Chronique d’une fin novembre

Un ciel gris, des averses soutenues, un plateau détrempé. Les deux premières gelées ont fait brutalement redescendre la sève dans les troncs des arbres qui déployaient encore d’épaisses chevelures et, parfois, avaient recommencé à bourgeonner. Le chat, à l’affût derrière la chatière, dort en poule sur un coussin cousu par notre cadette. Sous les canisses, la grande table disparait sous les feuilles de la glycine. Vendredi, sur le fil, j’ai rentré les deux géraniums posés sur la tombe de Fantôme. Ils donnaient au jardin ses dernières vitamines. Les ballons des 20 ans de l’anniversaire de Céleste flottent mollement dans le vent. Pour ses seize ans, Louis n’a pas eu de ballons. Il fêtera son anniversaire avec l’une de ses amies née un jour après lui avant les vacances de Noël. Ils ont déjà dressé la liste des achats à faire.

Ses soeurs sont revenues à la maison pour être avec leur frère, lui offrir son cadeau et le voir souffler ses bougies. Le week-end est passé si vite qu’elles étaient à peine arrivées qu’il me semblait les voir déjà repartir. Nous n’avons rien fait d’autre qu’être dans la joie de ces moments de communion familiale. Le samedi après-midi tandis que Louis révisait en vue d’un contrôle, les filles et moi paressions sur le canapé déplié de la mezzanine devant le premier opus des aventures de Bridget Jones. Je ne l’ai pas vu à sa sortie. En octobre 2001, nous étions quelque part dans le Rolwaling en Népal embarqués dans une marche de trois semaines. Je l’ai enfin vu en avril 2005, à la télévision, à quelques heures de donner la vie à Victoire. Après l’avoir revu, je m’interroge sur le fait qu’il soit considéré comme un film culte. Dans tous les cas, il séduit toujours la jeune génération.

Profitant de ce que le trio se reposait, je suis allée chercher sous l’armoire bretonne la grande boite ayant contenu une paire de bottes. Elle me sert depuis de longues années à ranger la crèche et les santons. Je mets la crèche près de la cheminée. C’est toujours avec le même bonheur que je découvre les santons mais, avant, j’installe le papier brun et vert et dépose la crèche. J’imagine sur le dessus une forêt de pommes de pin. Chaque santon est enroulé dans une feuille de papier absorbant. Certains sont très vieux. Ils m’ont été offert à ma naissance. D’autres sont plus récents. C’est une grand-mère qui en a fait cadeau à ses petits-enfants. Là où elle habite se tient tous les ans une foire aux santons. Ils sont petits et délicats. Les plus anciens sont abimés. Le pauvre Michaud avait perdu ses deux bras. Il a été changé. Cette année, je le dépose dans la forêt de pommes de pin. Il domine la scène. Il pourra annoncer la grande nouvelle: celle de la naissance de l’enfant-Jésus. Je prends le temps de les observer avant de leur désigner une place. J’aime beaucoup le couple sous son ombrelle, le pêcheur, le vannier ou encore le ramasseur de lavande. Les petits animaux sont adorables. Le coq trouve sa place sur le toit de la crèche. A partir de dimanche, nous pourrons allumer la première bougie de l’Avent.

Nous avons une couronne de l’Avent mais pas une vraie faite dans des branches de sapin et portant de jolis rubans rouges. Bien qu’artificielle, elle est jolie et, traditionnellement, installée dans l’entrée. C’est à un pasteur de Hambourg, au XIXe siècle que l’on doit la tradition de la couronne de l’Avent. Pour accompagner ce temps de l’Avent qui est celui de l’attente et de la préparation de la naissance du Christ, il disposait vingt-quatre bougies de taille moyenne qu’il allumait à chaque nouvelle journée. Quatre bougies plus imposantes étaient réservées pour les messes du dimanche.

La plupart de nos traditions chrétiennes puisent leur source dans des traditions païennes. C’est le cas de la couronne de Noël. Quand les jours rétrécissaient en hiver les Romains craignaient de voir le soleil disparaître. Ils confectionnaient des roues de feuillage, faites de rameaux de pin. Le pin était le seul arbre persistant en hiver. Ses branches symbolisaient la vie, l’espoir du renouveau de la nature mais aussi le rythme cyclique de l’univers.

Quant aux quatre bougies dont on allume la première le premier dimanche de l’Avent, en plus de représenter les quatre saisons et les points cardinaux, elles nous invitent à prier un sujet en particulier. Le premier dimanche symbolise le pardon accordé par Dieu à Eve et à Adam, la deuxième bougie la foi d’Abraham et des patriarches en Dieu et en la Terre promise, la troisième la joie de David dont la lignée ne s’éteindra pas et la quatrième l’enseignement des prophètes qui annonce l’avènement d’un règne placé sous le double signe de la justice et de la paix.

Quand les enfants l’étaient encore, ils étaient impatients de me voir sortir la grande boite à chaussures et encore plus de désemmailloter les santons. J’avais peur qu’ils ne les fassent tomber mais cela n’est jamais arrivé. Victoire n’aimait pas le Michaud aux bras cassés. Céleste avait un faible pour les Arlésiennes et Louis craquait pour son boulanger d’une facture différente qu’il avait choisi tout seul à la foire aux santons. Tout en rondeur, il rappelait Raimu dans La femme et le boulanger. Petite fille, j’avais eu plaisir à faire cheminer les rois mages et leurs chameaux guidés par la brillante Vénus, appelée étoile du berger quand elle est une planète. C’est Louis qui a passé le plus de temps à se raconter des histoires avec les santons.

Depuis deux ans, nous avions fait le choix de ne pas avoir de sapin pour des raisons écologiques et aussi parce que toutes nos tentatives pour conserver en vie les sapins avaient échoué. C’est toujours si triste, le temps des fêtes passé, de voir les sapins déshabillés de leurs habits abandonnés sur le trottoir des villes. Après avoir été les rois des salons, ils font la joie des chiens. Notre ainée nous a réclamé un vrai sapin qui sent bon la forêt. Nous allons exaucer son voeu. J’irai acheter des jacinthes, des bleues ou des banches. Notre père nous en offrait tous les ans. Quelle joie de les voir pousser, s’ouvrir et exhaler cette odeur si merveilleuse! Quand la floraison est finie, je coupe les jacinthes au ras du bulbe et les replante dans le jardin.

Dimanche, en fin d’après-midi, sonnait déjà l’heure du départ pour les filles. Leur papa les conduisait au train. Céleste avait glissé deux parts de gâteau marbré dans son sac et Victoire s’était préparée un sandwich. En arrivant à Paris, Victoire irait attendre à la gare son Flixbus pour Reims. Notre ainée retrouverait son copain, Victoire ses amis dans la résidence pour étudiants. Plus tard, nous aurions un appel de l’une et un sms de l’autre. Dans la crèche, les santons seraient endormis.

Lundi, la nuit est tombée sur le plateau. La pluie a cessé. Le chat est toujours sur le coussin devant la chatière. Notre fils rentre tard et un patient ne va plus tarder. Je vous souhaite à toutes et à tous une entrée en douceur dans ce temps de l’Avent.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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