Chronique des amours capitales (première partie)

Trop courte escapade parisienne. Trop brève respiration capitale. Ces deux jours comme un pèlerinage à Paris, ou plutôt aux Paris car il n’y a pas un Paris mais des Paris comme il n’y a pas davantage une Inde mais des Indes, une Amérique mais des Amériques, une Bretagne mais des Bretagnes. Du matin jusqu’au soir, je me suis amusée à remettre mes pas dans ceux de mes 12 années de globe-trotteuse provinciale devenue « capitaliste » dont la vie se résume en quelques stations de métro. Par choix, je décide de boycotter la rue Bréa, métro Vavin ou Notre-Dame-des-Champs. Le petit village que nous avons connu et aimé n’est plus. Disparus le vendeur de couleurs, de fruits et légumes, le  couple charmant de mercières octogénaires, la dame des bonbons, l’ambiance faussement bohême du « vieux journal » la crêperie de Marc, l’atmosphère indescriptible du restaurant de Gilles « les Montparnos », la toute petite cordonnerie de René, les rires tonitruants de Muriel, dite Boulette et qui a longtemps officié entre les rayons de lingerie Princess Tam-Tam, la laverie-automatique avec ses odeurs de linge humide, le ronronnement des machines, les étudiants repassant leurs cours magistraux et se sentant presque à l’abri du ventre maternel ces jours de dimanche trop gris, le vrai « bar-tabacs » auvergnat où on buvait, au choix et selon l’heure, un café serré ou un kir cassis, Nanou, la résidente du rez de chaussé droit du 8 de la rue Bréa, vieille péripatéticienne délicieuse promenant manteau de fourrure usé et Yorkshire à peine plus gros qu’un hamster nain, travaillant dans son bureau auprès de messieurs âgés pleurant leur femme disparue ou maudissant une belle-mère ayant le mauvais goût d’aimer un peu trop la vie sur terre. Finis encore Janine et ses glaces dont la vie aurait mérité un roman, Janine plumée par un yougoslave trop beau pour être honnête et contrainte de recommencer à travailler sur le tard, fini depuis bien longtemps les déjeuners improvisés de Mitterrand traînant dans le sillage de son écharpe rouge un Michel Charrasse pas très heureux d’aller manger russe chez « Dominique ».

 Aux premières heures d’un jour bleuté, les cafés qui avaient tiré le rideau se remettent en branle. Les machines crachent le café chaud, les croissants et pains au chocolat débordent des panières, les grandes tartines de beurre sont toujours meilleures qu’à la maison. Au comptoir, on lit L’équipe, Le Parisien, Libération, rarement Le Monde. On gratte son astro-flash. On fait sa grille de loto. On joue au PMU. On dort debout devant sa tasse de café. On baille à s’en décrocher la mâchoire. On jette un regard oblique à ceux qui poussent la porte. On est, le plus souvent, entre hommes et ON aime ça ! Sous nos pieds, le tremblement des premières rames du métropolitain qui s’ébranlent. Les lumières  des étages des immeubles dédiés au monde tertiaire ne se sont jamais éteintes. La nuit, une armée d’ordinateurs, imprimantes, photocopieuses, fax, téléphones et machines à café joue les vers luisants. Certains des salariés sont encore là, l’œil vide et cerné, le cheveu en bataille, la barbe naissante, la cravate dénouée. Au moment où d’autres regagnaient leurs pénates, leur famille, eux, attendaient, fébrilement, le lever des places boursières américaine ou asiatique.

A l’heure des braves, les « agents de surface » prennent possession des lieux. Ils aspirent, époussettent, astiquent, vident les poubelles, rafraîchissent les sanitaires. A quoi songent-ils, eux, les prisonniers de ces kilomètres carrés d’espace gris et froid, de ces tonnes d’ordinateurs et imprimantes, de cette débauche de papier jeté, de ces centaines de gobelets en plastic ?  Je repense à l’un des courts-métrages du film « Paris, je t’aime ». Il s’agit d’une jeune femme, type sud-américain, qui dépose, à 6 heures du matin, son bébé, une toute petite fille de quelques mois, dans le berceau d’une crèche et qui part vite, peinant à refouler ses larmes, s’engouffrer dans le ventre du RER. Elle appuie son front contre la vitre froide et essaie de s’abstraire. Elle en ressort à 8 heures, métro quelque part dans le XVIe arrondissement, pour y commencer sa journée de travail : nounou d’une petite fille, un bébé du même âge que le sien. La mère lui donne rapidement sa feuille de route et lui jette, depuis l’ascenseur, qu’elle rentrera tard because une réunion H-Y-P-E-R importante. La porte se referme. Le calme revient. Des pleurs retentissent. La jeune maman-nounou va chercher le bébé dans sa chambre de rêve et la prend dans ses bras. Très doucement, elle lui chante une berceuse en espagnol et la petite fille cesse de pleurer. La même berceuse que celle qu’elle fredonnait à sa petite fille avant de la déposer dans son berceau. Le jour finit de s’installer. Le ciel rosit au-dessus des immeubles haussmanniens. La nounou-maman pense à sa petite fille qui va l’attendre longtemps.

 

 


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