Entre ce qui pourrait s’apparenter à une forme de sabordage scolaire chez l’un de nos enfants et les tsunamis émotionnels d’un autre ajoutés aux huit heures nécessaires pour relier notre campagne depuis la capitale de la Sicile, le répit aura été de courte durée…Deux jours et demi ou moins de soixante heures dans la vie d’un couple de parents de trois enfants épuisé et sur le gril tout au long de l’année. Deux jours et demi volés, arrachés sur un quotidien usant créant des tensions et, parfois aussi, des incompréhensions. Comment s’aimer tous les jours du même amour quand on est pressurés du matin jusqu’au soir, qu’on n’a pas encore atteint un sentiment de sécurité face à l’avenir? Comment être tous les jours les mêmes parents attentifs et bienveillants quand on ne peut presque jamais passer le relais et qu’on a deux enfants sur trois qui requièrent tant d’investissement au quotidien?
De longues années après sa sortie, je suis toujours touchée par les chansons de l’album de Manu Chao « Clandestino ». En pleine crise migratoire, je l’ai beaucoup écouté. Un des titres évoque l’amour dans le couple embarqué sur une caravelle pour un long voyage. Il y a cette phrase « Je ne t’aime plus mon amour, je ne t’aime plus tous les jours ». C’est si juste! On ne peut pas s’aimer tous les jours de la même manière. L’amour au long cours est comme le ciel au-dessus de la mer d’Iroise. S’il est profond, authentique, il est également soumis à des périodes de turbulences fortes, à ces fameuses virgas avec lesquelles notre commandant de bord avant l’atterrissage a dû composer en approchant d’Orly. Au moment où on rencontre celui ou celle auprès duquel ou de laquelle on s’engagera, on ne voit pas tout ce qui se joue. On ne prend pas la mesure de toutes ces forces souterraines inconscientes qui nous poussent à aller l’un vers l’autre. On ne les découvre que petit à petit et, parfois, alors, on est saisis devant ce qu’on a cherché à réparer, à dépasser ou à reproduire de l’histoire de ses propres parents. C’est, au choix, fascinant ou terrifiant!
Parfois prisonniers d’un quotidien qui nous gangrène, nous pouvons douter de notre amour et alors il suffit d’une respiration loin de tous et de tout pour comprendre qu’on s’aime toujours autant mais que c’est la fatigue qui nous éloigne artificiellement. Il nous aura fallu attendre plus de douze longues années avant de pouvoir repartir voyager en amoureux. C’est long douze ans. Douze ans que mes voyages sont immobiles tandis que Stéphane, lui, dans son bureau délocalisé de la maison, imagine des aventures incroyables pour les autres. Bientôt le Mustang avec une forte dimension humaine (apporter des lunettes à des villageois dont les yeux sont exposés aux rayons dévastateurs du soleil en montagne) et ensuite la Namibie. Certainement, il partira pour encadrer les équipes et je jouerai la Pénélope. Mais, mon bel Ulysse n’aura pas d’inquiétude à avoir, dans mon Ar-Men, accrochée au dos vert d’un plateau souvent balayé par un vent mauvais, je ne risquerai pas d’avoir à éconduire une légion de prétendants! Argos aura pour prénom Fantôme!
Cela faisait de longues années que je rêvais de découvrir Palerme. Cela n’avait rien à voir avec le roman d’Edmonde Charles-Roux, prix Goncourt en 1966, ni avec les aventures sanglantes du clan Corleone mais plutôt avec la concorde religieuse qui y règne depuis des siècles et la magie du film que nous avons le plus vu en famille, « le Guépard » de Luchino Visconti, palme d’or à Cannes en 1963. Je m’imaginais retrouver ses protagonistes évoluant avec élégance dans la grande salle de bal du palazzo Gangi ou jouant entre les draps d’un blanc immaculé mis à sécher au dernier étage de la villa Boscogrande. D’ailleurs, c’est bien à Claudia Cardinal que je pensais le matin de notre mariage alors que je demandais à une coiffeuse de relever mes cheveux longs. La coiffeuse n’avait pas vu « Le Guépard ». Ma mère, poussée à bout par notre grand-mère, venant de perdre son mari, m’avait lancé tout à trac avant que nous ne partions à la mairie que je ressemblais à un cocker. Je me demande si ce jugement n’était pas un peu sévère pour cette race de chien que j’aime beaucoup et dont l’un des représentants a été un membre de notre famille. Le soir, après les mariages civil et religieux, Liliane, une femme fine et intelligente, réussissait à rassembler mes cheveux comme je l’avais souhaité. Pour être tout à fait honnête, toutes les violences que j’ai absorbées tout au long de cette journée glissaient sur moi. Quand un peu plus de deux mois avant, on a perdu son père dans des conditions douloureuses, on est anesthésié, en apesanteur. C’est plus tard que j’ai pris la mesure de ce qu’on m’avait fait vivre.
Jeudi soir, c’est à presque minuit que nous nous couchons à Sceaux dans l’appartement de notre mère, situé en face du lycée Lakanal. Nous décollons de bonne heure. Le trajet en voiture ne sera plus à faire. De 18h30 à 21h00, avec deux autres amis, Véronique et Sylvain et répondant favorablement à l’appel de Nadège, nous avons animé un débat national dans la salle des fêtes de notre commune. Christophe, notre ami et maire, avait mis la salle à notre disposition. Nadège trouvait regrettable que l’occasion d’un échange citoyen ne soit pas saisie. Elle avait raison. Véronique prenait en charge la fiscalité, Sylvain l’Etat et les services publics, Stéphane la transition écologique et, de mon côté, j’étais au poste de la démocratie et de la citoyenneté. Nadège, en qualité d’organisatrice, allait d’un groupe à un autre. A une réunion où chacun depuis la place qu’il occupe interroge des personnes installées sur une estrade, Nadège avait préféré des tables. C’est Stéphane qui a eu le plus de succès avec la transition écologique. Les débats ont été menés dans un grand calme, chaque participant (une majorité écrasante d’hommes retraités) s’attachant à écouter les autres sans les interrompre. Aucune agressivité. L’ambiance était sereine et même amicale. Dans un village, on se connaît bien et souvent on sait déjà les idées des autres. Personne n’était là pour en découdre!
Nous avons tous eu beaucoup de plaisir à nous investir dans cet évènement. Nous avons eu le sentiment de faire notre part comme dans l’histoire du petit colibri chère à Pierre Rabhi. Quoi qu’il advienne maintenant, nous pourrons nous dire que nous avons fait entendre notre voix citoyenne. Nous n’étions pas nombreux. L’horaire n’était pas forcément facile mais les personnes présentes avaient vraiment réfléchi et exprimaient une opinion claire et construite. A un moment, autour de la question de la laïcité et plus précisément d’une relecture de la loi de 1905, j’ai craint que cela ne dérape. Ce sujet qui a durablement fracturé la France demeure toujours très sensible.
Vendredi, huit heures, nous sommes dans l’Orlyval. Le ciel est d’un bleu céleste. Je ne réalise pas encore que nous partons pour Palerme, que ce voyage sera un vrai voyage et non l’un de mes si nombreux voyages immobiles entrepris seule depuis mon Ar-Men en suivant la course des nuages au-dessus de l’océan céréalier. Avant de passer les portillons de sécurité, nous nous installons à une terrasse. Je viens de m’acheter un nouveau carnet en moleskine rouge. Je l’ouvre. Les mots arrivent. Facilement. J’observe toutes ces silhouettes qui vont et viennent poussant des chariots lourds de bagages. J’écoute toutes ces langues qui se croisent. J’aime les lieux de vie: les cafés, les gares, les aéroports, les marchés, les églises, les places, les plages et le métro. Quant aux voyages en avion, leur plaisir est inscrit dans mes cellules. J’avais cinq ans quand j’ai pris l’avion pour la première fois à destination de Fort-de-France où notre père avait été nommé plusieurs mois avant. Je prenais l’habitude de passer les huit heures de vol avec le personnel navigant. J’étais trop jeune pour savoir combien j’étais une privilégiée de prendre l’avion pour les Antilles. Les Boeing 747 me semblaient tellement énormes! Air France régnait en maître absolu sur ces destinations lointaines. Nous ne revenions qu’une seule fois par an en métropole. Ma soeur avait trois mois. Elle aurait dû naître à la Martinique mais Air France ne laissait plus notre mère, trop avancée dans sa grossesse, embarquer. Prisonnier d’un sentiment égoïste assez masculin, malheureux d’être séparé de sa famille pendant six mois et privé de la naissance de son second enfant, notre père, injuste, en voulut à notre mère et à notre grand-mère.
A la table d’un café, dans les rayons de soleil filtrant au travers de grandes baies vitrées, la machine à souvenirs se met en marche. 14 novembre de l’an deux mille. Margot, notre première nièce, est venue au monde le jour de la grande fête des sorcières. Ma soeur est devenue maman, notre mère, grand-mère. Notre père ne sera jamais grand-père et, forcément, nous penserons à lui à chaque naissance, chaque étape forte de notre parcours. Pour notre mère, ce bébé arrive à point nommé. Il va l’aider à traverser le deuil. Margot née, nous pouvons partir. Début d’une grande respiration avec chaussures de randonnée, sacs à dos et tente. Stéphane portait en lui ce grand voyage depuis ses vingt ans, depuis sa découverte du Vietnam avec un entomologiste. Je suis triste. Cette aventure ne nous ouvre pas les horizons attendus. Il sera une véritable épreuve de couple. Notre couple comme tant d’autres est placé sous le signe des virgas mais, à chaque fois, il triomphe. C’est le plus important! Ce qui est terrible, c’est quand, dans un couple, l’un des deux membres le déserte, ne veut plus le nourrir, est brutalement emporté par une passion qui le dépasse, emporte tout sur son passage et lui redonne, momentanément, sa liberté et ses vingt ans.
Janvier 2007, Stéphane travaille quinze jours par mois en Roumanie. J’ai dû renoncer à mes cours à Paris. Ma thèse est au point mort. Je suis trop loin des centres de recherche. Mon sujet est trop volatile. Je ne suis pas faite pour conceptualiser des idées. Les absences de Stéphane nous fragilisent. A la campagne, je vis un isolement profond qui me précipite dans une dépression qui ne dit pas son nom. Je ne dors plus. Je ne mange plus. Stéphane souffre. Les projets roumains évoquent les moulins à vent de ce pauvre Don Quichotte. Nous perdons un ami et Victoire son premier parrain que Stéphane avait rencontré en Avignon sur les bords du Rhône alors que Benoît et lui passaient leur permis bateau. Céleste décroche. Je m’accroche. Grâce à ma mère qui vient veiller sur ses deux petites-filles avec notre grand-mère dont la vie ne tient plus qu’à un fil et une cousine de Stéphane qui met à notre disposition un magnifique appartement à côté de l’Opéra, nous nous offrons une escapade à Budapest.
Il était temps. Nous nous retrouvons. Je succombe aux charmes de cette capitale qui vous propulse au coeur de cette MittelEuropa dépeinte par de très grands écrivains avant le drame de la seconde guerre mondiale et, plus loin encore, dans cet empire austro-hongrois si bouillonnant avant le démantèlement du traité de Versailles. Un petit matin, nous nous disons au revoir. Stéphane poursuit son chemin en direction de la Roumanie. Je retourne à Paris. Je ne le sais pas encore mais je porte Louis, notre troisième enfant. En quelques années, j’ai déjà consenti à plusieurs renoncements. Il est hors de question que les difficultés actuelles me fassent abandonner mon désir de fonder une famille « nombreuse ». Notre quatrième enfant, celui qui aurait été à nouveau un fils et le petit frère de Louis, se métamorphose en un chien tout poilu, un berger australien, Fantôme. Nous nous accompagnons l’un l’autre tous les matins dans nos sorties au point du jour.
Mars 2019, nous aurons cinquante ans dans quelques mois, quand l’été aura cédé sa place à l’automne, ma saison favorite. Nous avions pensé réunir nos proches pour célébrer et nos cinquante ans et nos vingt ans de mariage. Nous avions même déjà bloqué des dates pour un week-end. Maintenant, nous pensons repousser à l’an prochain ces festivités. N’est-ce pas plus amusant comme dans une chanson de Boris Vian de faire la fête pour ses cinquante et un ans et ses vingt et un an de mariage? A l’approche de la cinquième décade, celle qui me mettra à sept ans de la mort de notre père, la fatigue est là avec son cortège de petits tracas: acouphènes, tension trop élevée, trop basse, arythmie, kystes synoviaux, migraines chroniques et lombalgie. Mais, comme le dit le grand-père côté paternel des enfants de ma soeur, psychiatre et psychanalyste, « Passé cinquante ans si vous n’avez pas mal quelque part au réveil, c’est que vous êtes mort! ». Je pense souvent à cette phrase. Elle me fait sourire autant qu’elle m’aide à relativiser beaucoup de choses.
Un peu avant dix heures, nous sommes assis dans un Boeing de la compagnie Transavia, filiale d’Air France et de KLM. C’est la journée internationale de la femme. L’hôtesse, chef de cabine, nous annonce que l’équipage est entièrement féminin. Le PDG de la société, une femme, vient évoquer cette journée et expliquer le souhait de Transavia de jouer la carte de la mixité au sein de son personnel. Un petit cadeau est remis aux passagères. Un homme râle. Il trouve cela injuste de ne rien avoir. Avant de repartir, le PDG lance: « la journée de la femme, c’est tous les jours! ».
Nous nous posons à l’aéroport international de Palerme. Il porte les deux noms de ces deux grands juges qui se sont dressés contre la mafia et ont été assassinés au printemps 1992: les juges Falcone et Borsellino. Au gré de mes lectures, j’apprendrai qu’entre 80 et 90% des commerçants, des restaurateurs, des hôteliers continuent de verser le pizzo, l’impôt prélevé par la mafia. Depuis quelques années, soutenu par un maire absolument remarquable et ayant compris la force représentée par l’arrivée de migrants, une association s’est dressée contre cet impôt. Elle édite un guide de tous les professionnels palermitains qui ne veulent plus céder à l’intimidation. Ce guide permet aux habitants locaux et aux étrangers de passage de se rendre chez eux. Pendant le débat, aux quatre tables, il a beaucoup été question de l’importance des initiatives locales pour redonner du sens à la citoyenneté et avoir le sentiment d’agir concrètement. Cette association baptisée « Addiopizzo » en est un bel exemple! La lutte contre les organisations criminelles semble malgré tous les efforts de la justice, de certains hommes et femmes politiques et des citoyens perdue. Le visage de la mafia a changé et elle sous-traite désormais les actes violents. Selon une étude publiée en 2012, le chiffre d’affaires cumulé des organisations mafieuses italiennes serait d’environ 140 milliards d’euros, soit 6,7% du PIB de l’Italie. Mais les mafias les plus fortes sont japonaises et russes.
Il est plus de quinze heures quand nous découvrons le palazzo situé en plein quartier historique et dans lequel Stéphane a déniché un ravissant Airbnb. La cour intérieure regorge de plantes vertes régulièrement arrosées. De l’escalier principal partent d’autres escaliers conférant au bâtiment une architecture en forme de gruyère. C’est la babysitter des jeunes enfants du couple qui nous accueille. Je suis presque certaine qu’elle est d’origine cap-verdienne. Elle est charmante et après nous avoir laissé toutes les informations d’usage dépose un baiser sur notre joue, ni deux, ni trois ni quatre. En Italie, c’est seulement un baiser! Stéphane a été étudiant en DEA à Milan et a obtenu une excellente notre à son mémoire soutenu dans la langue de Dante. Il est heureux de s’y remettre même si, souvent, ce sont des mots roumains qui s’invitent.
Nous partons vite découvrir Palerme, ville située sur la même latitude que la Tunisie, ville comptant jusqu’à six cents églises et couvents et, en 1723, pas moins de 107 princes, 76 ducs, 104 marquis et 39 comtes. Chaque famille aristocrate possédant son palais à Palerme. Palerme a une histoire très ancienne qui remonte à trois mille ans. Elle offre des contrastes saisissants avec un mille-feuilles de styles architecturaux absolument remarquable. La raison en est simple. Après que les Phéniciens aient débarqué sur le territoire des Sicules pour y fonder des comptoirs marchands au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, ce sont ensuite les Carthaginois, les Grecs, les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Normands, les Souabes, les Angevins, les Aragonais, les Espagnols, les Autrichiens, les Bourbons et, maintenant, les Indiens, les Ghanéens, les Bangladeshis, les Tunisiens et les Libyens qui y ont séjourné ou y trouvent une terre d’asile.
En deux jours et demi, nous parcourons à pied presque trente-quatre kilomètres. Partout entre les pavés des confettis colorés, traces minuscules du carnaval avant l’entrée dans le Carême et, aux angles des rues, des fleuristes vendant des branches de mimosa. Déambuler entre les ruelles, les avenues, les places et les marchés est le meilleur moyen d’appréhender une ville de l’intérieur.
Nos yeux vont d’une église arabo-normande à une chapelle grecque orthodoxe, d’un étal regorgeant d’agrumes et de grenades à un banc de poissons et de crustacés frais et luisants, d’un magnifique palazzo livré à lui-même, toujours magnifique malgré les outrages du temps passant à une église baroque déployant ses marqueteries en marbre et ses angelots fessus, d’un jardin botanique déployant plus de 12000 espèces végétales subtropicales incroyables comme ces kapotiers aux troncs ventrus recouverts d’épines ou le prince des lieux, un Ficus magnolioides importé en 1845 de l’île de Norfolk en Australie à une fontaine dédiée à un courant ésotérique de la Renaissance où les personnages nus figurent des satyres et des sirènes, du grand théâtre Massimo, deuxième plus vaste salle du continent ayant une capacité d’accueil de 1350 spectateurs au castello della Zisa, véritable syncrétisme architectural entre l’art byzantin et l’art islamique, de la cour intérieure du monastère sainte Catherine au dôme de son église offrant une vue imprenable sur tous les monuments de Palerme et ses montagnes environnantes se découpant sur un ciel toujours limpide, du bord de mer où des familles se délectent de pantagrueliques gelati, des jeunes disputent des parties de foot sur une herbe rase aux salles de la Galleria d’Arte moderna où nous découvrons à la fois les très belles toiles d’un peintre ami de Renoir et d’Oscar Wilde, Francesco Lojacono et les photographies d’un artiste proche de Cartier-Bresson, entré à l’agence Magnum et dont nous ignorions tout: Ferdinando Scianna.
En photographe averti, Stéphane s’étonne que ce monsieur né en 1943 en Sicile n’ait pas été davantage mis à l’honneur. Ses photos sont à la fois puissantes et empruntes d’une grande sensibilité. On sent qu’il aime vraiment ses sujets. Il n’est pas un voleur d’âmes. Il est témoin de situations parfois terribles comme la grande famine en Ethiopie ou la vie des enfants handicapés que leurs parents conduisent à Lourdes dans l’espoir d’un miracle.
Nous faisons l’impasse sur les catacombes dont la création remonte à la fin du XVIe siècle quand, à la suite de l’augmentation du nombre de capucins du couvent, il a fallu trouver pour leur sépulture un lieu plus grand. Prévues pour accueillir les frères décédés, les catacombes ont dû s’ouvrir aux membres de la bonne société palermitaine qui voulaient y vivre un sommeil éternel. Nous n’assistons pas à l’un des spectacles d’une gloire nationale: Mimmo Cuttichio dont le théâtre est dissimulé dans la via Bara all’Olivella. Plus de sept cents pantins y sont suspendus. Au coude à coude, des chevaliers, des prélats, des enfants, des chevaux, des dames élégantes et d’infidèles barbus. L’opéra dei pupi va chercher très loin dans l’histoire les récits des aventures vécues par les marionnettes. Mimmo Cuttichio ressuscite Charlemagne, Roland ou encore Ganelon. Depuis sa plus tendre enfance, le père de cette immense famille de personnages articulés, ce Gepetto palermitain flanqué de ses sept frères et soeurs accompagnait ses parents et leur théâtre ambulant sur les chemins de la Sicile. Vénéré en Italie, Mimmo Cuttichio a été filmé par Coppola dans l’opus numéro 3 du « Parrain ». Son théâtre a été classé au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO.
Nous nous sentons vraiment bien dans cette ville où beauté et laideur, odeur du mimosa et des poubelles éventrées, styles arabo-normand et baroque, chrétiens et musulmans, Européens et Africains se côtoient. Palerme est une authentique
mosaïque et des mosaïques, on n’en trouve partout. Héritage de la présence arabe. Les Palermitains sont des gens calmes et paisibles. Pas d’éclat de voix, de bling-bling.
Palerme m’évoque les ruelles de ma petite ville de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard, les belles places niçoises, une atmosphère proche de celle ressentie dans les rues de Calvi ou dans les petits villages de la Balagne et, aussi, ce que je peux imaginer de la vie napolitaine. La veille de notre départ, nous nous régalons autour d’un buffet dans la cour intérieure d’un restaurant situé non loin du palazzo Lampedusa du nom de l’auteur du Guépard. Nous découvrons un délicieux vin blanc sicilien, un grillo.
Un vin à la fois frais et floral qui vient accompagner à ravir du thon ou de l’espadon mariné en carapaccio ou des aubergines roulées dont j’ai réussi à trouver la recette.
J’ai déjà fait revenir les aubergines coupées en tranches fines dans le sens de la longueur dans de l’huile d’olive. Il ne reste plus qu’à préparer la sauce et la farce à base de parmesan râpé, de chapelure, de jambon italien, de pignons et de basilic finement haché.
Nous n’oublierons pas Palerme! C’est une ville passionnante! Maintenant, j’aimerais partir à la découverte de Beyrouth, de Copenhague ou de l’île de Sky en Ecosse. En attendant que nous puissions nous envoler à nouveau, je vais reprendre mes voyages immobiles, ceux que j’entreprends depuis ma fenêtre ouverte sur le plateau gris et humide depuis ce matin.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner (la plupart des photos sont celles de Stéphane)
Je découvre à l’instant votre blog …quel plaisir de vous lire et de savourer les superbes photographies !
Merci de m’avoir invitée à Palerme , ville que j’espère à mon tour parcourir prochainement .
Belle journée et des bisous 🇨🇭
Flo / Blandicesbooks
Chère Florence,
je vous remercie pour votre message. Palerme est une ville que je rêvais de découvrir depuis de longues années. J’aime particulièrement les villes « mosaïque », les villes où cohabitent de nombreux peuples avec leur culture et leur culte. Vous me ferez part de vos impressions après y avoir été. La visite du jardin botanique est vraiment magnifique! Très belle fin de journée. Je vous embrasse,
Anne-Lorraine