Chronique Rosa Bonheur

Quand, ce matin, Fantôme et moi sommes partis marcher autour du plateau nez en l’air truffe au vent, cela sentait la menthe. Dans un soleil rose, un agriculteur retournait la terre ensevelissant les corps secs des tournesols décapités. La rosée mouillait le bas de mon pantalon et les poils du ventre de Fantôme. Muguette était dans l’étable. Elle soignait Kiki et Nénette. Elle m’a dit que son fils cadet allait prendre rendez-vous chez le vétérinaire pour Pépette qui ne mange presque plus même quand Muguette lui prépare du steak haché et du blanc de poulet avec du vermicelle. Muguette est allée chercher Pépette dans un refuge après avoir perdu son mari. Dédé et Muguette ont toujours eu des chiens et même un petit chat noir que Dédé enveloppait le soir dans sa robe de chambre. Il s’est malheureusement noyé dans la mare d’Eugène qui en a été très tourmenté. Pépette avait été abandonnée au refuge après avoir, des années durant, enchainé les maternités forcées dans un élevage. Elle vivait dans une cage et ne sortait jamais. Quelle belle vie elle a enfin trouvé auprès de Muguette! La dame du refuge ne savait pas vraiment l’âge de Pépette mais Muguette pense qu’elle a au moins dix-sept ans. Il ne faudrait pas que Pépette s’en aille alors que l’hiver se rapproche. Cela ferait trop pour le moral de Muguette qui, ce matin, m’a dit: « Après André et Pépette, ce sera mon tour ».
Avec mon filet de voix rauque (j’ai un gros rhume depuis vendredi et suis presqu’aphone), j’ai raconté à Muguette notre visite hier à Thomery de la maison (le château de By) de Rosa Bonheur et notre marche entre vignes, bords de Seine et forêt. Je lui ai fait le résumé de ce que la guide absolument charmante qui mène les visites nous avait raconté. Rosa Bonheur avait pour père un peintre devenu saint simonien. Sa mère était la fille naturelle d’une femme appartenant à la haute noblesse et qui avait été élevée par un tuteur devant, sur le tard, lui révéler qu’il était son père et le secret entourant sa naissance. Alors qu’il en avait fait son héritière, tous les papiers l’attestant avaient disparu. Rosa avait onze ans quand sa mère mourut d’épuisement car son mari ne lui donnait presque rien pour subvenir aux besoins des quatre enfants. Rosa a appris la peinture auprès de son père et dans d’autres ateliers. Elle était autorisée à aller reproduire des toiles dans les galeries du Louvre. A l’âge de 14 ans, elle réussissait à exposer au salon parisien avec un tableau représentant des lapins mangeant des carottes. Elle avait compris qu’une femme ne pouvait exister en peinture qu’en réalisant des sujets dits mineurs. Les grandes scènes de batailles ou les récits mythologiques lui étaient interdits. Il aurait été inconvenant qu’une jeune fille peigne des hommes à moitié nus! Très vite, avec ses peintures animalières, Rosa Bonheur a connu le succès financier et la reconnaissance. Avec sa toile représentant le marché aux chevaux, elle a pu s’offrir son domaine sans tuteur ni compte bancaire sur lequel vivaient 200 bêtes dont des lions et des bisons. Pas moins de douze domestiques veillaient sur sa ménagerie.
Rosa Bonheur était secondée par une jeune femme qu’elle avait connue adolescente, Nathalie Micas. Cette jeune femme lui servait d’agent et broyait ses couleurs. Elle faisait en sorte que Rosa ne soit pas distraite dans son travail. Même si notre guide ne le dit pas, il semble évident que Nathalie et Rosa s’aimaient profondément et que cet amour était plus que condamné dans la société si puritaine et hypocrite du 19ème siècle! Il suffit de se rappeler ce que vécut Oscar Wilde en Angleterre. Alors que le public français se détournait d’elle, Rosa se fit connaitre dans le monde entier, en particulier en Amérique où la peinture animalière a toujours été très appréciée. Elle eut l’occasion de rencontrer lors d’une exposition universelle de Paris en 1889 Buffalo Bill et un grand chef indien avec lequel elle eut de nombreux échanges autour des pratiques animistes et totémistes.

Buffalo Bill lui a d’ailleurs offert un costume d’Indien Lakota-Sioux qui est exposé dans la pièce où personne n’était admis. Rosa Bonheur aimait profondément les bêtes qu’elle estimait supérieures aux hommes. Elle aimait tant ses animaux que lorsque les armées prussiennes ont marché sur Paris, elle a appris à ses domestiques à tirer à l’arc pour que personne ne vienne voler l’une de ses bêtes, notamment ses moutons quand, après la défaite française, les Français ont connu la faim. Dans la toile qu’Edouard Dubufe a peinte d’elle, on la voit posant son bras sur le cou d’un boeuf roux, nommé Mignon. Au départ, le peintre avait représenté l’artiste la main posée sur un guéridon. Rosa qui trouvait cela ridicule s’est saisie de ses pinceaux et a peint l’animal à la place du meuble. Les animaux sont toujours au centre des toiles de l’artiste. Les hommes sont relégués au second plan et très peu travaillés.

Rosa Bonheur était si célèbre qu’un jour son amie qui faisait office d’agent obtint du conducteur d’un train qu’il stoppe la machine au milieu de la plaine en Amérique pour qu’elle puisse aller ramasser de l’herbe pour les bisons. Comme le conducteur était un admirateur fervent de Rosa, il s’est exécuté et tous les passagers sont arrivés en retard! C’est l’impératrice Eugénie qui vouait à Rosa une grande admiration qui est venue en personne depuis Fontainebleau jusqu’au château de By pour décorer le peintre de la Légion d’honneur. L’impératrice avait profité d’une absence de son mari pour le faire. Neuf mois avant de mourir, Rosa qui vivait désormais seule a fait la connaissance d’Anna Klumpke, jeune peintre américaine. Anna vouait à Rosa une admiration sans borne. Pendant cette courte période, Rosa a organisé sa succession avec l’aide d’Anna qui est devenue sa légatrice universelle. A la mort de Rosa, ses frères, furieux, exigèrent d’Anna qu’elle vende tous les dessins de leur soeur. L’arrivée sur le marché de 4000 travaux fut un désastre car la valeur de Rosa s’écroula. Toute sa vie durant, Anna, restée célibataire et sans enfant, a fait en sorte d’entretenir le souvenir de Rosa. Dés qu’elle le pouvait, elle rachetait des dessins. Avant la dispersion des 4000 dessins, elle les a tous photographiés. Les greniers de la maison contiennent toutes les archives du peintre et seront mis à la disposition de chercheurs l’année prochaine. Depuis 2017, la maison est passé entre les mains de Katherine Brault qui a à coeur de continuer le travail de mémoire d’Anna. Pour avoir élevé seule ses quatre enfants tout en menant sa vie professionnelle, la nouvelle propriétaire aurait certainement plu à Rosa Bonheur qui aurait repensé à son histoire familiale.

Pour avoir eu le culot d’être le peintre le plus connu et le plus vendu au 19ème siècle dans un genre considéré comme mineur, avoir vu sa réputation aller jusqu’en Amérique, refusé le mariage, la maternité, préféré la compagnie des femmes et aimé porter le pantalon, elle a été condamnée à l’oubli après sa mort par des hommes jaloux et ne supportant pas le succès d’une femme libre. Avec cette reconnaissance tant nationale qu’internationale et ce grand train de vie, Rosa a, peut-être sans le vouloir, rendu à sa mère qu’elle devait profondément chérir sa place dans le monde.
J’aurais aimé aller bruncher dans le salon de thé où l’on peut aussi déjeuner mais je n’étais pas assez en forme pour cela. Mieux encore, j’aurais adoré passer la nuit dans la chambre de Rosa! En sortant de la maison, nous avons été flâner dans le parc et, ensuite, marcher entre les anciennes vignes de Chasselas de Thomery, les bords de Seine et la forêt. Le raisin de Thomery était acheminé vers le centre de Paris par voie fluviale, directement livré par les villageois à bord de petits bateaux à fond plat, les « margotats ». Ensuite, les grappes étaient distribuées dans toute la France, comme produits de luxe et même à l’étranger, jusqu’à la cour de Russie. Dans l’œuvre de Gustave Flaubert, Pécuchet, le comparse de Bouvard, signale qu’à Saint-Pétersbourg, pendant l’hiver, on payait le raisin un napoléon la grappe !
C’est grâce à Nancy que j’avais vu dans le train lundi dernier que j’ai eu envie d’aller découvrir la maison de Rosa Bonheur dont seulement une toile est exposée au musée d’Orsay. Le genre animalier n’a jamais été très prisé en France. L’exposition qui lui sera consacrée à Orsay en 2022 devrait à nouveau mettre en lumière cette femme au destin unique et qui n’est pas sans évoquer celui de Georgia O’Keeffe qui a été la première femme américaine a avoir droit à une exposition personnelle en 1930! Son travail a essentiellement porté sur les fleurs, les arbres et les paysages. Le centre Pompidou expose son oeuvre et j’ai beaucoup aimé son travail et sa curiosité à l’égard de la culture amérindienne. Un autre point commun avec Rosa.
Rosa Bonheur et Georgia O’Keeffe: deux grandes femmes libres!
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
En prime, les photos prises par Stéphane.

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