Chronique syrienne à partir du documentaire « Pour Sama »

Ma famille a été très marquée par les deux guerres mondiales: de longues années de captivité, une déportation sans retour, deux corps manquants générant des deuils difficiles voire impossibles et un suicide. Celui d’un arrière-arrière-grand-père n’ayant pas été en mesure de surmonter la mort de l’un de ses trois fils tombé aux Dardanelles. Auguste, au coeur pur, aux yeux d’un bleu profond, est le seul à ne pas reposer dans le cimetière paisible de la ville de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard rhodanien.

Des films retraçant les deux premières guerres, j’en ai vus un certain nombre: « Le jour le plus long », « Joyeux Noël », « Capitaine Conan », « La chambre des officiers », « Au revoir là-haut », « La grande illusion », « Indigènes », « La vie et rien d’autre », « La vie de château », « Le vieux fusil », « Dunkerque », « Cheval de guerre », « Le bateau ». Et encore bien d’autres sur la guerre en Indochine devenu Vietnam. Je n’en verrai plus. Je ne regarderai également plus jamais de documentaires racontant l’horreur des camps de concentration.

A cet héritage familial en lien avec les guerres est venu s’ajouter un parcours ne m’ayant pas permis de m’ancrer dans la durée quelque part, de développer de vraies racines. Bien sûr, je me sens appartenir au Finistère, au Gard et au Queyras et c’est à Paris que je me sais chez moi mais je n’ai pas réellement de port d’attache. Cela me fait depuis toujours éprouver un sentiment de reconnaissance avec les peuples nomades et une compréhension assez forte de ce que peuvent vivre les migrants condamnés à l’exil. Si ce n’est que les nomades sont heureux dans cette dure liberté et que les migrants souffrent parce qu’ils ont été arrachés à un lieu où ils avaient de fortes racines.

Etudiante, j’avais été horrifiée par la guerre dans les Balkans. Les guerres civiles sur fond de haine religieuse et raciale sont les pires. Une de mes amies avait deux camarades casques bleus en ex-Yougoslavie. Chez cette même amie, j’avais fait la connaissance d’un jeune homme libanais ayant traversé les années de guerre dans son pays terré dans une cave avec sa famille. Tous les Libanais n’avaient pas les moyens et aussi l’envie de quitter leur terre pour soustraire les leurs à l’enfer d’un conflit épouvantable. Il y a eu l’horreur du génocide au Rwanda, les deux guerres du Golfe et les tensions quasi permanentes entre Israël et la Palestine avec des effets papillon en France. Notre pays a été à plusieurs reprises la cible d’attaques terroristes aussi lâches que barbares. Notre corps médical civil a découvert sur le vif ce qu’était la médecine militaire: corps mutilés, amputations à la chaîne, hémorragies massives et traumas profonds.

Quand la guerre a éclaté en Syrie, je n’en mesurais pas les conséquences: déplacements massifs de population, nombre de morts, attaques chimiques et crise migratoire. Je connaissais mal le Moyen-Orient alors que c’est pourtant une région du monde qui m’attire beaucoup. Je me sentais parfaitement impuissante! A part écrire mon indignation devant l’attitude de l’Europe ayant payé la Turquie pour fermer la route terrestre et contenir l’entrée de familles fuyant la guerre, je ne pouvais rien faire. J’aurais voulu ouvrir notre foyer à des Syriens mais notre maison ne s’y prêtait pas. Dans une campagne votant très largement pour un parti d’extrême droite, une famille syrienne aurait été isolée. J’aurais manqué de disponibilité pour les aider. Dans mon entourage, la seule personne que je connais qui a vraiment fait quelque chose, c’est mon ancien directeur de thèse, Catherine Labrusse. Vivant seule dans un grand appartement à Paris, elle a accueilli une jeune femme syrienne. Elle a pu reprendre des études et continuer son existence loin des bombardements et de la folie d’un régime qui sortira sans doute renforcé de ces longues années de guerre. Mon correspondant très spécial au Bahreïn (il sillonne le Moyen-Orient depuis plus de vingt ans et m’évoque toujours un des personnages du « Bureau des légendes ») m’avait dit qu’un jour Bachar passerait pour un dictateur éclairé…Dans le documentaire « Pour Sama », un vieux monsieur disputant une partie d’échecs dans la rue prophétise: « Bachar a un long cou, un cou de girafe. C’est un signe de longévité ».

Samedi soir, à 21h30, Stéphane et moi prenons place dans la salle 8 de de l’unique cinéma de la ville. S’il avait été donné au Vox, cinéma d’arts et d’essai, de Château-Renard, c’est là que j’aurais voulu le voir. C’est dans ce petit cinéma évoquant « Cinéma Paradiso » que nous avons assisté en présence du réalisateur et de son ami à la projection de « Bel été » qui raconte le rôle joué par les membres de l’association « Lits solidaires » pour accueillir dans des familles des migrants mineurs que l’Aide sociale à l’enfance ne peut pas prendre en charge. C’est sans doute mieux pour ces jeunes qui ont déjà traversé tant d’horreurs pour arriver en vie chez nous. L’Aide sociale à l’enfance est une institution dangereuse et elle l’est depuis plusieurs décennies: violence au sein des foyers, maltraitance dans les familles d’accueil. Bien sûr, la majorité des acteurs accomplit un « travail » remarquable auprès des enfants. Une nouvelle fois ce qui manque, c’est l’argent et le personnel pour accompagner les enfants et les adultes qui font le choix de les aider à se réparer. Un de nos amis, Hervé, était éducateur dans un foyer dans l’Essonne. Il y travaillait la nuit. Quand il est devenu papa, il a changé de poste. L’accompagnement dans la durée de jeunes adolescents dont l’immense détresse se mesurait à l’aune de leur agressivité le débordait trop.

https://www.youtube.com/watch?v=-rYI3-Et7tU

Samedi, nous sommes une poignée de personnes dans la salle 8. Nous venons de dîner dans un petit restaurant très agréable. Nous savons que ce que nous allons voir va tant nous remuer que nous ne serons pas capables de digérer. Le documentaire a été réalisé par la Syrienne Waad-al-Kateab avec l’aide de l’Anglais Edward Watts.

A Cannes, en 2019, il s’est vu décerner le prix du meilleur documentaire. Il a reçu l’oeil d’or. Waad est née en 1991. En 2009, elle renonce à des études de journalisme pour venir étudier l’économie à Alep. Sa famille s’en inquiète. Alep est une ville magnifique comme Damas. On pouvait y voir danser les derviches tourneurs, déambuler dans les ruelles du marché couvert, admirer le soleil couchant depuis la citadelle, boire un café en observant la vie des Alépins. La vie y aurait été plus douce encore si le régime de Bachar El Assad n’était pas aussi dur pour tous ceux qui osent le critiquer. Au Maroc, je me rappelle que lors de mon premier voyage, on nous avait dit qu’il était impossible de dire du mal de Hassan II dont le portrait était accroché jusqu’au fin fond de le plus petite épicerie d’Erfoud, porte d’entrée du désert.

La Syrie est à l’image du Liban: une mosaïque d’ethnies pratiquant des religions différentes: les Arabes sunnites y sont les plus nombreux avec presque 73% de la population. Viennent ensuite les Arabes alaouites comme la famille de Bachar El Assad, les Kurdes sunnites, les Arabes druzes, les Chrétiens (Arabes de religion grecque orthodoxe comme le père fondateur du parti Baas, Michel Aflac, Arabes de religion catholique, Arméniens apostoliques, Jacobites, Maronites, Arméniens catholiques, protestants, nestoriens, syriaques, chaldéens et catholiques latins), les Arabes chiites ismaéliens, les Turkmènes-Turcomans sunnites, les Arabes chiites duodécimains, les Tcherkesses sunnites et les kurdophones yézidis. Il existait une minorité juive en Syrie. Les Syriens de confession juive se sont installés en Israël dans les années 1990. Aujourd’hui, on compte une petite minorité juive à Damas, Alep mais aussi dans le Golan occupé par Israël après la guerre des six jours.

Le 17 décembre 2010, la Tunisie connaît de très importantes manifestations. On parlera de la révolution du jasmin. En 2011, la Jordanie, l’Egypte, la Libye, le Yémen, Bahrein, le Maroc vivent à leur tour des moments forts de contestation populaire. Ben Ali s’enfuit. Hosni Moubarak est destitué. Kadhafi est arrêté et exécuté. On a pu lire que la France l’avait fait tuer pour laver son honneur bafoué quand, en visite officielle à Paris, il avait planté sa tente dans le parc de l’hôtel Marigny. Au printemps 2011, la Syrie, elle aussi, manifeste contre le pouvoir en place. En mars 2011, les services de sécurité syriens procède à l’arrestation d’un groupe d’adolescents qui avaient inscrit sur les murs de Deraa, dans le sud du pays, le slogan du printemps arabe: « Le peuple veut la chute du régime ». Le chef de la sécurité civile de la ville, un cousin de Bachar, aurait fait torturer les enfants et ensuite humilié un groupe de parents conduit par un chef puissant du clan des Abazeid venu demander que leurs enfants leur soient rendus. Dans une région fortement marquée par les traditions bédouines, la mort est préférable à l’humiliation.

Le 15 mars 2011, les premières manifestations éclatent dans la ville de Deraa et elles vont faire tache d’huile. Le peuple syrien n’en peut plus de subir depuis cinquante ans le règne sans partage du parti Baas mené au début par le père de Bachar, Haffez El Assad, un ancien colonel de l’armée de l’air, puis, à sa mort, par son fils. Le soutien sans réserve des Russes s’explique (et c’est mon correspondant qui me l’explique) par le fait que « le père de Bachar a noué avec eux des liens très étroits avec l’URSS et la Russie qui voyaient en lui un allié dans un Moyen-Orient dominé par des monarchies arabes et un état d’Israël soutenus par les Etats-Unis. » Les manifestations, au départ, se déroulent surtout dans les banlieues des grandes villes où se masse une population sans travail et dans les campagnes frappées par plusieurs années de sécheresse. Si la jeunesse a soif de liberté et de démocratie, la population veut faire entendre des revendications économiques et sociales. Par ailleurs et je cite encore mon correspondant « Absente du pouvoir et marginalisée, la majorité arabe sunnite (pas les Kurdes) a vu sa frustration canalisée par les frères musulmans dans les années 80 (révolte et massacre de Hama en 1982) puis par les fondamentalistes sunnites depuis les printemps arabes de 2011. »

Militante, Waad va faire la connaissance de Hamza al-Kateab, étudiant en médecine, qui devient son ami avant de la demander en mariage. Waad décide de filmer avec son téléphone portable la répression extrêmement violente des manifestations. Elle s’engage pleinement dans la révolution et fait part de ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Elle travaille pour des chaînes régionales avant d’être engagée, en 2016, par une chaîne d’information britannique, Channel 4 qui la charge de réaliser une série de reportages intitulée Inside Aleppo. En 2014, Waad met au monde sa première fille, Sama, ce qui signifie « ciel » en arabe. Dans ce documentaire bouleversant, on suit Waad, son mari et leurs proches dans un quotidien devenu de plus en plus difficile. A partir de 2013, le Hezbollah, l’Iran et la Russie, grand allié du régime de Bachar, interviennent et permettent aux forces loyalistes de reprendre le dessus sur les rebelles.

Pendant le siège d’Alep, les aviateurs russes visent les hôpitaux et les écoles. Il s’agit de faire un maximum de victimes chez les civils. Le régime de Bachar utilise des armes chimiques. Les réactions internationales sont molles. Dans Alep-Est, pendant les longs mois que durent le siège de la ville, il ne reste plus qu’un seul hôpital que le mari de Waad dirige avec un courage, une volonté et un sang-froid remarquables. Waad et Hamza voient des amis partir. La nourriture manque. L’hiver est très froid. Les enfants rient de moins en moins. Comme toujours, les mères sont admirables! Elles continuent de se débrouiller pour nourrir les leurs. Elles rient, chantent et content des histoires pour que les enfants arrivent à avoir encore un peu d’insouciance. Certaines scènes sont insoutenables. La mort des enfants suivie de la détresse des parents et des frères et soeurs est insupportable!

Pendant ce temps, nous, Européens, voyons arriver des centaines de réfugiés sur des bateaux de fortune. La Méditerranée devient un immense cimetière. Les pays d’Europe s’accrochent entre eux. Personne ne veut accueillir autant de réfugiés. Des associations caritatives déploient quelques bateaux pour se porter au secours des migrants. L’Italie et la Grèce sont les pays qui voient arriver par la mer les migrants syriens. La Turquie accueille 3,6 millions de Syriens quand le tout petit Liban dont la population s’élève à 4 millions d’habitants en accueille 1,6 millions. En Europe, c’est l’Allemagne qui a accueilli le plus grand nombre de Syriens. Ils sont presque 900 000. Cet accueil est venu fragiliser la chancelière qui, née en RDA d’un père pasteur, savait ce que fuir son pays signifiait.

Fin 2016, les Russes offrent aux derniers habitants d’Alep-Est d’être évacués. Habités par un très fort sentiment d’abandon, de luttes inutiles, pensant à tous leurs amis morts, Waad qui est enceinte de leur deuxième enfant et Hamza, quittent leur ville en voiture et parviennent à passer les check-point de nuit sur une route enneigée. Avant de partir, Waad va chercher dans le jardin de leur ancienne maison, un rosier. Ils vont demeurer un an en Turquie où Hamza a de la famille. Ensuite, l’Angleterre leur ayant reconnu le statut de réfugiés, ils s’y installent. Waad travaille pour Channel 4 et Hamza occupe certainement un poste de médecin hospitalier. Ils sont nombreux en France nos médecins à être nés en Syrie. Les vidéos que Waad postait quand elle était à Alep ont été récompensées par un Emmy Award et ont fait près de 500 millions de vues en ligne.

Waad explique que si elle a voulu faire ce documentaire c’est pour que sa petite fille comprenne les raisons qui justifiaient que son père et elle demeurent à Alep et l’entraînent dans un quotidien qu’aucun enfant ne devrait jamais connaître. Hamza dirigeait le dernier hôpital d’Alep-Est. Il ne pouvait pas abandonner les patients hospitalisés et les habitants blessés qui arrivaient tous les jours après de nouvelles attaques. Waad, de son côté, se devait de témoigner de la situation en Syrie. Dans le documentaire, Waad constate que sa petite fille ne pleure jamais. Certainement, Sama a-t-elle compris que c’est ce qu’on attendait d’elle: du courage! Sur un balcon, on voit un enfant craquer. Il a peur. Il en veut à ses amis qui sont partis avec leurs parents. Il se sent abandonné.

https://www.youtube.com/watch?v=yPPwQjow100

En mars 2019, selon l’observatoire syrien, la guerre avait fait 370 000 morts dont 21 000 enfants et 13 000 femmes. Chez les combattants de l’armée loyaliste et les milices qui lui sont rattachées, on dénombrait 125 000 morts. Parmi les djihadistes, on enregistrait près de 66 000 morts parmi lesquels des Européens radicalisés. Les combattants kurdes ( de plus en plus de femmes avec la durée de la guerre) et d’autres forces rebelles ont perdu 67 000 personnes. 2,9 millions de Syriens souffrent d’une invalidité permanente. 13 millions de Syriens ont été déplacés. La guerre continue. Les Kurdes ont été lâchés par toute la communauté internationale et l’armée turque s’applique désormais à les repousser faisant voler en éclats le rêve d’un Rojava autonome.

Alors que le 15 septembre 2011, les principales figurent de l’opposition syrienne se réunissaient à Istanbul et annonçaient le 1er octobre, la création d’une autorité politique transitoire pour diriger la Syrie de l’après-Assad, baptisé le Conseil national syrien (CNS), cette organisation n’a pas su maintenir l’unité de l’opposition. Les différentes factions rebelles luttant contre l’armée loyaliste faisaient naturellement allégeance aux pays qui les soutenaient militairement et financièrement comme l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie. Or, ces pays n’avaient pas les mêmes intérêts et le même agenda politique au même moment. Les relations de Riyad avec Doha et Istanbul se sont progressivement détériorées et cela a nui à la dimension fédératrice du Conseil national syrien.

Souvent pour comprendre un conflit, il convient de faire des voyages dans le passé. En 1916, les Anglais et les Français, dans le plus grand secret (il faut absolument tenir à la Russie qui va basculer entre les mains des Bolchéviques qui pourrait venir réclamer une part du gâteau), alors que la première guerre mondiale faisait rage, signaient les accords Sykes-Picot organisant le dépeçage de l’Empire Ottoman. On sait que nos grandes puissances s’y entendent très mal en découpage du monde. Le traité de Versailles et la manière dont ont été repensés les états africains ou les Indes après la décolonisation en sont de tristes exemples. Ces découpages arbitraires se font sans tenir compte des ethnies et de leur capacité à vivre ou non en bonne intelligence. Par ailleurs, La France et l’Angleterre savent employer une ethnie minoritaire dont elle place les membres aux postes clés pour continuer à tirer les ficelles quand elles sont censées avoir laissé aux pays leur autonomie. Oubliant les promesses faites aux Arabes, les deux grandes puissances coloniales découpent le Moyen-Orient en deux zones: une zone rouge formée par la Mésopotamie revient à la Grande-Bretagne tandis que la zone bleue comprenant le Mont-Liban, la côte syrienne et la Cilicie est attribuée à la France. Jérusalem étant une ville sainte pour les trois religions monothéistes, la Palestine est internationalisée. Manque de chance pour la France, c’est dans la partie dominée par la Grande-Bretagne que seront découverts les premiers gisements de pétrole!

Bien que les lignes tracées par les accords Sykes-Picot n’aient absolument pas tenu compte des diversités ethniques et religieuses des différentes populations, elles ont tenu dans le temps car le principe d’une unité arabe ne parvenait pas à se développer. En juin 2014, le mur de sable qui marquait la frontière des accords Sykes-Picot entre la Syrie et l’Irak a été détruit par le groupe Etat islamique. Par ce signe fort, les djihadistes du groupe EI affichent leur volonté d’établir un califat au Moyen-Orient et d’éradiquer le complot occidental. La plupart des dirigeants de l’EI sont d’anciens cadres de l’Irak de Saddam Hussein que la politique américaine, en 2003, a précipités dans les bras des extrémistes. Saddam Hussein était le président du parti Baas irakien, un parti dont le but premier était l’unification des différents Etats arabes en une seule et grande nation.

Les pays ayant eu depuis longtemps une forte influence au Moyen-Orient n’ont jamais eu intérêt à ce que les Etats arabes parviennent à jeter les bases d’une grande nation. Avec la guerre en Syrie, la Russie a pu tester les nouvelles armes dont a été dotée son armée en pleine modernisation. Par ailleurs, Poutine cherche à jeter les bases d’un monde multipolaire.

Comment la situation va-t-elle évoluer en Syrie? Je laisse mon correspondant y répondre en le citant « Vue les atrocités commises de toutes parts une réconciliation entre les différentes communautés risque de prendre du temps et devra être imposée par des forces extérieures telles que la Russie, la Turquie, l’Iran et les monarchies du Golfe (à la manière des accords de Taef qui ont mis fin à la guerre civile libanaise en 1989/90). L’Union Européenne et les Etats-Unis n’ont plus aucune influence dans ce conflit et n’ont ni la volonté politique ni les moyens économiques de contribuer à la reconstruction de la Syrie. Seules la Chine et les pétro-monarchies du Golfe ont les moyens suffisants ».

Samedi soir, quand nous rentrons à la maison, je renoue avec une habitude passée. Je vais m’assoir à côté de chacun de mes enfants. Tous dorment, même Victoire notre noctambule. J’écoute leur respiration paisible. Du bout de mes doigts, j’effleure leur joue. Comme nous avons de la chance! Aucun bombardement ne viendra les surprendre dans leur sommeil; la guerre ne leur ravira pas leur papa, des membres de leur famille, des amis, ne les tiendra pas éloignés de l’école, de la culture. Une bombe ne viendra pas raser la maison dans laquelle ils habitent, le collège ou le lycée où ils étudient, l’hôpital où ils peuvent être soignés. C’est à tout cela que je pensais quand ils étaient plus jeunes. Maintenant, en dépit de ma nature d’incorrigible optimiste, l’avenir me semble compliqué. Je ne pourrais pas leur jurer qu’ils ne connaîtront pas la guerre, qu’ils n’auront pas peur pour leurs enfants, qu’ils seront toujours en mesure de satisfaire leurs besoins premiers. La terre va à vau l’eau. Les ressources diminuent. L’eau manque. Aux épisodes de canicule accompagnés d’incendies apocalyptiques suivent des pluies diluviennes. L’air est de plus en plus pollué. Les glaciers fondent. La neige disparaît. Les océans sont des poubelles, l’espace un dépotoir. Les Européens ont été les grands découvreurs et colonisateurs de la terre. Les Américains et les Russes, eux, se sont voulus les découvreurs et les colonisateurs de l’espace. Maintenant que la terre est menacée d’extinction, il convient de se délocaliser ailleurs!

Ma génération n’a pas connu la guerre mais elle a connu le virus du sida, le chômage longue durée, la crise financière, économique et sociale de 2008 (un nouveau tsunami se prépare) et, désormais, elle doit lutter pied à pied pour préserver la planète. Il est plus que probable que nos enfants vivent non plus une crise migratoire en lien avec des pays en guerre ou dirigés par des dictateurs sanguinaires mais une crise migratoire liée aux changements climatiques.

Tandis que je suis assise près du lit de Louis et que ma main passe dans ses cheveux, je repense à tous ces enfants tués en Syrie. Je me dis que, sans doute, en ce moment, des bateaux de fortune transportent des familles apeurées vers un avenir plus qu’incertain. Sur l’île de Lesbos, des enfants privés de tout se donnent la mort.

J’achève cette chronique en adressant des remerciements appuyés à Stéphane dont l’une des immenses qualités est de savoir trouver la juste distance qui m’a éclairée avec des vidéos et des cartes et à mon correspondant spécial depuis le Moyen-Orient (je suis obligée de taire son nom…il est vraiment très spécial)  pour son analyse aussi dense que précise. Dans la vie, c’est toujours à plusieurs qu’on est meilleur comme le dit si bien Paul Fort dans ce poème que nous apprenions à l’école.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

Si tous les gars du monde

Si toutes les filles du monde voulaient s’ donner la main

Tout autour de la mer, elles pourraient faire une ronde

Si tous les gars du monde voulaient bien êtr’ marins

Ils f’raient avec leurs barques un joli pont sur l’onde

Alors on pourrait faire une ronde autour du monde

Si tous les gars du monde voulaient s’ donner la main

Si tous les gars du monde

Décidaient d’être copains

Et partageaient un beau matin

Leurs espoirs et leurs chagrins

Si tous les gars du monde

Devenaient de bons copains

Et marchaient la main dans la main

Le bonheur serait pour demain

Ne parle pas de différence

Ne dites pas qu’il est trop blond

Ou qu’il est noir comme du charbon

Ni même qu’il n’est pas né en France

Aimez-les n’importe comment

Même si leur gueule doit vous surprendre

L’amour c’est comme au régiment

Il n’faut pas chercher à comprendre

J’ai mes ennuis et vous les vôtres

Mais moi je compte sur les gars

Les copains qu’on ne connaît pas

Peuvent nous consoler des autres

Le bonheur c’est une habitude

Avec deux cent millions d’amis

On ne craint pas la solitude…

2 commentaires sur “Chronique syrienne à partir du documentaire « Pour Sama »

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