Chronique d’une communion le 7ème dimanche de Pâques

 

Iris van gogh.jpgCe dimanche matin, le ciel est clair mais le thermomètre affiche seulement quelques petits degrés. Dans le jardin, les camélias et les azalées sont fanés. Les pivoines sont encore en boutons. Les iris jaunes et violets évoquent une toile de Van Gogh. Les boules de Noël sont en fleur, et le rosier ancien a déjà donné deux fleurs dont le parfum ferait succomber tous les petits princes tombés par hasard du ciel sur notre gazon. Hier, avec Natalie, la marraine, et Victoire, sa filleule et notre deuxième fille, nous avons rapporté du marché de splendides arums et des lys bleus et jaunes achetés à une vieille dame qui vend toute l’année la petite production de son jardin. Avec son visage ridé, ses yeux pétillants, ses mollets maigrelets plongeant dans des bottillons fourrés, elle est très touchante. Natalie qui nous a offert les fleurs m’a glissé n’avoir pas saisi un traitre mot de ce que disait la vieille dame. Normal ! Il en faut des années de terrain avant de réussir à comprendre l’accent du Gâtinais ! Sur le marché, en dix ans, j’ai eu le temps de nouer des liens, si bien que, bientôt, tout le monde sait que Victoire fera sa première communion le lendemain. Chacun y va de son petit mot gentil à l’adresse de Victoire et revisite ses souvenirs de première communion en tant que communiant ou en tant que parent de communiant.

 

Bissau.jpgFidèle à son habitude, Marie-Jo, qui cuisine sur place de la paëlla et du poulet yassa, offre à Victoire, sa « copine », quelques nems aux crevettes supplémentaires qu’elle engloutit aussitôt ! Le frère jumeau de Marie-Jo est mort l’an dernier laissant un fils âgé de dix ans qui n’avait déjà plus sa mère. En Guinée-Bissau, il vit depuis plusieurs mois chez des cousins dont la maison vient de brûler. Marie-Jo a entrepris des démarches tant en Guinée qu’en France pour pouvoir l’adopter et le faire venir. Dès que la situation sera réglée, elle s’envolera pour Bissau chercher son neveu et remercier la famille de l’avoir hébergé. Nous en parlons tous les samedis depuis Noël. Pour Marie-Jo savoir son neveu, le fils de son frère jumeau, au loin est une vraie souffrance qu’elle dissimule derrière son joli sourire et sa joie de vivre.

 

poulet pattes bleues.jpgEn ce dimanche, je décide de conjurer le froid et enfile mes pieds-nus dans mes chaussures rouges. Depuis vendredi, nous sommes en moyenne dix pour le dîner. Dans quelques heures, nous serons dix-huit adultes et neuf enfants et, non seulement tout est prêt, mais en plus nous sommes, Natalie et moi, habillées, coiffées et maquillées… C’est la première fois que je réussis à être complètement prête presqu’une heure avant le départ ! Si je n’étais pas aussi fatiguée, je trouverais cela presqu’ennuyeux tout ce temps libre ! D’habitude, je suis toujours la dernière à me faire une petite place dans la salle de bains après avoir veillé à ce que les enfants, eux, soient habillés, coiffés, chaussés, médaillés et à essayer de me maquiller face à un miroir mal éclairé et brouillé par la vapeur d’eau.  Un papa et un de ses beaux-frères, Valentin, le parrain de Victoire, ont même eu le temps de faire une sortie en vélo dans la campagne avec Fantôme, le berger australien. Flegmatique tel un officier anglais en poste aux Indes, il se prépare à faire mariner ses viandes et, ensuite, à se changer. Nous sommes à quinze minutes du départ. Natalie et moi échangeons un sourire complice. Elle a le même mari à la maison. Un mari, comme le mien, ayant grandi dans un village bressan. Je me demande si le flegme qui semble caractériser les hommes de cette région doit être attribué à la consommation régulière de poulets pattes bleues ou à la présence oubliée de lointains immigrés anglais, présence qui se serait noyée dans l’eau des étangs de la Dombes.

 

eglise.jpgAvec Natalie, débarquée fraîchement vendredi matin de Singapour, et Victoire, nous arrivons avec une demi-heure d’avance dans l’église qui domine le village. Nous nous garons devant la cure. Cela monte raide. On passe un mur d’enceinte. Dans l’église, il fait froid et humide. Sabine, jeune nonagénaire, qui chapeaute d’une main de fer le catéchisme, est installée devant un piano portable. Une maman catéchiste coordonne avec elle le bon déroulement de la cérémonie. Nous sommes le 7ième dimanche de Pâques et, ce matin, neuf enfants vont communier pour la première fois.

 

icone.jpgVictoire est assez anxieuse depuis quelques jours. Son anxiété est renforcée par le fait qu’elle n’a pas pu faire sa retraite. Elle n’a donc pas été associée directement à la préparation de la messe, à la rédaction des intentions de prière. Elle n’a pas pu goûter une hostie non consacrée. Le goût et la consistance de l’hostie l’intriguent énormément. J’aurais dû me le rappeler, mais je n’ai même pas pensé à prévoir le petit bouquet que chaque enfant déposera devant l’autel. Nous laissons Victoire avec Sabine et la maman catéchiste. Victoire est frigorifiée mais elle n’en montre rien. Seules ses lèvres bleues la trahissent. Le reste de la famille arrive. Nous nous installons sur les bancs réservés aux familles. Le parrain, Valentin, arrivé le vendredi matin de Cluj, deuxième plus grande ville de Roumanie, prend place à côté de la marraine. Tous deux offrent le vrai beau visage de la mondialisation : une marraine anglo-libanaise vivant à Singapour et un parrain roumain vivant en Transylvanie. Tous deux sont orthodoxes.

 

misti.jpgC’est au mois de mai 2001 que nous avons fait la connaissance de Natalie et de deux de ses amis, Stéphane et Loïc. Natalie et Stéphane voyageaient sans leur moitié restée à Paris. Nous les avons rencontrés sur le bateau qui nous faisait voguer sur le lac Titi-Caca. Ensemble, nous avons ensuite pris, à Puno, un train traçant sa voie sur des rails au milieu des Andes à une hauteur moyenne de 4000 mètres d’altitude, pour gagner Arequipa. Nous avions pour projet de faire l’ascension du Misti culminant à 5822 mètres. Le bruit circulant que des touristes étaient régulièrement détroussés comme au Pérou, au-dessus de Sorata, nous avons préféré admirer sa vue, imprenable et magique, depuis la terrasse du « déjà vu » un café-restaurant où nous nous délections de pina colada tout en picorant des fèves grillées ! Cette impression de « déjà vu », nous l’avons revécue plusieurs soirs ! On le sait : les Bretons sont partout ! L’emblème du « déjà vu » était un triskel !

 

cluj.jpgValentin est le mari de Catherine, la sœur cadette de Stéphane. Ce n’est pas Valentin qui, en mai 2006, assistait, dans la petite église  de notre village, au baptême de Victoire, mais Benoît que Stéphane avait rencontré sur le Rhône, en Avignon, alors que tous deux passaient leur permis bateau. Nous avons partagé des moments merveilleux avec Benoît et son amie Christine jusqu’à ce que l’association de Benoît et de Stéphane, en Roumanie, dans le domaine de l’immobilier et du commerce d’objets de décoration conjuguée à des rivalités claniques se soldent par un échec très durement vécu tant l’investissement, la charge de travail et les espoirs avaient été immenses pour ceux qui partaient et ceux qui restaient et emportent une belle amitié. La Roumanie avait volé son parrain de naissance à Victoire. La Roumanie lui en redonnerait un pour la suite de son existence, un parrain drôle, spirituel, gentil et charmant : Valentin ! Choisir pour parrain ou marraine un beau-frère ou une belle-sœur, c’est lui témoigner que le lien de famille est si profond qu’il résistera à tout.

 

nietzsch.jpgDerrière nous, dans l’église, une grand-mère et une mamie, un oncle et une tante, des cousins germains d’une grand-mère, des amis dont Michèle, ma toute première patiente et son mari. Devant nous, une de mes trois filleules et sa petite sœur. Près de la porte, sa maman et leur frère. A ma gauche, mon mari et notre fils, Louis et une sorte de transformer. Ce matin, Louis qui a sept ans et demi et se refuse catégoriquement à assister aux quelques réunions d’éveil à la foi que j’anime, m’a dit : « tu sais, maman, je ne ferai pas ma première communion pour avoir des cadeaux ou de l’argent. Il faut la faire si on croit vraiment en Dieu. Pour le moment, je ne sais pas encore vraiment si je crois en Dieu ». Je lui ai répondu qu’il avait raison et, en mon for intérieur, j’ai pensé que si le choix de mon fils devait m’exposer à l’incompréhension de ma mère, je ne lui forcerai jamais la route. Je le laisserai cheminer en son temps et en son âme et conscience. Pour l’heure, terriblement attaché à son père dont il recherche la présence et avec lequel il veut disputer des parties de rugby, faire des dessins, bricoler, Louis marche sur ses traces. Après le grand chelem catholique (baptême, première communion, profession de foi et confirmation) obligé dans une école privée, la lecture assidue et approfondie de Nietzsche, son père croit plus en l’homme qu’en Dieu.

 

IMG-20150519-WA016[1].jpgLe Père Didier qui célèbre la messe s’adresse souvent aux enfants. Il sait rendre ces moments vivants. Il les amène à réfléchir sur ce que signifie la nourriture spirituelle en commençant par la nécessité de nourrir son corps et ses neurones. Les enfants sont incroyablement attentifs. Cela fait maintenant deux ans qu’ils se préparent à cette célébration. Cette première communion a vraiment du sens. Pour nous, parents, qui les avons accompagnés, aidés à réfléchir, c’est, aussi, un aboutissement. Par l’éducation religieuse que reçoive nos enfants, nous revisitons nous-mêmes notre foi. Ce chemin parcouru ensemble est très vivifiant ! Quand Victoire et ses petits camarades se lèvent pour recevoir la communion, je me sens gagnée par une émotion profonde que j’avais déjà éprouvée pour Céleste, l’an dernier. Le Père Didier insiste à deux reprises sur le fait que cette communion est la première mais pas la dernière…L’assemblée se disperse après avoir entonné à pleins poumons un chant très beau : « ne rentrez pas chez vous comme avant ». Nous sommes heureux de retrouver la chaleur en quittant l’église. Dans la voiture restée en plein soleil, nous sentons nos muscles, nos os qui se réchauffent. Victoire n’a pas aimé le goût de l’hostie.

 

vitraux.jpgA la maison, nous avons été devancés par Stéphane et Louis. Sur le moment, je ne pense pas que Valentin devrait être avec eux. La dernière fois que je l’ai vu, il faisait le tour de l’église. Il contemplait les tableaux, les sculptures et les vitraux. Les membres de la famille et les amis proches arrivent les uns après les autres. Les coupes se remplissent de champagne. On boit à la santé de Victoire qui, déjà, s’est changée. Elle a troqué la jolie jupe offerte par sa tante vivant à Los Angeles avec les siens contre un short. Toutes les petites barrettes qui retenaient son chignon gisent dans l’entrée. Alors que j’apporte des plats sur la table, Valentin fait son entrée avec Michèle et son mari. Quand Valentin était sorti de l’église, Stéphane et moi avions disparu. Michèle et René l’ont trouvé qui marchait sur le bord de la route. Valentin prend la chose avec la simplicité qui le caractérise. Quand on a grandi dans la Roumanie de Ceausescu, que le ciel n’offrait pas de ligne d’horizon, on sait, par essence, relativiser les évènements.

 

IMG_20150517_083729.jpgUne table sous les canisses de la terrasse, une autre sous le prunus. On est bien, détendus, heureux d’être ensemble réunis autour de Victoire qui, elle, mesure sa chance d’avoir les siens autour d’elle, que sa marraine, depuis Singapour, et son parrain, depuis la Transylvanie, aient tous deux entrepris un si grand voyage pour l’entourer. Elle songe, peut-être, à son cousin, Valentin, notre « petit » Valentin pourtant si grand par la taille et l’intelligence qui célèbrera sa première communion le dimanche 7 juin dans une église de Los Angeles avec ses parents, son parrain américain, des amis mais sans un seul membre de sa famille. Sa grand-mère maternelle avait tout organisé pour être avec lui mais, à la suite de sa double fracture de la malléole, le chirurgien lui a interdit un vol de onze heures. Sa grand-mère en est très malheureuse, elle, pour qui ce sacrement est vraiment important et qui se faisait une joie de découvrir sa fille, son gendre et leurs deux enfants dans leur environnement angelin.

 

IMG_20150516_165313.jpgLe temps est parfait. Les conversations vont bon train. L’ambiance est résolument légère et joyeuse. Sur le gâteau de Victoire que j’ai réalisé moi-même, j’ai mis la médaille que notre grand-mère m’avait offerte dans la Sarthe pour me rappeler la date de ma profession de foi, le 31 mai 1981. Le 31 mai 2015, Céleste, notre aînée, fera, elle aussi, sa profession de foi. Trente-quatre ans se seront écoulés entre le moment où je pénétrais dans la cathédrale du Mans, en aube, et celui où Céleste fera son entrée avec ses amis dans l’église de Château-Renard ! Autant je me sentais vilaine et ridicule en aube, autant je sais que Céleste se sentira belle et lumineuse dans la sienne.

 

françois cheng.jpgLe dimanche soir, la famille et les amis partis, la vaisselle et la maison rangées, j’avais terriblement mal aux pieds et aux jambes mais j’étais comblée par la joie et le plaisir ressentis par tous et, en premier lieu, par Victoire, qui, au moment de s’endormir, a eu un passage à vide en songeant que sa marraine et son parrain étaient déjà repartis. Le temps est long, parfois, avant de pouvoir se revoir ! En fermant les yeux me sont revenus ces vers de François Cheng, poète et écrivain chinois, converti au christianisme, après avoir eu une révélation devant Assise : « aimer c’est être en avant de soi. Aimer c’est dire « Tu ne mourras pas ! »

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

2 commentaires sur “Chronique d’une communion le 7ème dimanche de Pâques

  1. Il faudra que je demande à Nico s’il a mangé autant de poulet de Bresse que moi ou bien si, dans une autre vie, nous avons été potes de régiment au service de Sa Majesté.

  2. Cher Lord Brunner, je suis à peu près certaine que, d’une manière ou d’une autre, Nicolas et vous avez eu des ancêtres anglais et, aussi, consommé force poulets et pintades de Bresse, avec ou sans crème bien épaisse! Dans certaines circonstances, votre flegme et votre absence totale de culpabilité me fascinent!

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