Chronique exhumée dans les archives

En temps normal, au 8 juin, nos vacances d’été auraient été gravées dans le marbre. Quand les enfants étaient plus jeunes, l’organisation tenait du casse-tête chinois et la capacité à arracher quelques jours sans eux du miracle! Parfois, à la dernière minute, tout le bel édifice s’écroulait. Je me sentais alors comme la pauvre Perrette voyant le lait de son pot se répandre sur le sol et s’envoler ses veau, vache, cochon et couvée. Ces animaux, je les préfère mille fois dans des champs riants broutant une belle herbe grasse que dans une cocotte ou pendus par un fil dans l’étuve d’une salaison. Durablement, les vacances se sont déroulées dans l’Ain ou le Gard et, plus tard en Haute-Corse ou sur de superbes chemins de grande randonnée. Je conserve des souvenirs magiques de nos deux marches sur le chemin de Stevenson avec le trio, les cousins, des amis, les enfants des amis et des ânes. Ce matin, une patiente que j’aime particulièrement m’a offert un hors-série de la République du Centre sur l’histoire de la N7. J’ai souvent évoqué cet axe routier dans mes chroniques. Au prononcé de son nom apparaissent des allées de platane, des champs de lavande et des embouteillages sans fin. En tournant les pages de cet album passionnant, j’ai pensé à l’été qui avance, aux kermesses, à la fête de la musique.

Rester ici, tout l’été ne me dérangerait pas. Beaucoup de choses à faire dans un périmètre assez proche et Paris à 50 minutes en train. C’est en hiver que la vie sur le plateau devient compliquée et que j’entreprends de grands voyages immobiles. Je m’imagine au Japon, au Mali, en Ethiopie, en Arménie, dans l’un des nombreux « stan » ou sur un chemin marchant dans la durée. Cette année, les programmes des enfants passent avant les nôtres. Deux certitudes: quelques jours de marche dans le Cantal, un séjour gardois s’il ne fait pas trop chaud et une semaine rémoise quand Victoire fera sa rentrée. Ce sera étrange de repartir et de la laisser seule dans une ville où je n’ai pas de repères, pas d’ami et aucun souvenir.

Notre père prétendait qu’une branche de l’arbre généalogique de notre mère remontait à la veuve Clicquot, née Ponsardin, Barbe-Nicole de son prénom. N’ayant mis au monde que des filles, elle les aurait données en mariage à des familles puissantes. Elle sut prendre en main la destinée de l’entreprise de son mari mort très jeune, faire fructifier le domaine viticole et acheminer son champagne jusqu’à la cour du Tsar. Elle s’était passionnée pour la vignification. Au XIXe siècle, elle parvient à se faire respecter dans un milieu strictement masculin. Son père, le baron Ponsardin, lui avait servi de modèle. En dépit des crises politiques, il avait toujours réussi à se situer dans le camp de la majorité. Je profiterai de nos passages à Reims pour découvrir des producteurs élaborant un champagne n’ayant rien à envier à celui des grandes maisons, tombées pour la plupart, dans l’escarcelle d’un groupe que j’honnis.

Cet été, les grandes tablées, les levers du jour sur la baie de Calvi dans les odeurs du maquis, les bains à huit heures depuis une crique, les villages perchés me manqueront mais la chaleur devient tellement dure à encaisser qu’on ne fait rien du matin jusqu’au soir. Cette inaction est frustrante quand on ne se sent déjà pas assez nourri tout au long de l’année.

J’aimerais me dire que cet été ne rimera pas avec feux de forêt, pire mégafeux, pelouses grillées, terres craquées, mer trop chaude, faunes aux abois, fonte accélérée des glaciers. Si les pluies du début du printemps ont permis de remplir les nappes phréatiques de 18 départements, la situation est critique ailleurs. Les images de New-York suffocant sous les fumées provoquées par les incendies au Canada sont terribles.

Ce matin, c’était le dernier jour d’école pour les lycéens. Les élèves de seconde sont en vacances. Les élèves de première et de terminale ont encore des épreuves à passer. Sur mon compte Instagram j’écrivais: « Le car qui conduit les lycéens en classe va arriver sur la place de l’ancienne gare du village. Dernier jour pour les élèves de terminale avant de plancher sur la philo et de passer le grand oral. Enfin, ce sera le bal de promo: une merveilleuse initiative. Ce matin, je me rappelle du jour où Victoire est entrée en seconde et, l’année suivante a fait le choix, avec Léa, d’une année à l’internat. Je vois défiler le stress devant la charge de travail, l’angoisse générée par Pronote, leurs rires dans les couloirs, au réfectoire, les nouveaux amis, les petites bêtises sans gravité, les peines de cœur, le grand amour, les rêves et certains professeurs qui sèment des graines pour la vie. Je pense à tous ces enfants devenus grands que je connais depuis la maternelle et qui, eux aussi, me manqueront à la rentrée. Je pense à ceux que j’ai rencontrés plus tard et que j’aime aussi profondément. Ouvrez grand votre cœur, vos bras et vos yeux. Avancez dans la confiance! »

Ce soir, c’est la dernière rencontre de l’année avec les lycéennes et les lycéens de l’aumônerie. Une messe et un repas partagé. Je rempile l’année prochaine. J’aime ces moments d’échange avec les jeunes et avec les animatrices et animateurs. Ayant la chance de compter des amis élevés dans toutes les religions monothéistes et d’avoir voyagé, j’ai une approche très ouverte de la foi. J’aimerais qu’il y ait des temps de partage entre les jeunes des différentes communautés. C’est de cette manière qu’on apprend à se respecter. Notre pays est traversé par deux courants très forts, d’un côté des catholiques intégristes voulant défendre leur foi et d’un autre des frères musulmans poussant à la conquête. Dans les deux cas, c’est très inquiétant!

Le livre que ma patiente m’a offert m’a fait penser aux vacances. Comme ces dernières approchent pour beaucoup de personnes, je vous donne à lire ou relire une chronique écrite en 2010 à l’approche du long pont de l’Ascension. Il y est question des départs et de la manière dont on les vit.

Pour la plupart des gens normalement constitués, les perspectives de départ sont toujours source de joie. N’est-il pas doux, en effet, d’appuyer sur le bouton pause, d’oublier les dossiers épineux, les rendez-vous tendus, les clients grincheux, de mettre du champ entre soi et une maison rimant trop souvent avec lessive, étendage, ménage, courses, cuisine et rangement en tout genre, bref, de s’offrir une immense respiration et un superbe lâcher prise ?

Bizarrement, pour quelques êtres curieusement constitués, forcément mal programmés dés la naissance, et souvent féminins, les départs créent une sorte d’état général proche de l’attaque de panique. Certains, au prix d’énormes efforts sur eux-mêmes, aidés en cela par leur psy, quand ils consultent, et leur conjoint, quand ils ne les ont pas usés, parviennent à rectifier le tir. Mais, l’angoisse ne disparaît jamais tout à fait. Les sujets souffrant du syndrome du départ parviennent, au mieux, à se dominer et à ne plus représenter ainsi une source chronique de contamination pour toute leur famille. Cette contamination psychologique, s’accompagnant parfois de signes physiologiques, peut atteindre les animaux. La littérature vétérinaire rapporte des cas de chiens s’installant dans les valises de leurs maîtres lors des veilles de longs week-ends et de départ en vacances.

Syndrome de départ et syndrome d’abandon sont, ici, étroitement liés. Le syndrome du départ s’inscrit totalement dans une démarche psycho généalogique puisque cette angoisse sourde à l’idée de préparer un départ se transmet, le plus souvent, de mère en fille. Et, par un retour d’ascenseur, l’incapacité à comprendre cette angoisse féminine liée aux départs (et aux retours !) se transmet, de la même manière, de père en fils. Face aux préparatifs de départ, dont l’angoisse explose tous les seuils d’alerte maximale quand il s’agit de vacances à la montage et que la famille est constituée de plusieurs enfants dont un nourrisson, les trop nombreuses victimes de ce syndrome ont plusieurs façons de procéder.

Les premières voient large et s’y collent plusieurs jours avant, histoire d’être certaines de ne rien oublier. Elles ne travaillent pas sans filet. Elles ont des listes qu’elles font et refont, au fur et à mesure qu’elles les égarent, en des sortes d’actes manqués à répétition. Des listes longues comme la file d’attente à un péage sur l’A6, un jour de départ en week-end. Des listes dont elles rayent, religieusement, tous les points. Biffer légèrement (quand tout commence à être sous contrôle) ou caviarder sauvagement (quand les choses se compliquent, quand le temps manque, que le mari s’impatiente ou panique à l’idée de ce coffre qu’il faudra charger !) les choses déjà faites, leur procurent une sorte de satisfaction qui les détend presque aussi sûrement qu’un anxiolytique léger, une demi tablette de chocolat noir, trois grosses cuillères de pâte à tartiner, un quart de tube de lait concentré sucré ou un martini blanc avec glaçon et lamelles de citron vert.

Ces femmes-là aiment les valises. En général, elles comptent une valise pour le couple et une valise par enfant. La grosse valise du couple est, normalement, divisée en deux parties égales. La partie dédiée à l’homme a, toutefois, tendance à déborder celle réservée à la femme. Pour le reste, (et il en reste !), elles raisonnent en sacs : un très grand sac pour les chaussures, un  grand sac encore pour les affaires de plage ou de montagne, un sac de taille intermédiaire pour la pharmacie, avec crème solaire, aspirine, paracétamol, pansements, désinfectants, collyre, pipettes de sérum physiologique, crème contre coups, anti-moustiques, mytosil et biafine,  un sac de taille variable pour les jouets et peluches des enfants, un autre pour les affaires réservées au plus petit qu’il faudra changer et nourrir sur une aire d’autoroute, un minisac contenant trousses de toilettes et linge, pour une nuit et un jour, en cas d’arrêt sur la route des vacances, le sac spécial appareils photos, caméscope, DVD qu’on est toujours à un cheveu d’oublier, le lit-parapluie, la poussette, le porte-bébé et, enfin, les affaires de sport de monsieur pouvant aller du plus simple (des chaussures de footing) au plus encombrant (une planche à voile avec tout le nécessaire : chaussons et combinaison, harnais et gants). Quand j’écrivais cette chronique en 2009, ce n’était pas encore la mode du paddle!

Ces femmes-là rangent méticuleusement les affaires dans les valises et pensent bien à compter une culotte par jour, soient sept culottes et pas une de plus sauf si le confort moderne ayant été oublié, il n’y aura pas de machine à laver le linge et qu’on part, donc, plus d’une semaine.  Pour les bébés, elles compteront deux bodys par jour et deux pyjamas. Si la famille est composée de deux garçons et trois filles, cela nous donnera un total de 21 culottes, sept caleçons, 14 bodys et autant de pyjamas !

D’autres femmes ont décidé de soigner leur angoisse du départ en lui consacrant un temps bref. Elles possèdent non pas des valises, mais des sacs de taille diverse longs et souples. Elles ne font pas de listes. Elles procèdent, sans filet, de manière presque instinctive. Un, elles règlent les instruments de navigation sur la position « pilotage automatique ». Deux, elles prennent une large respiration. Trois, elles ouvrent tiroirs et placards et entassent pêle-mêle, comme ça leur vient, tee-shirts, pantalons, jupes, robes, shorts, maillots, pulls, vestes, serviettes et petit linge. Quatre,  elles s’interrompent pour respirer quand le sac est plein et qu’il devient presque nécessaire de s’asseoir dessus pour le fermer. Les sacs finis, entassés dans l’entrée, elles récapitulent mentalement ce qu’elles devaient emporter et concluent, philosophes, que ce qui a été oublié sera racheté sur place.

Enfin, une frange minime des angoissées du départ a la chance de ne rien emporter, hormis leurs enfants, leurs doudous, leurs animaux si elles en ont, leurs trousses de toilette et, j’allais oublier, leur compagnon, car elles ont tout sur place dans une maison familiale de vacances, y compris les colliers de coquillages qu’elles fabriquaient enfants pour leurs mères, leurs jeux, tous leurs livres de la bibliothèque rose, verte et rouge/doré dont toute la collection des « oui-oui » écrit en énormes caractères, des « Fantômette », « club des cinq » et des contes et légendes des régions de France et des pays d’une Europe qui était encore loin de l’Union d’aujourd’hui. Dans ce groupe, certaines n’ont pas de maison de famille pleine de souvenirs avec une ribambelle joyeuse de cousins s’étalant de 3 à 15 ans, d’odeurs de confitures maison, de pain grillé et de greniers où il faisait bon se cacher entre un nid d’hirondelle et quelques toiles d’araignée, mais des revenus leur offrant les moyens de partir les mains dans les poches, dans un hôtel très luxueux, situé sur un point du globe couru mais pas dénaturé, offrant tous les services que des parents fatigués peuvent espérer pour redevenir un couple amoureux.

Dans tous les cas, les angoissées du départ anticipent toujours sur le retour. Un bon départ, c’est un retour réussi. Cela veut tout simplement dire que le « calme, luxe et volupté » des vacances ne sera envisageable qu’à condition que règne à la maison un « ordre et propreté ». Impossible de rentrer dans le processus difficile du lâcher prise ordonné par la meilleure amie, en une cure d’au moins sept jours, si on ferme la porte sur un taudis. Donc « chaque chose a sa place et chaque place à sa chose ».

Dans tous les cas, aussi, les compagnons s’affoleront devant la masse compacte de contenus à faire tenir dans le contenant pourtant grand de la voiture. On vous reprochera, forcément, de ne pas savoir vous limiter quand, souvent, vous êtes celle qui emporte le moins de choses. Que comptent, en effet, vos deux maillots, votre épilady favori et ces quelques romans qui traînent depuis Noël dernier sur votre table de chevet et dont vous n’avez jamais pu ouvrir la première page, en comparaison des appareils hyper sophistiqués en tout genre sans lesquels votre compagnon ne saurait vivre, d’une mallette de boules de pétanque de compétition, de raquettes de tennis, d’un sac de golf, de la planche à voile et de  tout ce qui va avec ?

Comme de bien entendu, c’est quand votre mari aura fini de trouver une place au dernier sac, qu’il réalisera qu’il a oublié la poussette du dernier ou que votre fille se précipitera vers son père en le suppliant, les yeux humides, les lèvres tournées en un beau chapeau de gendarme, de retrouver LA chaussure à talons rouge, de sa polly pocket brune, qui doit forcément être dans le sac des jeux et peluches. Si le père est de bonne composition, il s’exécutera  tout en marmonnant dans cette grosse barbe qu’il ne possède pas (encore, le confinement n’est pas encore passé par-là), surtout s’il a l’intégralité du coffre à vider, pour caser la poussette tout terrain qui n’a jamais roulé sur le moindre grain de sable mais prend une place folle.  En revanche, s’il est de mauvaise humeur, contaminé qu’il est, le pauvre, par la vôtre, il enverra bouler la fille et la poussette, la polly pocket brune et la fameuse chaussure rouge et pestera longuement sur l’industrie du jouet, assez perverse, pour concevoir des poupées, dont les pieds mesurent quelques millimètres de caoutchouc.

Que l’humeur soit légère ou plombée, que vous puissiez entendre un cheveu pousser sur la tête du petit dernier ou que, à la demande répétée de vos filles, Michaël Jackson fasse résonner son « Wanna be startin’ something », avec ses dernières notes empruntées à Manu Dibango, vous partirez. Les premiers kilomètres passés, vous sentirez votre corps se détendre et votre esprit cessera de chercher ce qu’il aurait oublié de faire ou d’emporter. Vous pourrez mesurer du degré de lâcher prise atteint quand, au bout d’une grosse demie heure, les panneaux de l’autoroute se mettront au rouge pour annoncer le premier ralentissement de la journée.

Alors, bons préparatifs et bon week-end.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 

 

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