Chronique d’une entrée au collège

 

Le grand saut

 

 

 

la-boum-de-claude-pinoteau-laboum1-.jpgQuand ce lundi matin de septembre, ma mère a poussé la porte de ma chambre, elle m’a trouvée déjà levée et même habillée. Pourtant, habituellement, j’ai du mal à émerger. Ma mère, elle, ne fait pas dans le réveil brutal, voire, militaire consistant à ouvrir sans ménagement la porte, à allumer le plafonnier en lançant un : « debout, c’est l’heure ! ». Non, elle s’approche à pas feutrés, s’assied au bord de mon lit et me caresse les cheveux en me disant qu’il est l’heure de se réveiller. Ensuite, elle me prévient qu’elle va ouvrir les volets de ma fenêtre. J’ai le temps de rabattre le drap et la couverture sur mes yeux. Ces gestes, elle dit les avoir hérités de sa propre mère qui, en hiver, allait jusqu’à faire chauffer ses vêtements sur le radiateur et les lui glissait sous le drap pour qu’elle n’ait pas froid. Ma mère, elle, ne nous lève pas à la dernière minute pour que nous ayons le temps de nous préparer dans le calme et parce qu’elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas créer de situations de stress.

 

 

 

Je n’avais pas passé une très bonne nuit. J’étais même carrément angoissée. Je le savais aux battements de mon cœur, semblant danser au rythme d’un orchestre brésilien pris dans la folie d’une semaine de carnaval.  Il y avait aussi ce nœud dans le ventre et cette impression que je ne parviendrais pas à digérer mon dîner. Je m’étais retournée des centaines de fois dans mon lit, à la recherche de la position la plus propice à l’endormissement. Régulièrement, mes yeux étaient attirés par le faible halo de lumière émanant de mon réveil et j’y lisais l’heure. A chaque fois, je me mettais à compter, mentalement, le nombre d’heures qui me rapprochait de cette première fois qui m’ôtait le sommeil. 

 

 

 

rentre.jpgQuand j’ai vu courir les premières raies de lumière sur le tapis de ma chambre, je me suis levée. Sans faire de bruit, je me suis dirigée vers ma fenêtre et j’ai ouvert les volets sur une magnifique journée. L’air était encore frais et le ciel bleu, lavé, comme après l’orage. Je suis restée quelques instants à contempler les fenêtres des immeubles voisins. L’hiver, quand la lumière permet de deviner ce qui se passe dans l’intimité des foyers, j’aime bien suivre une personne dans ses déplacements, d’une pièce à une autre. En général, la lumière s’allume dans la salle de bains. Selon un temps qui varie beaucoup, d’un appartement à un autre, les lampes s’éteignent et c’est au tour de la cuisine de sortir de l’obscurité qui la baignait. J’imagine le bruit du café qui passe au travers du filtre et dont l’odeur gagne tout l’appartement, l’eau qui gigote dans la bouilloire, les tartines qui sautent du grille-pain et le lait dans la casserole, à deux doigts de passer par-dessus bord. Je me demande si, dans cette cuisine, on écoute la radio pour se reconnecter au monde avant de partir travailler ou si, dans le bruit des cuillères remuées au fond des bols, on échange quelques nouvelles. Ce matin, je me suis demandée si, en face, se trouvaient des filles et des garçons angoissés comme moi. Un gardien rentrait les poubelles. J’ai cru entendre les pleurs d’un nourrisson mais n’en suis pas certaine.

 

 

 

700-194988-Diplôme de rentree au college.jpgJ’ai ouvert les portes de mon placard pour y choisir des vêtements. Rapidement, j’ai opté pour un jean et un tee-shirt blanc et bleu ciel. Je mettrai des nu-pieds. Je commencerai par avoir un peu froid et puis, ensuite, je serai mieux que dans des chaussures fermées. En enfilant mon jean, je me suis fait la réflexion qu’il commençait à être un peu court. Mais, comme je me sens vraiment bien quand je le porte, j’ai décidé de ne pas en changer. Je suis allée dans la salle de bains. J’ai fait couler de l’eau dans le lavabo et me suis débarbouillée en utilisant mes deux mains. Je n’aime ni les éponges ni les gants de toilette qui, d’un jour sur l’autre, exhalent une odeur de moisi, une odeur de pas propre qui reste sur la peau longtemps encore après qu’on se soit essuyé le visage. Dans le miroir, j’ai vu que mes yeux étaient rouges comme si je m’étais endormie après avoir pleuré. J’ai démêlé mes cheveux longtemps. Je ne savais pas trop comment les coiffer : les laisser libres avec un serre-tête ou un bandeau, faire une queue de cheval, une ou deux nattes. Finalement, j’ai mis deux grosses barrettes de part et d’autre de mon visage pour ne pas avoir les cheveux dans les yeux et, surtout, ne pas mettre mes cheveux derrière les oreilles, ce geste ayant pour résultat irréversible, selon la légende familiale maternelle, de les décoller.

 

 

 

Comme il était vraiment très tôt, je suis retournée dans ma chambre. Je me suis étendue sur mon lit. Au moment où ma mère a poussé la porte, j’étais sur le point de m’endormir enfin. Elle a tout de suite vu mes yeux rouges et mon air de petit oiseau tombé du nid. Elle s’est assise sur le bord de mon lit. Je me suis blottie contre elle. Elle sentait bon. Je ne parle pas de l’odeur de sa crème, de son parfum ou de notre lessive mais de son odeur à elle, l’odeur de sa peau que je retrouve derrière toutes les autres. Elle m’a serrée fort. Je me suis mise à pleurer, sans bruit. Après quelques minutes, elle a relevé mon visage et m’a dit que c’était normal de se poser des questions, que toutes les premières fois faisaient un peu peur mais qu’elles nous faisaient grandir et nous sentir plus fort. Elle, aussi, elle avait été nerveuse et puis, finalement, très vite, elle avait été heureuse. Dans un mois, j’aurai pris mes marques et serai tout à fait à l’aise.

 

 

 

collège.jpgJe me suis forcée à petit-déjeuner. Nos parents s’étaient répartis les rôles. Notre mère déposait ma sœur et mon frère à l’école primaire et mon père me faisait faire ma première entrée au collège, en classe de sixième. Hormis les entrées en crèche, notre père a toujours été là pour les grandes premières. J’imagine que notre mère, comme tant d’autres, redoutait de se laisser submerger par son émotion ou de ne pas savoir faire face à la nôtre. Ma mère m’a embrassée et nous sommes partis. Dans la rue, j’ai eu l’impression que mon père serrait ma main plus fort que d’habitude. Le soleil chauffait notre dos et je sentais l’air frais chatouiller mes pieds nus dans mes sandales ouvertes. Sans que je m’en sois rendue compte, nous étions déjà arrivés devant la lourde porte de chêne de mon nouvel établissement scolaire. J’ai senti mon cœur qui se remettait aux rythmes brésiliens. Nous avons gravi les quelques marches et pénétré dans le hall. Il était immense. En face, une très large cour encerclée de marronniers et des arcades. Cela ressemblait à l’intérieur d’un cloître. Nous n’étions pas les premiers. Il y avait déjà beaucoup d’enfants et de parents. Je tournais la tête dans tous les sens pour espérer voir des amis de mon école primaire mais la foule, dense, m’empêchait de reconnaître qui que ce soit. Mon père m’a aidée à trouver mon nom sur les grandes listes et à m’orienter vers l’endroit où commençaient à se réunir des élèves.

 

 

 

tableau-noir-physique-quantique-06.jpgAu moment où mon père me dit qu’il va partir, une voix m’appelle. Je me retourne. C’est Caroline. Ce n’est pas à proprement parler ma meilleure amie mais nous sommes dans la même classe depuis le CP. Nous avons en commun des centaines de souvenirs. Comme, par exemple, nos classes de mer et de neige et toutes les sorties scolaires. Elle s’approche de moi. Nos pères se saluent et repartent ensemble. Maintenant, je ne me sens plus seule. J’imagine qu’elle est comme moi, désormais, rassurée d’avoir trouvé un soutien. Nous allons démarrer cette année de sixième la main dans la main et pouvoir nous entre aider en cas de besoin. Mon cœur quitte le continent brésilien. Caroline m’adresse un sourire complice. La voix du proviseur retentit et vient coiffer toutes les autres. Il nous invite au silence et présente les professeurs principaux. Il nous souhaite la bienvenue et une excellente année. Dés qu’il a tourné les talons, notre professeur principal nous demande de le suivre. Nous entrons dans une classe aux murs blancs. Dans l’air flotte comme une odeur de peinture fraîche. Le tableau n’est ni noir ni vert mais blanc. Des marqueurs de couleurs différentes sont posés sur le bureau du professeur. Caroline et moi, nous asseyons l’une à côté de l’autre. Le cours commence. C’est un cours d’histoire et de géographie. Le premier cours de ces quatre années de collège.

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

PS: toujours se rappeler ce qu’on a vécu à tous les âges de la vie pour comprendre, accompagner, trouver les mots, y compris les silences. Pensée spéciale pour tous les enfants qui mettent leurs pas dans les nôtres ce matin!