Chronique entre fin des vacances de Pâques et grande respiration pascale

Voila, c’est reparti pour une longue, très longue période de onze semaines de cours avant les grandes vacances! Les élèves et les professeurs des académies d’Aix-Marseille, Amiens, Caen, Lille, Nancy-Metz, Nantes, Nice, Orléans-Tours, Reims, Rennes, Rouen et Strasbourg vont devoir s’armer de courage pour traverser cette ultime étape. Une dernière étape déterminante pour notre aînée qui, comme tant d’autres jeunes de son âge, avance à tâtons dans son année de seconde car elle ne sait pas comment elle a envie de se réaliser plus tard. Progresser à l’aveugle engendre beaucoup de souffrance et conduit à baisser les bras. Le rôle des parents et de l’entourage est essentiel pour que les jeunes ne décrochent pas. Ma soeur, graphologue, a offert à sa nièce d’analyser son écriture pour l’aider à y voir plus clair. Je suis certaine que cela l’aidera beaucoup.

Hier, avant de se coucher, notre troisième enfant et seul fils, Louis, élève en classe de sixième, avait du mal à s’endormir. Il redoutait d’être malade et, en effet, il avait mal au ventre. Comme cela nous arrive très souvent à son papa ou à moi, je faisais de mon mieux pour l’apaiser et allais me coucher dans la chambre la plus agréable de la maison qui jouxte la sienne et que nous réservons à notre famille et à nos amis de passage. Louis me demandait de lui jurer que, dans la nuit ou demain, au collège, il ne serait pas malade. Je promettais tout en sachant au fond de moi que cette promesse était gasconne. Je ne pourrais pas empêcher Louis de se rendre malade si la peur de l’être était si forte qu’elle provoquait ce qu’il redoutait. Je le laissais après lui avoir demandé de se concentrer sur des choses positives: les quelques jours passés dans l’Ain avec sa mamie, ce magnifique week-end de Pâques avec ses cousins, l’aquarelle réalisée avec son papa et les retrouvailles avec les amis.

Tandis que je dégustais page après page le dernier opus « Hotaru » de la première pentalogie d’Aki Shimazaki, « Le poids des secrets », j’étais attentive à la respiration de Louis. A la page 25, Louis s’était endormi. C’est l’une de mes deux belles-soeurs, Catherine, qui m’a offert à Noël le très joli coffret réunissant les cinq histoires entremêlées du « poids des secrets ». J’accorde une telle importance à la psychogénéalogie dans mon travail de thérapeute; j’invite si souvent les patients auxquels ils manquent des maillons dans leur histoire à chercher à les reconstituer que ces romans délicats ne pouvaient que me plaire. Ces histoires qui croisent sur plusieurs générations des vies cabossées, fracturées mais le plus souvent réparées montrent à quel point tout se joue dès notre naissance et, en réalité, commence déjà dans le désir ou le non désir que nos géniteurs (car ils ne seront pas nécessairement nos parents) ont de nous. Ces histoires attestent de ce que nos inconscients nous poussent à choisir pour compagne ou compagnon un être dont l’histoire va résonner en nous et à entretenir une fidélité plus ou moins forte à la trajectoire des membres de notre famille.

Quand j’étais enfant et que des amies m’invitaient à dormir chez elles, je me sentais prisonnière de deux émotions contradictoires. A un moment, presque fatalement, je ressentais le manque des miens. Cela venait au coucher car alors l’absence de la tendresse de notre mère se faisait ressentir. A d’autres moments, j’avais du chagrin devant l’image d’Epinal qu’offraient les familles qui me recevaient. Pas une ombre au tableau, pas une porte qui claque, pas un mot plus haut que l’autre. Devant cette harmonie dont je compris plus tard qu’elle pouvait être de façade (on ne se donne pas en spectacle quand on reçoit), je ressentais de la nostalgie face à ce que notre famille ne nous apportait pas à ma soeur et à moi. Très récemment, j’ai compris une chose qui m’échappait: ce sentiment que j’éprouvais enfant pouvait s’éprouver à l’âge adulte. Je ne le savais pas car je ne l’avais plus jamais ressenti en quittant les rives de l’adolescence. Par l’analyse, j’avais réparé en moi mes blessures et m’étais libérée de mes manques et de mes frustrations. J’avais également appris à me concentrer sur toutes les bonnes choses que nos parents nous avaient transmises et que je serais heureuse, le temps de venu, de transmettre à mon tour à mes enfants.  Je pouvais depuis très longtemps être au contact d’un couple épanoui quand je traversais une rupture mortifère ou d’une famille harmonieuse alors que la nôtre était encore douloureuse sans ressentir en creux des manques liés à ma propre histoire. Quand Stéphane et moi avons attendu de longs mois avant que Céleste ne s’invite et que j’ai, à la suite d’un choc psychologique, risqué de la perdre, je n’en voulais pas à mes amies qui avançaient sereines dans leur grossesse et, souvent, étaient déjà des mamans comblées.

Quand, durablement, famille et amis, le dimanche venu, nous quittaient pour regagner Paris et renouaient cent-dix kilomètres plus loin avec la vie qui m’avait le plus convenu et à laquelle j’avais renoncé pour suivre mon mari, je ne leur en voulais pas. Je trouvais profondément injuste qu’eux partent et que je reste-là, accrochée sur ce plateau si éloigné de mon énergie naturelle et incapable de me nourrir intellectuellement mais jamais je ne me disais pas que le plus simple serait de ne plus les voir pour faire cesser ma tristesse. J’avais de la peine mais cela ne les concernait pas. C’était mon problème à moi et j’étais la seule à pouvoir faire en sorte de le dépasser. Maintenant, de manière récurrente, Paris me manque mais ce manque n’est plus une souffrance. Je ne vis plus dans l’espoir de renouer avec une vie passée. Je m’attache au présent, à toutes les bonnes choses qu’il m’offre du matin jusqu’au soir et je pense aussi à des projets qui me permettront de m’épanouir davantage. Je l’ai souvent écrit et je recommence mais c’est notre Fantôme qui m’a permis d’aimer le plateau et d’apprendre à contempler les merveilles de la nature en suspendant le cours de mes pensées.

Dimanche matin, à la messe, je pensais à tous ces deuils que la vie nous réserve: morts à la vie terrestre des êtres aimés, fin d’un amour, perte d’un emploi, d’une partie de soi, renoncement à un mode de vie épanouissant,  départ des enfants, adieu à la vitalité d’un corps qui se fragilise, ou encore cessation de la vie dite « active » ce qui semble induire de manière fausse et malsaine que ce qui vient après est passif, voire inutile. Aussi douloureux que soient tous ces deuils, nous parvenons à les traverser. Nous apprenons à puiser dans nos souvenirs pour faire accéder à l’immortalité ceux que nous aimons. Nous arrivons à les incorporer en nous. Quand nous voulons, aussi souvent que nous le souhaitons, nous pouvons actionner la machine à remonter le temps et revivre de merveilleux souvenirs. Plutôt que de ressentir de la nostalgie de les savoir derrière nous, nous nous sentons pleins de reconnaissance d’avoir eu la chance de les vivre. Le temps passant, l’âge venant de plus en plus grand, une forme de sagesse nous guide pour nous permettre de faire correspondre nos projets à la réalité des capacités de notre corps.

Vendredi soir, un peu avant minuit tandis que j’étais dans la salle de bains, j’entendais Fantôme exprimer haut et fort sa joie à l’arrivée de ma soeur et d’une partie de sa famille. Je tentais de contenir le bonheur de notre fidèle berger australien tandis que ma soeur essayait de gagner l’escalier avec ses bagages à la main. Quinze minutes plus tard, un grand silence enveloppait la maison. Ma soeur, son fils, Valentin, et sa seconde fille, Charlotte, étaient tous au lit. Fantôme était un berger comblé: il avait gagné trois brebis! Symboliquement, Stéphane avait déplié le lit-parapluie mais nous savions que Charlotte, âgée de vingt-deux mois, s’endormirait dans le grand lit au plus près de l’odeur rassurante de sa maman avec son gros doudou ventru dont les odeurs, elles, sont assez repoussantes. Notre fils, Louis, aurait dû être arrivé également avec sa mamie mais, finalement, Claude et lui avaient décidé de repousser au lendemain leur venue. Depuis dimanche, Louis était chez sa mamie, dans l’Ain, au pays des grenouilles fidèles aux étangs de la Dombes. Il était si heureux de passer quelques jours avec une mamie qu’il a vue moins souvent que ses soeurs et leur cousine, Louise. Aussi longtemps que Louis déchargeait sa colère sur Victoire et devant la complicité adolescente unissant les trois cousines, il n’était pas possible de confier Louis à sa mamie. Par ailleurs, Louis, énergique, bouillonnant, souvent anxieux mais aussi profond, drôle et extrêmement tendre est un enfant qui requiert beaucoup de temps, d’écoute et d’attention.

Nous avons, je crois, tous eu la chance de pouvoir profiter d’un temps plus estival que printanier pendant ce long week-end de Pâques si tragiquement endeuillé par les attaques terroristes dans des églises du Sri-Lanka. Charlotte est passée de bras en bras. Valentin et Louis s’en sont donné à coeur joie dans le trampoline. Tous les cousins sont partis à vélo sillonner la campagne ne rentrant qu’après que le soleil se soit couché. Pauline, l’une de mes trois filleules, et sa maman nous ont rejoints le dimanche après le déjeuner. La bande de l’île-Tudy était ravie de se reconstituer et de disputer quelques parties de petits chevaux. Pendant ces trois jours, j’observais Céleste et Charlotte et m’amusais devant leurs ressemblances. Charlotte est une petite fille très tonique au caractère déjà bien affirmé et à la langue bien pendue! Elle sera celle qui parle et fait parler.

Il me semblait faire un retour en arrière et revoir tous nos enfants au même âge. Charlotte, sous la houlette de Céleste, remplissait l’arrosoir avec le tuyau d’arrosage et, bien sûr, trempait ses chaussures. Le long des chemins, elle ramassait des dents de lion et en soufflait les étamines. Sur un pont étroit, au-dessus d’une rivière, elle s’arrêtait pour admirer trois magnifiques oies bernaches du Canada. Récemment, j’en avais vues un matin alors que le soleil finissait d’étirer ses rayons au-dessus du plateau dans la mare des Bernard. Dimanche, Charlotte cherchait les oeufs dissimulés dans le jardin par Valentin et Louis. Toute la famille se lançait dans cette chasse. A un autre moment, Charlotte enfilait un casque de ski et s’essayait à la planche à roulettes. Cette petite fille n’a peur de rien et en aucun cas du vide. Sa tante Emilie, la petite soeur de son papa qui vit en Haute-Savoie, pourra quand elle sera plus grande l’initier à l’alpinisme ou à l’escalade. Etendue dans le hamac, elle me demandait de la balancer tout en lui chantant des berceuses. Charlotte, comme son papa, a pour Fantôme une grande tendresse. Elle le cherchait partout, lui faisait des caresses et essayait de lui mettre les lunettes oranges de son oncle sur les yeux.

A l’heure des siestes, Stéphane prenait Charlotte dans ses bras, la couchait dans le grand lit et lui racontait des histoires de Niko et Niki, deux petits souris sorties tout droit de l’imagination fertile de son père. Presque tous les soirs, Egmont inventait la suite des aventures de Niko et Niki pour le plus grand bonheur de Catherine et Stéphane quand ils étaient enfants. Le lundi après-midi, alors que Claude, Virginie, Charlotte et Valentin étaient repartis la première pour l’Ain et les seconds pour la Loire-Atlantique, Stéphane sortait la boite d’aquarelles de son père. Louis, Céleste et leur papa peignaient des oiseaux, des chardons ou du lilas. Avec les petites souris, la peinture et de délicieux plats préparés au barbecue, Stéphane mettait ses pas dans ceux de son papa. De mon côté, j’avais redonné vie au nôtre parti treize ans plus tôt qu’Egmont en ressuscitant sa sauce mousseline destinée aux asperges.

Hier soir,  très vite après que j’aie senti que Louis dormait, j’ai trouvé ma place dans le wagon du train du sommeil qui attendait en gare depuis plusieurs heures déjà. J’ai posé le roman sur la table de chevet, ai éteint la lumière, me suis installée en position foetale sur le coté droit et suis partie si vite que je ne me rappelle pas si le contrôleur est venu vérifier mon billet! Il me semble que ma dernière pensée a été pour Victoire et son départ jeudi matin pour la Campanie.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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