbeaux » de René Frégni). Sophie m’avait également envoyé de belles étiquettes pour les pots de confiture à la mirabelle faits fin juillet avec les fruits de notre arbre. Le dernier est un livre que Céleste doit lire en vue d’un exposé en humanité, littérature et philosophie « La confession d’un enfant du siècle de Musset ».

Comme ce roman est ennuyeux! Comme ce que Musset dépeint des sentiments unissant les femmes aux hommes est déprimant! On sent bien tout le désenchantement de cette jeunesse dont les pères se sont sacrifiés sur l’autel du grand Ogre, voit les grands principes de la Révolution voler en éclats avec le retour de la monarchie et redoute de ne pas réussir à trouver sa place dans la société. Un parallèle avec la jeunesse d’aujourd’hui frappée de plein fouet par les désordres écologiques et le vacillement de l’économie mondiale liée au coronavirus s’impose. Les repères traditionnels s’effacent. Le présent a les traits d’un sable mouvant. Comment penser son avenir?

Avant d’entrer aux forceps dans le livre de Musset dont je ne lis pas tout, j’avais commencé à me délecter du livre écrit par David-Marc d’Hamonville, moine bénédiction à l’abbaye d’En Calcat, dans le Tarn. Chaque court chapitre est si dense et poétique, interroge avec une telle profondeur que plusieurs lectures sont nécessaires pour que la pensée infuse l’âme. Hier, j’ai commencé les premiers chapitres du roman de René Frégni que je ne connaissais pas et, tout de suite, je me suis sentie prise par la main et j’ai suivi le narrateur sur les chemins de la Provence chère à Giono, à René Char ou encore à Nicolas de Staël. Dans ce roman, tout est placé sous le signe des cinq sens et donc tout fait sens car ce sont nos sens qui nous permettent de ressentir le monde et de nous ancrer dans le présent tout en ayant le pouvoir de faire revivre le passé. Un grand merci à Sophie pour cette découverte!

Pour toutes celles et tous ceux à qui des parents ont chanté la chanson de Guy Béart et l’ont à leur tour chantée à leurs enfants, un lien pour la réécouter.

https://www.youtube.com/watch?v=NkV8JQKSvdA

De mon côté, c’est une chanson d’Henri Salvador que je chantais à nos enfants quand ils étaient bébés. Elle s’intitulait « Une chanson douce ».

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

2 commentaires sur “Chronique autour de livres et des dix-sept ans d’une aînée

  1. Bonjour Anne Lorraine
    Je vais dans le Tarn la semaine prochaine ,javais promis à un ancien élève de En Calcat de visiter l’ Abbaye ,je pense que 70 ans après il y a eu du changement ,je vais à Lavaur et Castres si tu veux que je prenne en photo une certaine porte ,n’hésites pas ;

    Je t’embrasse

    1. Coucou! Merci pour ton petit message. Je ne connais pas En Calcat mais je sais qu’elle est une pépinière de frères artistes. De quelle porte parles-tu?
      Bon séjour dans le Tarn, une si belle région! Depuis le Finistère, cela fait une grande route.
      Je t’embrasse

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