Chronique déchaînée

Depuis deux nuits, le vent et la pluie se déchaînent au-dessus du plateau. De nombreuses branches gisent sur la route. Comme toujours, dans ces circonstances, j’ai l’impression d’être une gardienne de phare en mer d’Iroise ou une navigatrice passant le Cap-Horn. Les champs sont détrempés et les sentiers glissants. Lorsque nous revenons de nos promenades, la belle collerette blanche de Fantôme est marron. Le bas de la maison est boueux. La serpillère a rarement le temps de sécher étendue de tout son long au-dessus du seau. Ce temps triste et humide accentue le sentiment que nous avons d’avancer à tâtons dans un tunnel immense sans parvenir à percevoir un halo de lumière qui serait la preuve que nous allons gagner la sortie.

On sent bien que la menace d’un nouveau confinement plane au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès. Hier, alors que nous étions couchés, Céleste est venue nous trouver pour nous annoncer la suppression des écrits dans les matières de spécialités en mars au profit d’un contrôle continu. Les élèves de terminale ne passeront plus en juin que l’écrit de philosophie et le grand oral, né de la réforme du bac qu’ils essuient avec leurs professeurs. Les élèves et leurs professeurs sont nerveux et angoissés. Les professeurs notent sèchement. Ils ne souhaitent pas être accusés de « brader » ce bac nouvelle version. Les élèves de seconde peinent à s’accrocher dans leur année. Et que dire, de tous ces malheureux étudiants, éloignés des amphis et, parfois aussi, des salles de TD ou des laboratoires, contraints à vivre isolés dans des espaces similaires à ceux des cellules des moines et ayant perdu les petits boulots qui leur permettaient de vivre décemment?

Ce matin, dans un supermarché à taille encore humaine, une caissière que j’aime beaucoup me confiait que son dernier enfant, âgé de 22 ans, étudiant en MASTER à Tours, n’arrivait pas à trouver de stage mais qu’il avait la chance d’avoir conservé un petit travail deux jours par semaine. Si tous ses cours étaient en distantiel, au moins, il retrouvait un semblant de vie normale quand il allait travailler. Cette maman dont j’apprécie la douceur et la finesse me disait appeler son fils très souvent pour s’assurer que, moralement, il tenait le coup.

Ce matin encore, un réseau social m’a adressé une photo-souvenir. Elle représentait Céleste, en 2016, en Auvergne, assise dans la neige et caressant un chien de traineau. Dans la vie « normale », tous les ans, des équipes de professeurs dynamiques proposaient à leurs élèves des voyages linguistiques ou des séjours au ski. Plus aucun projet n’est adopté. Même pas une sortie à la journée ou la visite d’un musée.

J’espère de toutes mes forces que les élèves ne vont pas être une nouvelle fois éloignés dans la durée de l’école car, alors, ce serait le coup de grâce. On sait les conséquences dramatiques du premier confinement sur les enfants et les adolescents tant du point de vue de l’équilibre psychologique que du niveau scolaire. En cette période si troublée et si difficile, il est prioritaire de conserver aux élèves le cadre fort et la protection que l’école apporte.

La plateforme de Parcoursup a ouvert mercredi. Les jeunes doivent y entrer des voeux en vue de leurs études futures. Ils ne sont pas nombreux celles et ceux qui ont un projet d’avenir professionnel défini et le dossier qui leur permettra de le réaliser. Pas facile pour des parents d’accompagner les enfants sur ce chemin si essentiel!

Le manque de lumière, la perspective d’un nouveau confinement et l’absence de perspectives sont assez déprimants. Souvent, je me demande (et je ne suis pas la seule) comment sera la vie après cette pandémie? Que restera-t-il de la société que nous avons connue? Quelles conséquences cela produira-t-il sur notre jeunesse? Basculera-t-elle dans l’hédonisme le plus total, conservera-t-elle comme stigmate une sorte d’angoisse existentielle et un besoin fort de se rassurer par la recherche d’un confort matériel important ou alors évoluera-t-elle vers une philosophie épicurienne reposant sur la quête d’un bonheur intérieur, une maîtrise de ses passions et de ses besoins de consommer?

En arts plastiques, le professeur a demandé à ses élèves de réfléchir sur l’art dans l’espace public. Ainsi, le Grand Palais a décidé d’exposer dans 13 stations de métro et gares du réseau RATP 38 des photos de son exposition « Noir et Blanc ». Comme cela doit être amusant d’entreprendre une promenade sous les entrailles de Paris pour y découvrir de magnifiques photos! C’est possible jusqu’au 28 février. Dans un même esprit de partage et de gratuité, le Louvre rend accessible du 22 au 31 janvier les films qui auraient dû être projetés au musée dans le cadre des journées internationales du film sur l’art.

La pluie a cessé. Pour le déjeuner, Victoire qui avait ses cours à la maison cette semaine nous a préparés pour le déjeuner des rouleaux de printemps. C’était une première et nous nous sommes régalés! La semaine prochaine, les deux filles seront ensemble au lycée. Je n’ai vu Muguette que lundi en fin d’après-midi mais je savais qu’elle ne trouverait pas le temps long. Une de ses voisines proches était en vacances et, toutes deux avaient des projets. La pluie tombait si fort ce matin que j’ai imaginé Muguette rentrant chez elle trempée après avoir nourri son arche de Noé.

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

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