Lundi 18 janvier, le soleil est en passe de se lever pour un groupe de collégiens sur le départ en voyage scolaire dans le Massif central! Contrairement à sa sœur cadette qui avait préparé sa valise pour le séjour en Vendée, axé principalement sur la pratique du char à voile, plus d’un mois à l’avance, Céleste, elle, s’y est pris mardi soir et Victoire l’y a aidé. Jeudi après-midi, avec deux de ses amies, Manon et Eléa, qu’elle connaît depuis la première année de maternelle, Céleste a entièrement défait et refait sa valise et, dimanche après-midi, avec Eléa, via skype, elles ont, une nouvelle fois, procédé à une ultime vérification du contenu de leur valise respective! Le matin du départ, je sors du lit à six heures. Je vais préparer le pique-nique de notre grande et glisser dans sa valise une carte qu’elle découvrira à l’arrivée. Je fais toujours ça quand les enfants s’en vont. Contrairement à moi quand j’étais enfant et, plus tard, adolescente, je sais que ma fille a dormi profondément sans redouter que sa mère n’entende pas la sonnerie du réveil. Notre mère, grande dormeuse devant l’Eternel, ayant toujours eu un mal fou à sortir de son lit le matin, je ne lui faisais pas confiance et ne fermais quasiment pas l’œil la veille des sorties et des départs pour des séjours avec l’école ou le collège.
Céleste sort de son lit à 6h30 sans que j’aie besoin de revenir à la charge. A 6h15, je me suis allongée à côté d’elle dans la partie haute du lit superposé. Sans un mot mais avec un sourire dont la douceur ferait fondre le cœur le plus sec, elle s’est blottie contre moi. Nous nous étions très fortement accrochées la veille et nous étions endormies sans nous réconcilier. C’est la seconde fois que cela nous arrive en deux semaines et cela n’est pas du tout dans nos habitudes ! Avec mes deux heures de sommeil au compteur, sans plumes ni robe en peau à franges, je viens enterrer la hache de guerre. Elle s’habille vite. Sa sœur lui emboîte le pas et arbore de splendides papillotes faites dans des feuilles de papier Sopalin qu’elle a enroulées dans ses cheveux la veille pour avoir des boucles ! Louis dort, seul, dans la chambre qu’il partage avec sa sœur ainée et que sa cadette, depuis deux jours, consent à accueillir dans la sienne. On ne réveille pas Louis. Céleste ira déposer un baiser sur sa joue avant de partir. Hier, Céleste était excitée comme une puce ! Maintenant, elle est ravie mais calme. C’est son papa et sa sœur qui la conduisent au collège où, après un au-revoir rapide, elle part seule avec sa grosse valise rouge qu’elle tire derrière elle alors que le car arrive.
Le froid est enfin là et la neige, que tout le monde a pleurée lors des vacances de Noël, est tombée en abondance donnant à la montagne sa belle couleur blanche. Les enfants vont vraiment pouvoir vivre pleinement ces matinées de ski alpin, de ski de fond, de biathlon, de raquettes, de luge et de promenade avec des chiens de traîneau. Sur les quarante-six enfants qui ont la chance de partir vingt-six vont découvrir, pour la première fois, les joies de la montagne en hiver et les plaisirs de la glisse. Un de leurs professeurs, professeur d’éducation physique et sportive, ancien joueur de rugby, n’a jamais chaussé de skis. C’est vraiment bien que les enfants qui débutent aient avec eux un professeur qui commence également. Plus on avance en âge et plus l’apprentissage du ski peut s’avérer difficile. Les enfants seront accueillis dans un centre au nom plein de poésie « les pinsons de Marjolaine », situé à la Bourboule, réputée pour son thermalisme, et les activités se dérouleront principalement du côté du Mont Dore. En plus des moniteurs, ils sont encadrés par deux professeurs d’EPS et trois autres professeurs dispensant le français, l’anglais et la technologie.
En deux jours, les enfants qui n’avaient jamais skié ont fait d’incroyables progrès et, ce matin, tout le monde prend la direction des télésièges. Les plus expérimentés des collégiens ont skié avec leurs professeurs. Cette après-midi, ils s’initieront à la pratique du ski de fond et au biathlon. Les souvenirs de mes chutes les plus mémorables et de mes sensations de fatigue physique la plus intense, je les dois à la pratique du ski nordique ! Je me rappelle plus particulièrement une traversée du plateau du Vercors à la toute fin de l’hiver avec mon mari et deux de ses amis de fac, Nelly, grande sportive et Hugues, ancien chasseur alpin et tous deux avocats amenés à se croiser parfois au Palais à Lyon. Nous étions partis tard, trop tard. La neige fondait, une neige de printemps. Il n’y avait plus ou presque plus de traces pour avancer avec les skis de fond. Nous avions de gros sacs à dos. Nous devions dormir dans un refuge mais, assez vite, nous nous sommes perdus. Nous étions épuisés. La nuit était tombée quand nous avons vu scintiller au loin des lumières. C’était les frontales d’un quatuor de militaires s’amusant à faire une traversée nocturne. Moi, on m’aurait dit qu’il s’agissait des rois mages suivant l’étoile, je l’aurais crû ! Ils nous ont indiqué un abri pour les bergers car nous n’atteindrions jamais le refuge. Nous avions tourné en rond. A cette époque, pas de GPS et sur un plateau, pas facile de trouver des repères pour s’orienter ! Nous avons mesuré notre chance d’avoir rencontré ces marcheurs en raquettes ! Nous avons fait un feu et dîné. Nous y avons dormi sur des planches en bois dont l’étroitesse rendait la présence de deux corps allongés assez périlleuse ! J’avais le visage tourné vers le mur de pierres sèches couvert de toiles d’araignée et Stéphane avait la moitié du corps dans le vide. Avant que nous ne rencontrions nos sauveurs, Hugues nous avait dit que, faute de mieux, nous nous fabriquerions un igloo, ce qu’il avait appris à faire pendant son service militaire à Briançon. Bizarrement, à aucun moment, je n’ai eu peur de quoi que ce soit ! J’en avais juste assez de dégringoler dans la neige, d’être trempée et que le poids de mon sac (à moins qu’il ne se soit agi de celui de mon séant endolori !) m’empêche de me relever après les chûtes ! Franchement, sans outil, je ne vois pas comment nous aurions réussi à nous protéger dans un igloo ! Cette traversée du Vercors reste, cependant, un de mes meilleurs souvenirs de ces vingt dernières années et j’adorerais recommencer mais, cette fois, avec des raquettes !
Nous, parents et frères et sœurs, qui avons tant de plaisir à regarder les vidéos postées par leur professeur de technologie et découvrir les billets pleins d’humour et de tendresse de leur professeur de français, sommes vraiment heureux pour eux, heureux de les sentir heureux, de les entendre rire, de les voir glisser sur les pistes, dégringoler des luges, avancer sur les chemins enneigés avec des raquettes, dévaler comme des dingues des pistes dans des luges tirées par des chiens de traîneau, se régaler d’une tartiflette ou d’une truffade et goûter à l’aligot. En les suivant dans leurs aventures, je ne ne peux pas m’empêcher d’être triste pour ceux qui n’ont pas pu partir. Ces voyages sont très chers et pas du tout subventionnés. Quand nous l’avons offert à Céleste, nous avons bien insisté sur le fait que c’était un très beau cadeau. C’est important, jeune, de prendre conscience des choses.
Demain, après une visite dans une ferme, la plupart des enfants vont revenir avec du Saint-Nectaire pour leurs parents. De la Vendée, les enfants avaient rapporté de la fleur de sel et une belle brioche et d’un séjour à Combloux, de l’abondance, du beaufort, du reblochon et de la tomme : un vrai plateau des fromages savoyards qui avait embaumé les soutes du car !
Hier, après le ski alpin et un déjeuner au restaurant très apprécié, les enfants ont découvert la vie des mushers et de leurs chiens qui leur a été racontée sous une yourte chauffée par un poêle. Par groupes de trois installés dans une luge, les enfants ont vécu des sensations fortes tirés par un attelage composé de douze chiens menés par un musher. Au téléphone, hier soir, alors que mon mari et moi suivions ce téléfilm terrible revenant sur ces crimes odieux commis dans l’Est parisien dans les années 1990 par Guy Georges, quartier qui fut le mien à cette époque, Céleste nous a parlé des chiens, de leur plaisir à tous de les avoir vus, caressés, de leur tristesse devant leurs combats entre eux quand certains ne sont pas choisis pour la sortie. Ces animaux, comme Fantôme, notre berger australien dont l’énergie et la puissance lui ont permis de tirer les enfants en luge l’an dernier dans le Queyras, ont un intense besoin de dépense physique et de se sentir utile. Ce sont des animaux de travail et sans travail ou sans sortie à la hauteur de leur caractère, ils sont malheureux, dépérissent, font des bêtises, peuvent devenir agressifs et finissent dans des refuges…
Je crois l’avoir souvent écrit dans mes chroniques : très jeune, vers l’âge de quinze ans, je m’étais programmée pour avoir quatre enfants. Ce n’était pas un caprice, celui d’une jeune fille qui joue encore à la poupée mais plutôt, la réponse à cet amour immense que je sentais en moi et ce souhait d’une vie pleine de couleurs, de sons, de mouvements que les enfants, dans une maison et les petits-enfants, plus tard, apportent. J’avais dans la tête des images de portemanteaux saturés, de paires de chaussures abandonnées en vrac dans l’entrée, de tables animées, de calendriers débordants d’évènements, de fêtes d’anniversaire et de câlins prolongés. Après la naissance de Louis, j’avais 37 ans. J’avais été très fragilisée par un mode de vie éloigné de celui auquel j’aspirais, une recherche permanente d’équilibre dans le déséquilibre, des années où mon mari travaillait à l’étranger et où notre mère, partageant son temps entre les enfants de ma sœur géographiquement proches d’elle et notre grand-mère qui s’en allait tout doucement sur la pointe des pieds, ne pouvait pas venir m’aider. Malgré ma fatigue, j’avais encore en moi l’espace pour ce quatrième enfant. Il n’est pas venu. J’en ai fait le deuil. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je sais que ce quatrième enfant aurait été un garçon, ce petit frère qui aurait donné tant de joie à Louis et aurait rééquilibré la fratrie. Nous n’avons pas eu ce petit garçon. Nous avons eu Fantôme. Un animal merveilleux que tout le monde aime et que mes patients caressent avant de me tendre la main.
Fantôme a eu 5 ans en décembre de l’année dernière. Il est toujours la première personne qui, le matin, me guette, m’espère et me fête comme un amoureux transi. Si nous n’avions pas vécu en pleine campagne, n’avions pas majoritairement travaillé chez nous, n’avions pas pu lui donner au minimum deux sorties par jour, nous n’aurions jamais choisi un berger australien. En voyant Céleste caresser un des chiens de traîneau, je me dis que Fantôme aurait été jaloux ! L’an passé, sur les chemins enneigés du Vercors, il était si heureux !
Hier, Victoire avait rendez-vous chez l’orthodontiste. Après deux expériences peu concluantes, enfin un vrai thérapeute qui a le souci de son jeune patient et lui explique calmement les choses. Pas de soin avant que ne soient tombées toutes les dents de lait. On reviendra en janvier de l’année prochaine. En revanche, il félicite Victoire pour le travail qu’elle a mené avec une orthophoniste pour apprendre à bien placer sa langue et déglutir. Le cerveau a repris de bonnes habitudes, après cinq années de succion du pouce. Victoire ne va pas à l’école. Je lui propose que nous partagions un moment mère/fille. Nous allons nous promener dans les rues, regarder les boutiques, déjeuner dans une brasserie où l’un de nos amis fait des merveilles depuis son piano, chercher livres et DVD à la médiathèque et trouver des petites voitures pour son frère. Victoire prend toujours le temps d’essayer les vêtements, de les associer entre eux. Cela m’amuse ! Encore aujourd’hui, j’achète souvent des vêtements sans les essayer ! Avec mes filles, je fais des progrès. Je dois les mener sur le chemin de la féminité. Je fais avec elles ce que je n’ai jamais fait avec notre mère mais avec notre grand-mère qui, lorsque nous passions une semaine à Paris avec elle, consacrait une journée entière à nous offrir de jolies choses. C’est elle qui nous a appris à reconnaître les matières, à privilégier les tissus nobles, à être attentive à la coupe, aux ourlets, aux boutons, aux associations de couleurs. Elle avait un sens inné de la mode qu’elle anticipait et qu’elle a transmis à ma sœur quand elle me léguait son odorat puissant. Ma sœur aurait pu être styliste et j’aurais pu être nez ! A mes jeunes patients, je demande d’imaginer le parfum qui leur donne confiance, un parfum rien qu’à eux. J’ai ainsi déjà eu l’odeur de la pomme verte, de la vanille, d’un papa et, dans un registre assez étonnant, celle du McDo qu’un père rapporte parfois à la maison le vendredi soir à sa famille ! Si Maurice et Richard McDonald avaient pu savoir que leur nourriture était de nature à donner confiance aux jeunes adolescents, ils en auraient été bouleversés !
Vendredi, en Auvergne, les enfants ont déjà dû quitter « les pinsons de Marjolaine » après avoir rangé leurs affaires. Ils vont faire une étape dans une ferme. Dans le car qui va les ramener dans le Loiret, je les imagine à la fois heureux de retrouver les leurs et tristes de voir la montagne s’éloigner. Notre mémoire ressemble à une grande bibliothèque. Sur les rayonnages, les souvenirs se rangent. Les meilleurs sont en bonne place, faciles à retrouver et à se remémorer. Les natures optimistes laissent les mauvais souvenirs disparaître derrière les bons. Cela ne veut pas dire, oublier, mais choisir de revivre les bons moments. Je sais que tous les souvenirs liés à ce séjour dans le Massif central seront placés en très bonne place !
Bon retour les enfants ! On vous attend ce soir, avec vos professeurs. Aurez-vous songé à leur témoigner votre reconnaissance pour vous avoir accompagnés ? Aurez-vous pensé à écrire une carte à vos camarades restés dans la plaine ? Celle de Louis est arrivée ce matin. Comme il va être heureux que sa grande soeur ait pensé à lui!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner