Chronique depuis un plateau printanier

Voici un peu plus de deux ans, avant que ne soit décidé le confinement de tout un pan de la population, j’étais comme tant d’autres: j’avais voulu croire les beaux discours rassurants de l’OMS voyant dans ce virus venu de Chine une simple grippette. Plus tard, ce seraient encore les experts de l’OMS qui nous diraient que les masques ne servaient à rien…Pourtant, nous avions l’exemple de la Chine qui verrouillait ses villes. Dans notre entourage proche, la seule qui prit la chose très au sérieux et refusa de nous embrasser à notre retour de Séville fut notre mère. Comme elle avait raison! Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Il en va de même avec la guerre provoquée par Poutine en Ukraine. On aurait tous pu anticiper ce conflit mais qui avait envie de se fâcher avec Poutine, de déranger des accords commerciaux juteux, d’empêcher les entreprises européennes de grossir en Russie et, aussi, de se priver du gaz russe? Personne! Pourtant, il y avait eu l’annexion de la Crimée comme en son temps Hitler avait envahi les Sudètes mais pourquoi s’en mêler? Hitler et Poutine ne faisaient que revendiquer une partie de leur territoire…

Les choses ne se passent pas exactement comme Poutine l’avait imaginé. L’Ukraine offre une résistance que l’armé d’Hitler n’a pas rencontré en Pologne ou en Autriche. La générosité spontanée dont font preuve les Européens vis à vis des Ukrainiens est la preuve que les peuples ont conservé les traces encore vivaces de la vie derrière le rideau de fer: absence de liberté, propagande, délation, emprisonnements arbitraires. Le modèle démocratique que je me garderai bien de parer de toutes les vertus est passé par là.

Les Ukrainiens (surtout les Ukrainiennes et leurs enfants ou petits-enfants) affluent. Mais, c’est une très grande majorité de la population qui reste dans son pays. En Europe, on ressent déjà très fortement les effets des mesures de rétorsion prises contre la Russie. Le prix du pétrole et du gaz s’envole. Faire le plein devient difficile. Or, beaucoup d’Européens sont contraints d’effectuer tous les jours de longs trajets pour se rendre à leur travail. La hausse du prix du carburant se répercute sur tous les acteurs économiques. Les petites avancées réalisées pour promouvoir une approche biologique de la culture vont être balayées pour produire plus. La stratégie de « la ferme à la fourchette » adoptée par le Parlement européen l’an passé avait notamment pour objectif de diminuer de 50% d’ici 2030 le recours aux pesticides et d’atteindre un quart des surfaces cultivées en bio. Désormais, les Etats membres espèrent notamment amortir l’augmentation inédite des coûts agricoles engendrée par l’inflation galopante des prix des céréales et des oléagineux, utilisés pour l’alimentation animale, des carburants et des engrais. Ils répètent aussi leur souhait que l’Europe puisse jouer un rôle face aux famines redoutées dans les pays important leur nourriture qui, en particulier dans les régions les plus pauvres, risquent de ne plus être en mesure d’en payer le prix. En Afrique, notamment, des pays comme l’Egypte, le Soudan, la Libye, le Liban, la République démocratique du Congo, le Yemen dépendent à 50% du blé ukrainien ou russe.

Tout ce qui se passe aux portes de l’Europe, les arrivées de réfugiés, la hausse du prix du pétrole, du gaz ou du blé, rien n’empêche le printemps d’exploser dans un feu d’artifice de jaune, blanc, rose ou vert tendre. La pluie de sable a rougi les pétales des magnolias. Je n’ai jamais vu autant de violettes que cette année. Hier, j’ai décapoté la petite Fiat pour la première fois. Tout à l’heure, j’ai pris mon premier déjeuner sur la terrasse. Tandis que j’écris ces lignes, Victoire est entrain de passer son oral blanc de français et elle espérait être interrogée sur le roman qu’elle a choisi: « Eldorado » de Laurent Gaudé.

A Paris, Céleste profite à plein de sa vie d’étudiante et je m’en réjouis pour elle. Même si la dépression chronique de notre père et les problèmes d’argent de nos parents pesaient sur moi,  j’ai eu une vraie vie d’étudiante. ces années sont essentielles à la construction. Céleste m’a raconté la merveilleuse soirée qu’elle avait passée mardi soir. Avec son amie Julia, elles sont allées voir Clément, le copain de Julia, qui jouait pour la dernière fois dans « Elle rêvait d’une ferme en Afrique » au théâtre de l’Essaïon. La pièce a été écrite par René Fix et mise en scène par Claudia Morin. Cette dernière incarne Karen Blixen âgée quand sa fille, Julie Timmerman, joue Karen Blixen jeune. La pièce se déroule en 1959 dans  trois lieux distincts : le restaurant new-yorkais, la ferme africaine et la scène vide d’un théâtre de Broadway. A la table du restaurant, Karen Blixen attend le producteur américain qui souhaite réaliser un film à partir de son œuvre « La Ferme africaine » et Shelley, la jeune actrice qui doit interpréter le rôle de Karen.

Après la représentation, toute la troupe est allée souper au « Chat Zen » où elle a ses habitudes. Céleste a adoré l’ambiance qui régnait dans le restaurant au 20 de la rue du Renard. Dans une ambiance intergénérationnelle, tout le monde s’embrassait, se tutoyait, buvait, commandait qui une blanquette de veau, qui un boeuf bourguignon et, bien sûr, parlait théâtre car Claudia Morin du haut de ses 83 ans est une enfant de la balle sortie du Conservatoire, qui a créé et co-dirigé avec son compagnon François Timmerman la Compagnie Morin-Timmerman. En 1990, elle fonde le théâtre Cassiopée où elle met en scène et joue des pièces de Goldoni, Marivaux, O’Neill, Giraudoux, René Fix et Pinter.

Ce récit de Céleste m’a rappelé l’ambiance si joyeuse dans le restaurant de la place Saint Georges à Paris après avoir assisté au showcase d’une pièce co-écrite et co-mise en scène par ma soeur et son ami Jean-Luc Berthin à partir de l’Avare « Fric, mensonges et vidéos ». Un très beau souvenir!

https://www.dailymotion.com/video/xi7ta3

Ce matin, après que Victoire et Louis soient partis l’une au lycée et l’autre au collège, Fantôme et moi avons quitté la maison. En arrivant à hauteur de la Bien-Assise, j’ai vu Christophe, notre maire et l’un des employés des services techniques. Ils regardaient la mare près de laquelle était étendu un jeune sanglier. La pauvre bête avait été percutée par une voiture et elle avait réussi à venir trouver un refuge chez Aline et Christophe. Certainement, elle savait y trouver un point d’eau. Christophe m’a dit que le sanglier était trop blessé pour qu’on puisse faire quoi que ce soit. Il frissonnait, signe qu’il avait de la fièvre. Sans Fantôme, j’aurais pu aller le voir, m’assoir dans l’herbe à ses côtés, poser sa tête sur mes genoux et lui parler. J’ai senti monter en moi une peine infinie charriant les horreurs de la guerre, la souffrance des enfants et encore bien d’autres choses. Ce matin, alors que je travaillais, je redoutais d’entendre le coup de feu qui abrégerait les souffrances de ce pauvre sanglier. On prétend que les sangliers pullulent mais en seize ans, je n’ai vu qu’une seule fois une laie traverser la route avec ses marcassins. Ici, les conducteurs roulent bien trop vite. Quand je traverse des bois, je ralentis toujours car il m’est souvent arrivé de voir surgir un chevreuil devant la voiture.

Voici deux ans, nous étions au début du confinement. Souvent, les enfants me disent être nostalgiques de cette époque et avoir envie de revivre cette semaine où dés qu’on a été autorisés à circuler librement ma soeur et ses trois enfants sont venus passer à la maison. Chaque cousin, sauf Charlotte, suivait ses cours dans une pièce de la maison et dés qu’ils se retrouvaient c’était pour faire du vélo, de la gym, aller marcher la nuit autour du plateau et dormir dans les tentes. Voici ce que je postais une semaine après le début du confinement: « Au jour 7 du confinement, Fantôme et moi avons été marcher une bonne heure autour du plateau. Nous n’avons vu qu’un chevreuil et les agneaux bêlant sous les pommiers de la ferme de Catherine et Philippe. Le soleil réchauffait l’air. Le givre fondait. L’herbe était d’un vert presque surnaturel. Alors que le confinement rétracte notre univers aux dimensions d’une chambre de bonne, d’un abri de fortune, d’un studio, d’un appartement avec ou sans terrasse, d’une maison avec ou sans jardin, il est important de garder des fenêtres ouvertes dans son esprit. C’est ce que je fais habituellement avec mes patients. Comment ouvrir des fenêtres? Par les livres, les films, les documentaires et en songeant à ce qu’on sera heureux de faire quand la crise sanitaire sera derrière nous. Tout en étant sommé de vivre vraiment un jour après l’autre, nous avons aussi besoin de pouvoir penser à des projets futurs qui nous rendront heureux. Depuis mon plateau isolé et isolant, j’ai entrepris un nombre incroyable de voyages immobiles. Dés demain, je partagerai avec vous des nouvelles que j’ai écrites, des récits autour de notre « tour du monde » et ces voyages que j’ai entrepris sans quitter Ar-Men. J’ai ainsi beaucoup voyagé dans le sillage imaginaire de Sylvain Tesson. Le mouvement, l’art et le rêve sont essentiels à notre équilibre. »

Les céréales poussent sur le plateau. Je me demande si les agriculteurs qui étaient passés en bio vont retourner à l’agriculture raisonnée dont on sait qu’elle n’est pas encore assez raisonnable. J’ai voulu aller voir Muguette. Les portes de la maison étaient grandes ouvertes mais le portail était fermé.

A bientôt!

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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