Chronique d’une escapade dans le Vercors

Vendredi, quand nous quittons le coeur de Villard-de-Lans, un beau soleil éclaire le massif. Dans la nuit, la neige est tombée sur les toits, ce fameux or blanc qui a si durablement été un enfer pour les Montagnards, un or blanc voué désormais à disparaitre. La vue des montagnes blanches nous remplit de joie. Nous appartenons à la génération qui a grandi avec la neige. Nous avons été ces enfants tout excités quand, depuis la fenêtre de la classe ou de la chambre, les flocons tournoyaient dans le ciel. Nous avons tant aimé façonner des bonhommes de neige avec une carotte en guise de nez, des marrons d’Inde pour les yeux et les boutons et un bout de bois pour la pipe, marquer de nos pas le manteau immaculé, trouver les traces laissées par les animaux, apprendre les poésies de Maurice Carême ou de Jacques Prévert.  Pour celles et pour ceux qui ont eu la chance de s’initier à la pratique du ski, parfois avec l’école, la neige pouvait être associée à des souvenirs moins heureux: les pieds tout froids dans les chaussures trop serrées, les mains rougies par le vent, la peur de se perdre sur la piste dans un brouillard épais. L’observation d’un paysage enneigé est très apaisante. La nature est souvent très calme après que la neige soit tombée. Nous avons vu nos enfants s’émerveiller comme nous devant la neige et, hiver après hiver, l’espérer. Ici, en plaine, elle est si rare! La dernière fois que le plateau a disparu sous quelques petits centimètres de neige, les enfants avaient sorti les skis du garage et s’étaient amusés dans le jardin sous l’oeil de Fantôme dont la langue venait recueillir à intervalles réguliers les gros flocons.

Vendredi, nous quittons une région partagée entre son désir de voir la neige encore tomber avec générosité pour assurer le bon fonctionnement des dernières stations et faire vivre tout un pan de son économie et son souhait d’anticiper la fin de l’or blanc et attirer les visiteurs autrement. Les régions de montagne sont toutes contraintes aujourd’hui d’anticiper les effets du dérèglement climatique. Les canons à neige sont un non-sens et un désastre écologique! Ce matin, tandis que nous regardons les montagnes blanches et que des taches bleues se font jour dans le ciel, nous ne pensons pas à ça. Nous nous laissons aller à cette joie si simple, si pure qui remonte de l’enfance.

L’autoroute est peu fréquentée. Nous rentrerons vite. Nous sommes arrivés lundi en fin de journée. J’aurais été heureuse que ce séjour se prolonge et que nous puissions marcher davantage en bénéficiant d’un temps plus clément. Depuis plusieurs jours, Madame la Pluie et Monsieur le Vent sont aux commandes du ciel. Ils s’en donnent à coeur joie balançant frénétiquement les branches des arbres, semant la panique dans les chevelures rousses et or, levant les vagues, retardant le départ de la course Jacques Vabre, déracinant de vieux géants verts et inondant des habitations.

C’est notre troisième séjour dans le Vercors. La première fois, avant de nous marier, nous avions entrepris une traversée du plateau en ski de fond à la fin de l’hiver. Nous étions partis tard. Le soleil faisait fondre la neige collant sous les spatules. Nous progressions difficilement si bien que nous n’avions pas pu atteindre le refuge et passé la nuit dans une petite cabane nous réchauffant autour d’une étroite cheminée. La deuxième fois, c’était à la fin du mois de février. Notre seconde fille nous avait accompagnés. Il ne restait plus beaucoup de neige mais elle avait malgré tout pu un peu skier avec son papa. Nous avions entrepris de très belles promenades notamment jusqu’au Font d’Urle balayé par un vent glacial et avions aussi été visiter le musée de la Résistance. Cette fois-ci, nous ne sommes que tous les deux. Victoire préfère profiter de ses amis qu’elle n’a pas vus depuis sa rentrée universitaire. Céleste n’a pas de vacances et Louis n’est pas très marche.

Le gite dans lequel nous nous installons est juste à côté de l’église. Avant de gagner Villards, nous faisons une étape chez Claude qui est professeur d’histoire et de géographie et d’HGGSP dans un lycée international à Grenoble mais aussi une artiste- The Street Yeti-  qui se passionne pour le bestiaire du Moyen Age. Nous avions découvert son travail lors de notre précédent séjour. Elle exposait à la maison du Patrimoine à Villards son travail dédié à l’ours. Plus tard, nous avions échangé. Nous nous étions appelées et Claude avait accepté que je lui consacre un épisode de mon podcast Inventaire à la Prévert. Claude nous accueille chez elle comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Nous entrons dans son univers, son cabinet de curiosités. Nos yeux vont d’une toile à un collage, d’un sculpture à un animal en papier mâché. Claude aime la couleur, les matières et l’Afrique. Elle prépare une exposition dont le héros sera le renard. Le vernissage est prévu dans deux ans à Troyes à la cité du vitrail. J’aurai le temps de vous en reparler. Claude s’envole lundi avec des élèves pour la Chine. Elle a beaucoup de choses à faire. Nous la laissons travailler.

Nous avions le projet de visiter les caves de la Chartreuse mais il aurait fallu réserver avant. Plus de place disponible pour la visite guidée. Beaucoup d’étrangers. Les liqueurs préparées par les moines de la Grande Chartreuse sont de renommée internationale! Nous n’achèterons pas plus de tablettes de chocolat Bonnat: la boutique est fermée le lundi. La nuit est presque complètement tombée sur Villards quand nous arrivons. L’appartement est très agréable et une grande baie vitrée donne sur les montagnes. On sent que les propriétaires, Jeanne et Kevin, ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans cet endroit. Ce sont de grands sportifs et d’authentiques amoureux de la montagne. Ils sont membres de l’association Vercors Citoyen qui souhaite tenir en échec les mégaprojets immobiliers touristiques. Ce collectif a à coeur d’élaborer un modèle respectueux de la nature et, surtout, un modèle pensé démocratiquement.

Cette semaine, le temps est très agité mais la journée de mardi s’annonce plutôt calme. Dans la nuit, la neige est tombée sur les sommets. Jour d’Halloween, nous décidons de marcher jusqu’au lac de la Moucherolle situé à 1953 mètres. On peut très facilement y observer des bouquetins toute l’année et des marmottes avant qu’elles n’hibernent.Le lac de la Moucherolle n’est pas un lac naturel. En effet, le Vercors étant un massif calcaire, les eaux ne restent pas en surface. C’est une retenue collinaire qui sert de stockage de l’eau pour alimenter les enneigeurs en hiver. Nous nous garons aux Glovettes et montons en direction du lac des Prés à 1536 mètres. Après un passage à couvert des arbres, nous suivons un chemin assez large qui conduit à un départ de télésiège. C’est à cet endroit que les élèves retrouvent les moniteurs en fonction de leurs niveaux. Une girafe bleue semble un peu perdue dans ce décor! Le lac a une très belle couleur verte.

Nous continuons à grimper jusqu’à l’arrivée du télécabine de la Côte 2000. La montée est vraiment raide. Le brouillard tombe. Désormais, nous progressons dans la neige. Il est tard. Nous n’avons pas déjeuné. Nous nous estimons chanceux de trouver ouverte une baraque rudimentaire utilisée certainement par les pisteurs. Stéphane se laisse tomber dans un canapé en cuir rouge. Mes yeux vont du vieux four certainement hors d’usage à l’évier, d’une boite de café en poudre Malongo à des dessins, d’un sac poubelle à la table, d’un poste de radio à ces bouts de plastique épais qu’on trouve partout dans les stations et qui évitent qu’on glisse avec les chaussures de ski et qu’on détrempe les sols avec la neige. Ce plastique épais a une odeur si particulière! On la retrouve dans tous les locaux servant à ranger le matériel de ski. Il fait froid. L’endroit me projette quelque part dans un polar scandinave à moins que ce soit avec les héros de la série Polar Park diffusée par Arte et que nous avons commencée à regarder. Je ne serais pas surprise de voir un homme étrange pousser la porte de cet endroit si peu hospitalier. Le lac est proche mais nous n’en verrons rien. La prudence nous conduit à revenir sur nos pas et, tranquillement, à regagner la voiture en empruntant un autre itinéraire. A défaut de lac, nous aurons admiré un bouquetin seul dans la neige et la brume. Nous suivrons ses traces dans la descente jusqu’au moment où la roche remplacera la neige. Le soleil sort enfin et nous nous offrons une petite halte sur un banc à côté du lac des Prés devenu un miroir parfait dans lequel les nuages ont tout loisir de se mirer.

Six heures de marche, cela tire dans certains muscles. Tant que nous avons encore un peu de courage, nous allons nous promener dans les rues de Villards avant que la nuit tombe. De très nombreux enfants affreusement bien déguisés vont et viennent d’une boutique à une autre réclamant des bonbons. Une maman transformée en sorcière pousse dans un vieux landau des poupons effrayants. Devant, la maison du patrimoine, un petit spectacle est joué pour les monstres en herbe. Certains commerçants se prêtent au jeu avec gentillesse quand d’autres s’agacent de voir les boutiques investis par des grappes d’enfants tellement focalisés sur les sucreries qu’ils en oublient les règles les plus élémentaires de la bonne éducation: dire bonjour, merci et au revoir.

Le Vercors se divise en plusieurs régions, géographiquement et historiquement distinctes : les Quatre Montagnes, les Coulmes, le Vercors drômois, les Hauts-Plateaux et, en Piémont, le Royans, la Gervanne, le Diois et le Trièves. C’est le Trièves que nous allons découvrir mercredi en marchant jusqu’au pas de l’Aiguille au départ de Chichillianne. Quand nous nous garons près de la rivière, le ciel est chargé mais sans pluie. Alors que nous commençons à monter à couvert des arbres tout en observant le Mont Aiguille, la pluie se met à tomber. Au début, c’est une pluie sage mais, assez vite, elle se renforce. Nous nous protégeons sous de grands ponchos. Nous ressemblons à des fantômes ayant perdu leur chemin au moment des festivités d’Halloween. La forêt est très belle.

Nous respirons à pleins poumons l’odeur des feuilles humides tout en veillant à ne pas glisser sur les pierres. Avant de gagner le Pas de l’Aiguille, théâtre de combats au moment de la seconde guerre mondiale, le vent se déchaine faisant claquer les pans de nos ponchos. En quelques instants, nous sommes trempés et nos pantalons moussent! Pas le temps de nous recueillir devant la Nécropole Nationale. Nous rebroussons chemin en redoublant de vigilance dans la descente raide et glissante. Cela m’arrive très rarement mais à ce moment-là, je me demande pourquoi nous marchons! Arrivés non loin de l’endroit où nous nous sommes garés, nous assistons à la remise d’un grade à un groupe de jeunes chasseurs alpins. Une seule fille dans les rangs dont les cheveux sombres sont retenus en un sage chignon à la base de la nuque. Le groupe ne bronche pas. La pluie transperce les uniformes. Personne ne cherche à retirer l’eau sur son visage. Les parents assistent à cette scène surréaliste protégés par des parapluies.

Nous sommes tellement trempés que nous sommes obligés de retirer nos pantalons et nos chaussettes avant de remonter dans la voiture. Nous réchauffons nos jambes sous nos vestes. J’imagine la tête que feraient les gendarmes s’ils procédaient à un contrôle du véhicule! Plus tard, j’éclate de rire quand Stéphane qui a déjà oublié que nous sommes en caleçon et culotte me demande si je souhaite m’arrêter au Sherpa pour faire quelques courses. Je me vois déambulant entre les allées les jambes nues avec ma veste nouée autour des reins!

La veille de notre départ, nous visitons Grenoble que nous ne connaissons pas et qui est administré par un maire vert depuis neuf ans. La ville est traversée par deux rivières: l’Isère et le Drac. Une pluie battante nous accompagne. Nous démarrons par le musée des Beaux-Arts de Grenoble. L’entrée est gratuite. Il en va de même pour tous les musées de la ville. La collection permanente est très vaste. Nous sommes très touchés par certaines toiles de Georgette Agutt réalisées dans un style postimpressionniste. Comme il en allait si souvent pour les femmes artistes, son nom s’est perdu après sa mort quand elle a réalisé 800 toiles et été la première à utiliser le fibrociment comme support pour son travail. Nous traversons l’Isère et montons en direction du musée dauphinois. Plusieurs expositions temporaires: l’égyptomanie, la ruée vers l’or blanc et l’histoire des Alpes. Un objet retient mon attention: une cabane mobile montée sur patins utilisée par les bergers la nuit pour rester auprès des troupeaux.

Le soleil se décide enfin à quitter sa retraite et la route du retour s’accomplit dans la lumière. Demain, cela fera déjà une semaine que nous avons regagné le plateau. Madame la Pluie et Monsieur le Vent sont toujours aux commandes du ciel. Tous les matins, j’ai le bonheur de voir les chevreuils. Ces moments illuminent mes journées.

Belle fin de semaine à vous toutes et tous,

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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