La zone commerciale du kilomètre 110 s’éloigne. Le plateau se rapproche avec son chapelet de fermes tenues à bonne distance les unes des autres par des carrés de terre labourée. Je refais le chemin à l’envers. Après la promesse d’une aube rose, le ciel offre à nouveau ce camaïeu de gris, celui auquel nous sommes habitués depuis plusieurs semaines. Pour la énième fois, j’écoute les chansons de « LaLaLand ». Je leur préfère de loin celles des « Parapluies de Cherbourg » et des « demoiselles de Rochefort » mais je ne les ai pas. C’est Diana, la jeune fille qui veillait sur ma soeur et moi quand nous habitions en Charente-Maritime, qui m’avait initiée aux comédies musicales. Elle a été pour moi une véritable grande soeur. Une valse préfectorale nous a séparées. Notre père n’a pas pu obtenir qu’elle nous suive dans le Tarn. A l’âge de vingt-quatre ans, en vacances chez nous dans le Gard, elle s’est noyée sous les yeux de ma soeur, enfant, dans l’eau verte de l’Ardèche. Aucun d’entre nous ne peut retourner sur les bords de cette rivière sans penser à Diana, à tout ce qui l’attendait, à sa jeune soeur handicapée dont elle était si proche. Diana était une aînée de fratrie. Elle ressentait une grande proximité avec Mireille Mathieu dont elle était une fan inconditionnelle car, comme elle, elle portait sa famille à bout de bras. C’était une artiste avec des doigts de fée. Ses mains donnaient vie à tous les trésors de son imagination: déguisements, vêtements pour poupée, peluches. Elle avait commencé à vendre des oies étonnantes. Nous en avons deux spécimens dans la chambre d’enfants dans la bonne et vieille maison de Pont. Dans ma chambre, j’ai, sur la cheminée, entre des petites maisons rapportées des Cyclades et des objets en pâte à sel, une photo de Diana. Elle a les cheveux courts. Son visage est très pâle et ses yeux battues par de larges cernes. Elle se relevait doucement après un terrible accident de voiture. Elle avait été percutée de nuit par un très vieux conducteur auquel on aurait dû retirer son permis de conduire depuis plusieurs années mais auquel ses anciennes fonctions d’élu municipal continuaient de conférer un pouvoir spécial…Elle était encore très fragile quand elle était venue nous voir en août à Pont-Saint-Esprit. Nous avions été ramasser des mûres le long du chemin des Sources. En fin de journée, à l’heure des rayons dorés, il faisait encore très chaud. Je me rappelle que je portais un short kaki et un tee-shirt blanc que mon père m’avait offerts. Je n’allais jamais dans les boutiques avec ma mère. Elle n’aimait pas ça.
Je reviens au kilomètre cent-dix. Je suis toujours surprise de constater comme mon esprit m’emporte vite, très loin. Car, avant Diana, avant Rochefort, j’étais aux Antilles et je repensais à notre départ. La nuit était tombée sur l’aéroport du Lamentin. En marchant sur le tarmac, j’inscrivais en moi comme des sillons dans du vinyle, tous les bruits, les odeurs, la chaleur humide. Dans le boieng 747, je posais mon front contre le hublot. Je vivais mon troisième déménagement après Metz et Paris. Dans la soute, nos deux chiens, Bibique et Réo, devaient maintenant dormir. Sur les conseils du vétérinaire, notre mère les avait sédatés. Tout à l’heure, quand nous avions été séparés d’eux, Réo s’était mis à hurler à la mort tel un vieux loup blessé.
Au kilomètre cent-dix, entre Rochefort et Fort-de-France, entre enfance et adolescence, je m’arrête à un passage péton pour laisser traverser une dame. Elle pleure et essuie ses yeux avec un mouchoir en papier. Elle ne souhaite pas que son mascara trahisse sa peine. Comme c’est triste de voir un ami pleurer. C’est le grand Jacques qui le chantait. Je trouve que voir toute personne pleurer est triste. Dans mon cabinet, voir des larmes couler sur les joues d’un patient est difficile. Il m’arrive souvent d’être alors également submergée. La dernière fois, c’était à l’écoute du drame que l’une de mes patientes avait vécu quand, petite fille de sept ans, partie chercher du lait à la ferme voisine avec sa berthe en fer blanc, un camionneur avait roulé sur le chien qu’elle tenait en laisse et dans lequel elle voyait ce frère que la vie lui refusait. Elle avait lu la détresse dans son regard implorant. Elle avait été contrainte de le laisser et avait couru aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient pour aller chercher du secours auprès de sa mère. Sa mère avait mis l’animal dans une brouette. Il avait la colonne vertébrale brisée. Rétrospectivement, la maman avait tremblé en songeant que le chauffeur aurait pu tout aussi bien écraser sa petite fille. Le chien tant aimé était mort dans la nuit sans que sa jeune maîtresse ait trouvé la force d’aller lui dire au revoir. Toutes ces années après, elle se reprochait encore son manque de courage. Elle pleurait à chaudes larmes. Elle était certaine de l’avoir abandonné.
Au passage piéton du kilomètre cent-dix, je laisse la petite fille qui a aujourd’hui le même âge que moi et vient, à nouveau d’être très éprouvée dans la vie et me demande ce qui fait pleurer cette femme qui est entrée dans sa cinquième décade et approche tranquillement de la sixième. Maladie? Décès d’un proche? Séparation? Licenciement? Elle porte un imperméable beige. Elle ne doit pas avoir très chaud. Ses cheveux sont blonds mais d’un blond artificiel, fruit d’un shampooing colorant fait maison. Elle a des attaches très fines, une frange. Je repars. La dame est passée avec son chagrin et son mouchoir, son imperméable et sa frange blonde. Je ne saurai pas ce qui la rendait si malheureuse.
Plus loin, je vois une vieille dame qui sort de chez elle avec son chien. Le chien est vieux. La maison ressemble à celle de monsieur Hulot. Le chien est un border collie. Il marche lentement derrière sa maîtresse. Rêve-t-il encore dans son sommeil qu’il rassemble des moutons dans un champ? Tous deux doivent avoir des rhumatismes. Qui partira avant? Le chien ou sa maîtresse? J’espère que ce sera le chien. Les animaux sont si malheureux de voir mourir leur maître. Au décès d’un maître, c’est tout l’univers de l’animal qui peut s’écrouler. L’animal, brutalement, passe du confort du canapé si douillet en hiver au sol froid d’une cage dans un refuge, de la douce présence d’un maître qui a désormais tout le temps de le caresser à un grand vide affectif. Vraiment, il vaut mieux que le chien parte avant.
Au passage à niveau, je ralentis. Je pense à ce dramatique accident qui, dans le village de Millias, a arraché la vie à six collégiens et condamné la conductrice du car à la douleur continuelle de celui qui est broyé par la culpabilité, même quand il n’a commis aucune faute. Des adolescents sont morts à un passage à niveau. La conductrice aussi. J’ai beaucoup pensé à cette femme dans les jours qui ont suivi. On approchait de Noël. Cette femme, Nadine, âgée de quarante-huit ans, mère d’une grande adolescente de dix-sept ans, qui connaissait les vingt-six élèves qu’elle transportait ce jour-là dans le car. Elle roulait à douze kilomètres/heure quand le car a été fauché par un TER. Comment peut-on survivre moralement à un tel drame? Je ne peux pas croire que les barrières étaient fermées. Cela arrive que des trains circulent sur les voies et que les barrières demeurent levées. La plupart des êtres humains ont ce besoin d’identifier un coupable, un bouc émissaire. Son rôle premier consiste à cristalliser la souffrance qui se transforme en rage. Dans les jours, les semaines qui ont suivi les attentats du treize novembre à Paris, j’ai été bouleversée par les mots de proches des victimes. Des compagnons, des parents, des frères, des enfants qui ne voulaient en aucun cas se laisser gangrener par la haine.
Le passage à niveau franchi, le terrain militaire désaffecté longé, je voulais prendre mon chemin préféré, le chemin des écoliers, le chemin buissonnier qui enjambe le canal de Briare et serpente dans le ravissant village de Conflans-sur-Loing mais la route était barrée. Je ne verrai pas l’écluse, l’armée de roseaux, les troncs frêles des jeunes bouleaux argentés, le dos brun d’un castor, l’église au clocher tourmenté, la maison de l’une de mes patientes dont les rebords des fenêtres sont toujours si joliment décorés et la petite auberge qui à un je-ne-sais-quoi d’alsacien et dont le chef, enfant, a échappé à la folie des Khmers rouges en s’embarquant avec sa famille à bord d’un bateau de fortune.
Dans mon coffre, je rapporte tous les ingrédients nécessaires à cette tartiflette que Victoire m’a commandée; la brosse à dents électrique à l’effigie des Minions qui chante, parle (on n’arrête pas le progrès!) et nettoie (?) que Louis m’a demandé; la terrine de canard au poivre vert pour le sandwich du pique-nique de Céleste laquelle, demain, avec sa classe, ses professeurs d’histoire et de français, se rendra à Lorris visiter le musée de la résistance et de la déportation; le mélange japonais dont Stéphane est friand pour accompagner le Ti punch qui fait chuter la pression le soir après de longues heures de travail solitaire et du muscat de Beaumes-de-Venise pour notre mère qui revient prendre soin de Fantôme à partir de jeudi. Cette semaine, je referai un pot au feu. Les enfants aiment beaucoup le bouillon dégraissé dans lequel on jette une pluie de vermicelles. Il y aura aussi un dîner breton avec galettes de sarrasin et un gâteau poires/chocolat. Chaque semaine, j’essaie de me renouveler en restant au plus près des produits de saison.
Les courses achevées, j’ai résisté à l’appel de la maison de la presse. Quand on aime les vraies librairies comme nous en avons retrouvées à Metz, il est difficile de trouver un réel plaisir à se promener dans cet espace qui se résume à quelques rangées de livres, magazines, journaux, cartes postales et kits créatifs. Je préfère aller à la médiathèque où je ressens un bonheur immense à déambuler d’un étage à un autre, à entrer dans un rayon sans savoir ce que je vais y trouver, à découvrir les livres que les bibliothécaires ont voulu mettre en lumière. Samedi dernier, ils ont ressorti des ouvrages de Françoise Dorin dont la mort est passée presqu’inaperçue. Une femme à la fois légère et profonde, compagne de Jean Poiret et de Jean Piat, parolière de magnifiques chansons comme « Que c’est triste Venise ». C’est Françoise Dorin qui a mis des paroles sur la chanson de Dalida « la danse de Zorba ».
Hier soir, serrés les uns contre les autres, sur le canapé de la mezzanine, nous finissions de voir la première partie d’un film qui m’a tant marquée que je ne savais pas si je trouverai la force un jour de le revoir « Nos meilleures années » de Marco Tullio Giordana sorti en 2003. A la médiathèque, samedi matin, Stéph l’a emprunté. Notre trio a été tout de suite emporté dans l’histoire d’une fratrie de quatre enfants, deux frères et deux soeurs, qui commence dans les années 60 pour se terminer à la fin des années 80. Au-travers de l’histoire de cette famille, on revisite celle de l’Italie et de l’Europe: le début du mouvement « peace and love », la terrible inondation de Florence, la violence des affrontements entre étudiants et forces de l’ordre en 1968, le début des vagues de licenciements massifs dans l’industrie, les maladies liées aux conditions de travail, les crimes perpétrés par les brigades rouges et la mafia sicilienne.
Si mon cerveau ne s’était pas fermé hermétiquement aux mathématiques quand j’étais en CE1, à Fort-de-France, en Martinique, après avoir subi les humiliations répétées d’une institutrice noire qui n’aimait pas les enfants blancs, j’aurais entrepris des études de médecine et aurais choisi la psychiatrie tout en devenant analyste, parcours passionnant du médecin qui m’a accompagné plusieurs années et dont la douceur et l’air de famille avec Meryl Streep m’accompagnent toujours. Dans « nos meilleurs années », Nicola, le troisième enfant de la famille Carati, étudiant en médecine, s’oriente vers la psychiatrie après avoir constaté les traces laissées par une séance d’électrochocs sur les tempes de Giorgia. Devenu psychiatre, il se battra pour dénoncer les mauvais traitements endurés par les patients dans les institutions et, grâce à lui, des psychiatres tortionnaires seront condamnés à des peines de prison. J’ai su par des patients ayant été hospitalisés en psychiatrie que les électrochocs sont de retour mais qu’ils portent désormais le joli nom de sismothérapie…
Etudiante, je m’étais passionnée pour la lecture d’un livre intitulé « Penser la folie, essais sur Michel Foucault ». Les liens resserrés qui unissent la création et la folie m’ont aussi de longue date fascinée. Trop longtemps, l’hypersensibilité accompagnée de moments de mélancolie faisant suite à des phases d’exaltation a été assimilée à de la folie. Comme il était facile de faire passer pour folles et de réduire au silence des femmes passionnées, des épouses libres, des soeurs artistes, des filles non conventionnelles ou encore des êtres attirés par des êtres de même sexe! Si j’avais vu le jour un ou deux siècles plus tôt, j’aurais eu de grande chance de passer ma vie dans un asile! Une de mes patientes a été hospitalisée d’office par son mari alors qu’elle venait de donner naissance à leur troisième enfant après qu’elle lui ait confié que, croyante, elle recevait des messages de l’au-delà. Sa grand-mère et sa mère avaient ce don. Cette femme et mère ne faisait de mal à personne. Elle recevait parfois des messages et avait pour mission de les transmettre. Pour la bien connaître, je peux attester de son équilibre fort, de ses grandes qualités de coeur et de sa forte résilience. Elle a pardonné à son mari cette hospitalisation, la séparation brutale avec ses enfants. Lors de son bref internement, elle s’est aperçue que l’infirmier de nuit profitait de ses passages dans les chambres pour abuser des patientes dont l’état de conscience était altéré. Elle a pu dénoncer les actes de cet homme.
Dans notre famille, tout le monde se passionne pour l’art brut, un art souvent imaginé par des êtres malades qui n’auraient jamais dit d’eux-mêmes qu’ils étaient des artistes. Nous avons la chance d’habiter non loin d’un lieu absolument unique en France auquel j’ai déjà consacré deux chroniques, la Fabuloserie. Dans le petit village de Dicy, dans l’Yonne, se trouve la collection d’art-hors-les-normes d’Alain Bourbonnais. C’est Jean Dubuffet, inventeur de l’expression « art brut » qui lui avait suggéré d’employer celle d’art-hors-les-normes. A Paris, samedi, nous irons découvrir l’exposition « la folie en tête » dans la maison de Victor Hugo, place des Vosges. Les enfants pourront ainsi entrer dans l’intimité d’Hugo et découvrir les oeuvres de patients internés.
Victor Hugo était familier de la folie. Son frère Eugène souffrait de folie et sa fille Adèle fut considérée comme mentalement dérangée. La folie d’Adèle est certainement une folie arrangée par un père qui ne supportait pas l’indépendance de sa deuxième fille. Adèle était sans doute fragile mais cette fragilité pouvait prendre racine dans la relation vécue entre sa mère et son parrain, Sainte Beuve et, à la fin de cette relation, le début de celle que son père entretiendrait avec Juliette Drouet. La mort de sa soeur aînée, Léopoldine dont elle était très proche et qui s’est noyée, a, aussi eu un impact très fort sur le caractère d’Adèle. L’exil de son père et de toute sa famille, sur l’île de Jersey, d’abord, puis sur celle de Guernesey, ensuite, ont beaucoup fait souffrir Adèle. C’était une jeune femme ravissante, brillante, passionnée qui tentait de sublimer sa mélancolie dans la musique. C’était une pianiste virtuose. Elle était aussi une excellente portraitiste. Son père la condamnait à un isolement terrible et elle se consumait d’amour pour Albert Pinson, un bel officier anglais. Aux Antilles, à la Barbade, Adèle a pu vivre des années heureuses même si son officier, incapable d’assumer une personnalité aussi forte, devait en épouser une autre. Son père ne supportait pas l’indépendance d’Adèle. Dès son retour en France, il prit la décision de la faire interner. Adèle meurt le 21 avril 1915. Cette femme remarquable, hypersensible, passionnée n’est pas venue au monde à la bonne époque et son monstre de père l’a écrasée de tout son poids d’homme réputé génial!
L’exposition « la folie en tête » présente les collections réunies par quatre psychiatres au cours du XIXè siècle: le Docteur Browne, le Docteur Auguste Marie dont une partie de la collection fut achetée par Dubuffet et se trouve à Lausanne, le Docteur Walter Morgenthaler et celle de Hans Printzhorn. Le regard sur la folie sera long à changer. Après quelques décennies de meilleure prise en charge, il semble qu’à nouveau la psychiatrie se détériore. En France, les psychiatres deviennent une denrée rare. Ils n’ont pas de temps pour l’écoute. Nos psychiatres ont tant de travail qu’il leur faudrait désormais pouvoir se consacrer exclusivement aux malades psychotiques et non aux patients névrosés. En quinze minutes, un psychiatre ne peut guère faire autre chose que de remplir une ordonnance après avoir identifié le problème et mis en face la bonne molécule. Nos généralistes ont trop vite tendance à prescrire des antidépresseurs, des anxiolytiques et des somnifères à leurs patients. Heureusement, tous les médecins traitants n’ont pas cette approche qui correspond à notre société clinique qui veut des gens efficients, forts et ayant le bon goût de mourir vite et sans trop de bruit.
Je reçois des patients qui sont au tout début du grand voyage qu’est le deuil. Un voyage qui nous fait découvrir différents pays: le déni, la colère, la tristesse et l’acceptation. Un deuil est très personnel. On ne sait pas combien de temps ce voyage va durer. Une chose est certaine, ce voyage doit être entrepris. On ne peut pas faire comme s’il ne s’était rien passé, comme si tout allait bien, comme si la vie serait comme avant. Quel mensonge! Mensonge facilement entretenu par toutes ces molécules qui anesthésient les sentiments, gèlent le processus du deuil. J’ai eu, l’année dernière, une patiente incroyablement courageuse. D’origine portugaise, elle était arrivée en France avec les siens à l’ adolescence. Elle n’avait qu’un frère. Elle s’était mariée avec un homme d’origine portugaise lui aussi. Tous deux avaient travaillé très dur pour s’établir dans la vie et donner un avenir à leurs deux enfants. Ses parents étaient retournés dans leur pays à la retraite. Son père avait connu une longue agonie morale et physique après un AVC très fort. Il avait tenté de se donner la mort. Son frère est mort. Il était très dépressif et quand les gendarmes ont découvert son corps, sa soeur n’a pas pu venir le reconnaître car il était trop abimé. Quelques mois après, on a diagnostiqué à son mari un cancer du cerveau. Son mari s’est battu comme un lion. Quand il a senti qu’il n’avait plus la force de lutter, il a cherché à préparer sa femme à sa mort. Mais, elle avait si peur qu’elle ne voulait pas entendre. Jusqu’au bout, elle a refusé la réalité. Ses deux enfants venaient de quitter le nid. Ils commençaient leurs études. Une fille courageuse. Un fils fragile.
Quand cette dame est venue me voir, cela faisait déjà deux ans qu’elle était suivie par un psychiatre à l’hôpital. Elle n’avait quasiment jamais été arrêtée alors que son dos la faisait terriblement souffrir. Son poste à l’usine l’avait beaucoup éprouvée. Elle se culpabilisait pour tout: la mort de son frère, celle de son père, de son mari et la solitude d’une mère toujours dans la plainte. Le psychiatre la secouait, estimant qu’au bout de deux ans, elle aurait dû avoir fait le deuil…Il ne s’agissait pas d’un seul deuil mais d’une succession de deuils et du sentiment de flottement d’une femme encore jeune qui ne pouvait pas se raccrocher à la joie que prodigue des petits-enfants. En quelques séances suivies d’une répétition quotidienne des exercices, elle a pu dépasser sa culpabilité, reprendre goût à la vie et retrouver le chemin de son potager. Profitant de ce début d’année, je lui ai écrit pour avoir de ses nouvelles. Elle allait bien et s’amusait de ce que les chatons que son fils lui a confiés aient fait leurs griffes sur son canapé.
Quand, enfin, je me suis garée près du bouleau argenté au pied duquel j’avais, à la fin de l’été, trouvé le bébé hirondelle, j’avais entrepris de nombreux voyages! Dans le coffre, le fromage pour la tartiflette de Victoire sentait bon les étables alpines. C’est sous la pluie que j’ai rentré les sacs. C’est sous la pluie que Fantôme et moi nous promenons. L’avantage, avec la pluie, c’est que lorsqu’on pleure, cela ne se voit pas!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Merci Anne-Lorraine pour ce partage de voyages dans le temps!
Pour rebondir sur l’une de vos réflexions, avez-vous vu le film « Hatchi »?
Comme vous dites, « when you cry in winter time, you can pretend it’s nothing but the rain »…. (une pensée pour Demis Roussos et ses enfants d’Aphrodite!)
Amicalement,
Nelly
Chère Nelly, je vous remercie pour votre message. Je vais essayer de trouver et de voir « Hatchi » mais je crains que la tristesse de ce film ne m’oblige à le regarder sous la pluie! Sur le plateau, le vent est toujours aussi violent et les arbres tourmentés. J’essaie d’imaginer la pointe du Raz. J’essaie de voir des vagues s’élever au-dessus des champs. Je vous embrasse, Anne-Lorraine