Chronique d’un couple et d’un berger australien en chemin

Tant de fois, dans mes chroniques, j’ai partagé avec vous mon goût pour la marche dans la durée, la seule qui permet vraiment de renouer avec le temps dans sa véritable densité et de se retrouver soi-même nettoyé de tout le trop-plein d’une société moderne vouée aux excès.

Sans notre trio réparti entre Vendée, Gard et Ain, nous mettons à profit le long week-end du 14 juillet pour aller marcher, non pas dans la durée mais à la journée et en cherchant à limiter les déplacements en voiture. Une des choses qui me pèse le plus dans cette vie à la campagne, c’est cette obligation d’utiliser sa voiture tous les jours, plusieurs fois par jour. J’ai passé mon permis de conduire sur le tard, dans le Gard, quand nous sommes rentrés de notre tour du monde. Pendant mes douze années à Paris, je n’avais jamais pensé  à apprendre à conduire. Dans tous les cas, je n’aurais pas eu les moyens d’avoir une voiture et n’en avais absolument pas besoin. J’ai la chance que la nature m’ait dotée d’un corps robuste (comme une armoire lorraine), d’un dos très solide (comme celui d’un sherpa), de jambes aux muscles denses (comme un cheval de trait) et d’une volonté farouche (comme celle d’un paysan bas-breton) car quand le corps a atteint ses limites, c’est la tête qui prend les rênes. C’est elle qui commande au dépassement de soi. Je n’exclus d’ailleurs pas la possibilité que ce soit sur ces critères que mon futur mari m’ait choisie, lui qui caressait le rêve depuis ses vingt-ans, depuis un voyage au Vietnam avec un entomologiste, d’entreprendre un tour du monde.  Mais, avant, il lui fallait trouver celle qui pourrait non seulement l’accompagner dans ce projet sportif mais aussi porter un lourd sac à dos ou des sacoches sur son vélo!

Après ce détours, revenons à la voiture. Je ne passais pas mon permis de conduire à Paris et aimais marcher de longues heures dès que j’en avais le loisir. J’ai aussi toujours aimé le métro, moins le RER et pas du tout les autobus. Quand j’habitais Paris, les autobus n’avaient pas encore de voie réservée et ils étaient souvent en retard. Ensuite, ils ont eu des corps articulés dont les ondulations me donnaient la nausée.  J’ai toujours aimé le métro pour sa rapidité et sa diversité. Prendre le métro, c’est voyager dans l’histoire. C’est s’offrir un tour du monde.

Au fait de n’avoir ni les moyens ni le besoin d’une voiture venait s’ajouter ma peur de conduire transmise par notre père et que ma soeur n’a jamais ressentie, elle qui est capable de conduire n’importe quel type de véhicule avec, aux pieds, des chaussures à talons aiguilles ou des moon boots. Comme pour tout ce qu’il entreprenait, notre père avait décroché son permis de conduire du premier coup. Cependant, il n’a jamais vraiment eu à dépasser sa peur de la conduite. Ayant toujours eu un chauffeur ou une femme qui adorait conduire, cela ne l’a pas pénalisé dans sa vie. Contrairement à lui, je n’ai pas eu d’autre choix que de surmonter mon angoisse de mort ressentie à chaque fois que je prenais le volant. A ce jour, elle n’a pas tout à fait disparu mais il m’arrive d’éprouver une vraie joie à rouler sur les petites routes de campagne. Ce n’est que dans l’action que l’angoisse est vaincue. Depuis peu, je viens en aide à une patiente qui a à son actif une histoire d’accidents de la route et a, légitimement, développé une angoisse terrible quand il s’agit de revenir la nuit chez elle après sa journée de travail en empruntant une route très fréquentée par les animaux sauvages.

Pour les trois jours du week-end du 14 juillet, nous avons pensé aller camper dans le Morvan mais c’était loin. Nous avons aussi envisagé la boucle des vingt-cinq ou trente-cinq bosses dans la forêt de Fontainebleau mais notre Australien s’est blessé à l’intérieur d’un coussinet et il ne peut pas marcher de trop longues heures. Alors, notre première marche, le vendredi, avait pour point de départ le petit village de Conflans-sur-Loing, avec ses fenêtres fleuries, son auberge au chef asiatique et la tombe du Général Massu, gloire locale sur laquelle je préfère ne pas m’étendre et que nos parents ont connu à Metz. La deuxième marche partait de Ferrières-en-Gâtinais où j’avais la surprise de découvrir le Père Stanislas accueillant un couple de futurs mariés et leurs proches devant l’église. Notre marche du dimanche démarrait à Griselles, depuis la place de Verdun. De notre boucle de vingt kilomètres au départ de Ferrières, je conserve le souvenir odorant du lisier étendu sur les champs d’orge fraîchement moissonnées, la traversée d’un hameau si joli qu’il aurait pu ravir les yeux d’un peintre impressionniste, la carcasse rouillée d’une fourgonnette au milieu d’une forêt, une famille hissant à la fourche des ballots de paille rectangulaires dans une remorque et un café à la terrasse duquel deux couples échangeaient avec l’élégance de Mado la Niçoise!

Avec les enfants et Fantôme, nous avions déjà fait la ballade qui part de Conflans et longe une partie du canal de Briard, un étang privé où pêchent quelques enfants du marais avant de repartir à travers champs et bois. Dans l’une des montées, je me rappelais les phrases de Louis, fatigué: « Je n’en peux plus! », « On n’arrive quand? », « J’en ai vraiment assez. Je m’assieds et je ne bouge plus ». Et, en effet, il s’était assis en tailleur dans l’herbe et refusait catégoriquement de mettre un pied devant l’autre. Je crois alors que tous, à tour de rôle, nous l’avions porté sur notre dos, ses soeurs, son papa et moi.

C’est la marche depuis Griselles qui nous a le plus plu. Elle nous a permis de découvrir des moulins et des châteaux. Nous marchions le plus souvent à l’ombre des arbres et la Cléry offrait des haltes rafraichissantes en plusieurs points. Quelle joie d’entrer les pieds nus dans l’eau, de voir les rayons du soleil jeter des taches dorées à la surface de la rivière, les branches des arbres onduler, le ballet des libellules et de pique-niquer assis sur un pont!

En trois jour, j’ai appris qu’une légende raconte que Pépin le Bref aurait réussi à terrasser un taureau et un lion (que faisait-il là?) à Ferrières-en-Gâtinais, que le pont du Gril enjambant la Cléry a été édifié au douzième siècle par les moines de Ferrières et j’ai découvert le second arbre remarquable du Loiret, un chêne vieux de quatre cent ans situé à l’entrée d’une ferme au lieu-dit les Pitons, à la Chapelle-Saint Sépulcre.

Ma mère sachant mon attachement pour la nature m’a laissé avant de partir pour le Gard un livre écrit par un forestier allemand Peter Wohlleben intitulé  « la vie secrète des arbres ». Sans les enfants, j’ai beaucoup plus de temps pour lire et dès que je peux, étendue dans le hamac rapporté de Guyane par un ami de mes parents, je me plonge dans la lecture de cet ouvrage de nature à révolutionner le regard qu’on porte que les géants de nos forêts. Au fil des pages, l’auteur nous apprend que les arbres communiquent entre eux, pleurent, savent se prémunir des attaques des nuisibles, prennent soin de leurs petits, accompagnent les malades, abritent la vie et que leurs racines peuvent perdurer plus de dix-mille ans. Dans la province suédoise de Dalécarlie, la datation d’un épicéa au carbone 14 a révélé l’âge à peine croyable de 9550 ans! Malheureusement, notre système de gestion des forêts nous conduit, le plus souvent, à les abattre quand ils sont tout juste sortis de l’adolescence.

Puisque je n’aurai plus la vie citadine à laquelle j’aspirais et que, bientôt, nous serons privés de médecins généralistes, j’ai décidé d’étudier la nature qui m’entoure et d’apprendre les vertus des plantes. A Noël, ma mère m’a offert, à ma demande, un livre passionnant sur Hildegarde de Bingen, mystique et sainte du XIIe siècle. J’avais découvert son existence alors qu’avec les enfants, à la cité des sciences, nous visitions une exposition consacrée au Moyen-Age. Dans ce livre, l’auteur, Ellen Breidl, raconte non seulement la vie menée par Hildegarde, ses visions mais elle nous fait découvrir les soixante-dix plantes les plus importantes employées par la sainte pour guérir les maux de l’âme et du corps. Ainsi la sauge sera-t-elle utilisé en cas de perte d’appétit, la cannelle pour le chagrin, le persil pour les calculs, la vigne pour la colère, la châtaigne pour la migraine ou encore l’ortie pour les troubles de la mémoire. Herboriste et sophrologue en sabots, cela pourrait faire un mariage heureux!

Aujourd’hui, je porte des sabots rouges. Les champs d’orge et de colza du plateau ont tous été moissonnés. Le ciel est chargé de gros nuages noirs. Un vent fort secoue les feuilles du lierre qui monte jusque sur la fenêtre de mon bureau. L’air est lourd. Fantôme a toujours mal à la patte. Notre seconde fille a passé quelques heures à la maison entre mardi soir et mercredi. Elle est rentrée de sa colonie en Vendée avec une mine éblouissante, des étoiles dans les yeux, des reflets dorés dans les cheveux, un bout de peau pelée sur l’aile du nez, du sable au fond de la valise et des souvenirs pour toute la famille. Elle avait une toute petite voix pour me raconter que la veille de leur retour, le jour de la boum, un de ses nouveaux camarades avait appris la mort de son papa emporté par un cancer des poumons.

Le lendemain matin, sur une aire d’autoroute, elle retrouvait sa soeur aînée, Céleste, et sa mamie. Céleste ne nous avait pas vus depuis plus de quinze jours mais elle ne semblait pas spécialement émue de nous retrouver. Les deux soeurs sont pudiques. Elles ne font pas dans les grandes démonstrations d’affection. Seul, Louis, au téléphone, nous dit qu’on lui manque et, quand sa soeur l’a appelé, dans le Gard, pour lui raconter son séjour et prendre de ses nouvelles, il lui a dit combien il était heureux de l’entendre et combien elle lui manquait. Victoire en a été très touchée.

Maintenant, nous avons deux filles dans l’Ain avec leur mamie et un fils dans le Gard avec sa grand-mère, sa tante, son cousin Valentin et sa toute petite cousine Charlotte. Lundi, nous retrouverons Louis et, le 31, nous irons accueillir les filles sur le quai de la gare de Lyon. Fantôme nous attendra bien sagement à Sceaux. Le soir, la sainte famille sera reconstituée pour trois semaines de vacances en Haute-Corse. Ce jour-là, Stéphane et moi fêteront nos dix-neuf ans de mariage. J’ai vu qu’il s’agissait des noces de cretonne, nom très vilain qui désigne « un tissu assez fort, constitué de fils de chanvre, de lin ou de coton sur une armure de toile et dont la contexture est carrée. Elle est principalement employée pour l’ameublement, le linge de maison ». Un grand merci à Wikipedia pour cette définition pleine de poésie! Dix-neuf ans, on est encore bien loin des cinquante-quatre années de mariage qu’ont fêté mon oncle et ma tante la semaine dernière et qu’auraient aussi célébré nos parents si notre père n’était pas mort voici dix-neuf ans…Noces de zibeline…La zibeline, tellement plus doux que la cretonne!

PS: le chêne remarquable situé à la Chapelle-Saint Sépulcre

 

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