Chronique de l’entrée dans l’automne

 

Au premier jour de l’automne, les fenêtres de mon bureau sont couvertes de buée qui se transforme en gouttes pleurant le long des vitres. L’unique rose trémière du jardin résiste. Sa tête est de plus en plus lourde. On la croirait qui prie. Les feuilles du bouleau argenté tombent. Dès que la porte d’entrée s’ouvre, elles en profitent pour s’inviter entre les cartables et les chaussures et se glissent sous la commode où elles retrouvent les poils du chien. Les branches du sapin sont immobiles. Au retour de l’école, les enfants grappillent encore quelques framboises le long du mur blanc. Des pans de brume flottent au-dessus des champs. Dans les jardins publics, on prépare la terre à accueillir de splendides chrysanthèmes. Ma voiture attend l’heure des marrons et des glands qui lui serviront durablement de décoration intérieure.

Au premier jour de l’automne, les enfants ont du enfiler une veste pour partir à l’école. Seule notre jeune collégienne n’a pas voulu mettre autre chose qu’un sweat. Elle a toujours chaud ! Sur mon vélo, entre l’envol de l’aînée pour le collège et le réveil des deux plus jeunes, j’ai senti le froid gagner mes mains, le bout de mon nez et mes oreilles qui rougissaient. Fantôme était heureux dans ce petit matin blanc. Chemin faisant, essayant de ne pas me laisser distancer par Paulette suivie de près par Fernand et Firmin, Francis et Sébastien, je pensais aux paroles des « feuilles mortes » de Jacques Prévert, au si poignant « Welcome » de Philippe Lioret, à la statue de la Vierge et de l’enfant qui a été descendue au fond de la Méditerranée à quelques encablures des côtes de Lampedusa pour peupler cet immense cimetière marin dépourvu de tombes, celles de ces milliers de migrants érythréens, soudanais, lybiens, des hommes, des femmes et des enfants en route depuis des mois, des années et dont l’espoir est mort après que le bateau qui les transportait ait chaviré dans une indifférence quasi générale.

Au premier jour de l’automne, j’ai vu cette feuille de marronnier qui survolait le pont des Arts avant de glisser à la surface de la Seine. J’ai entendu le sanglot long d’un violon rom. Je me suis sentie envahie par une langueur qui n’était pas monotone mais nostalgique. J’ai imaginé la vigne vierge de la terrasse de ma marraine virant au rouge flamboyant et défiant les roches du massif de l’Estérel lui faisant face. J’ai senti l’odeur de la terre entre les pieds de vigne, les raisins lourds dans l’attente des vendanges. J’ai eu, dans la bouche, le goût unique de la noix et de la noisette fraîches. J’ai regardé mes ongles. Ils étaient tâchés de brou.

Au premier jour de l’automne, je me suis rappelée que c’est à mon père que je dois la découvert de plaisirs simples : glaner des fruits sur les arbres et les manger aussitôt, ramasser des fougères et les tresser en couronnes décorées de fleurs, sentir l’humus, remplir son panier de champignons, faire démarrer un feu, en attiser doucement les flammes, admirer les rayons du soleil déclencher des incendies fauves dans les feuilles des arbres en automne, méditer les paroles d’un poème.

Au premier jour de l’automne, j’ai pensé à nos parents qui nous ont fait naître ma sœur et moi en cette saison, une au tout début et l’autre en son milieu. L’une à Metz, l’autre à Paris. L’une blonde comme les blés, l’autre châtain comme la terre de Sienne. L’une vivant désormais à Los Angeles et l’autre dans un petit village du Loiret. On peut difficilement imaginer deux vies aussi différentes que celles de ces deux sœurs écartelées par le décalage horaire.

Au premier jour de l’automne, j’ai revu cette fin d’été sublime à Paris. Ma sœur, son mari et leurs deux enfants s’envolaient le lendemain pour la Californie. Le soleil était revenu. La chaleur aussi. Depuis de longs mois, nous savions que ce moment viendrait de nous dire au revoir. Il ne faudrait pas pleurer mais sourire et se dire que deux océans ne pourront rien changer à l’amour qui nous unit. Cinq ans nous séparent et pourtant, à chaque fois que j’entends la chanson des jumelles des demoiselles de Rochefort je pense à elle et aussi à la détresse de voir la vie si brutalement nous ravir une sœur pour toujours.  

Au premier jour de l’automne, j’ai deviné que Cocteau avait rejoint Colette sur un banc dans le jardin du Palais-Royal. Colette avait du pain dur qu’elle émiettait avant de le jeter aux moineaux. Plus elle avance en âge et plus elle parle à Jean de son enfance à Saint-Sauveur. Elle évoque la personnalité de sa mère, Sido. Jean lui parle-t-il de son père, Georges Alfred, qui s’est donné la mort quand Jean n’avait que neuf ans ? Moustache est là. Il se frotte aux jambes de Colette et de Cocteau. Il décrit des huit à la géométrie parfaite. Cocteau décroise ses jambes et Moustache vient s’y lover. Moustache leur raconte comment il a été tué par des hommes qui n’aiment pas les chats, qu’il a le cœur lourd en songeant à ses maîtres qui ne peuvent se résoudre à sa mort. Il pense à Fantôme qui l’attend encore le museau glissé dans la chatière. Moustache se dit que si ces hommes avaient eu la chance de lire les dialogues que Colette a imaginés entre Kiki-La-Doucette et Toby-chien et de voir les dessins de Foujita, les chats ne mouraient pas de la sorte dans ce petit coin de campagne française.

Au premier jour de l’automne, le petit bouquet d’immortelles qui est posé sur le bureau de mon grand-père ne dégage pas cette odeur délicieuse de maquis. Il faut une chaleur sèche à ces fleurs pour qu’elles libèrent leur parfum dans mon cabinet où ma table est un enchevêtrement de cahiers, papiers, lettres et livres. Un dragon côtoie un pot à crayons. Une boule transparente  contenant deux petits sujets attend que quelqu’un la renverse pour que la neige tombe sur la tour Eiffel et Paris. Mais, il ne neige pas encore en automne !

Ce soir, à la vingt-troisième heure de ce premier jour de l’automne, j’irai poser un baiser sur le front de nos trois enfants. Je passerai ma main sur leurs cheveux. Je recouvrirai une épaule. J’écouterai leur respiration paisible. Je penserai aux paroles de la chanson de Bernard Lavilliers « être né quelque part ». Mon cœur se serrera en songeant une fois encore à toutes ces mères qui aimeraient tant elles aussi avoir un toit sûr et un lit, même un matelas ou une couverture posée sur un sol sec pour y coucher leurs enfants. Et, en refermant la porte des chambres, je rendrai grâce d’avoir pu donner la vie à mes enfants ici et ferai toujours en sorte de les doter d’une conscience sociale du monde qui les entoure.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

Etre né quelque part

On choisit pas ses parents,
on choisit pas sa famille
On choisit pas non plus
les trottoirs de Manille
De Paris ou d’Alger
Pour apprendre à marcher
Etre né quelque part
Etre né quelque part
c’est toujours un hasard
nom’inqwando yes qxag iqwahasa (x2)

y a des oiseaux de basse cour et des oiseaux de passage
Ils savent ou sont leur nids, quand ils rentrent de voyage
ou qu’ils restent chez eux
Ils savant ou sont leur œufs

etre né quelque part
Etre né quelque part
c’est partir quand on veut,
Revenir quand on part

Est-ce que les gens naissent
Égaux en droits
A l’endroit
Ou il naissent
nom’inqwando yes qxag niqwahasa

Est-ce que les gens naissent égaux en droits
A l’endroit
Ou ils naissent
Que les gens naissent
Pareils ou pas

On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille
On choisit pas non plus les trottoirs de Manille
De Paris ou d’Alger
Pour apprendre à marcher

Je suis né quelque part
Je suis né quelque part
Laissez moi ce repère

Ou je perds la mémoire
Nom’inqwando yes qxag iqwahasa
Est-ce que les gens naissent…

 

 

 

 

2 commentaires sur “Chronique de l’entrée dans l’automne

  1. Euh… c’est pas Maxime Leforestier plutôt? né quelque part…
    Bises (tu n’es plus sur FB?) Je viens de lire tes derniers billets comme tu vois

  2. Chère Danièle, Je n’ai pas pris le temps de m’en assurer mais j’ai toujours entendu Bernard Laviliers chanter « être né quelque part ». Je te souhaite un agréable dimanche et me réjouis vraiment pour toi que ce déjeuner chinois t’ait permis de confier quelques uns de tes « bébés ». Une de mes amies qui écrit beaucoup tout en enseignant son métier de professeur d’allemand me disait que pour elle, le bonheur résidait dans l’écriture plus que dans le fait d’être lu. Pour moi, il réside dans le partage.

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