Chronique d’un début de semaine dans un mois d’octobre estival

Et nous voici tous relancés dans une nouvelle semaine. Pour les élèves, les vacances de la Toussaint approchent. Nos bottes et nos cirés piaffent d’impatience! Ils ressentent l’appel de l’océan, l’appel du Finistère, bout de la terre et terre de tous les possibles. Je me demande si notre lycéenne aura beaucoup de travail. Je me demande aussi quand leur professeur de français leur « commandera » leur toute première dissertation. Hier, en fin de journée, nous avons révisé ensemble des formules de style portant des noms terriblement barbares: « chiasme » comme « miasme », « oxymore »  comme « oxyure », « litote » comme « tototte » et « hyperbole » comme…Je ne sais pas. Pas de bol, je sèche sur cette hyperbole et « métropole » ou « mégapole » ne sont pas drôles!

J’estime avoir eu beaucoup de chance. En première, j’ai eu un remarquable professeur de français et, quand on est dans une filière littéraire qui se transformera en section philosophique l’année de la terminale, il est préférable d’avoir un excellent professeur. Cette femme venait de perdre son mari, emporté par un cancer foudroyant lequel avait récidivé après qu’il ait subi un choc terrible.  Alors qu’un incendie d’une rare violence, attisé par le vent d’Autan, menaçait une partie de la Montagne Noire, il avait craint que le feu n’emporte son exploitation agricole et tous ses moutons.  Quand notre père avait pris ses fonctions dans le Tarn, on lui avait dit que le vent d’Autan, le vent qui vient de la haute mer rendait fou. Nous étions habitués au Mistral qui s’engouffre le long du couloir rhodanien mais le vent d’Autan est un vent particulièrement éprouvant. Notre père était resté au feu avec les pompiers pendant toute la durée de l’incendie. Notre père était un homme qui savait prendre des décisions et il estimait, à juste titre, que les décisions se prennent sur le terrain et non dans des cabinets ministériels parisiens. Que sait-on à Paris du vent d’Autan, d’un incendie qui menace de dévorer habitations et exploitations? Franchement, rien! Alors, faisant fi d’une directive imposant que tant d’hectares soient déjà partis en fumée avant d’appeler en renfort les pompiers du ciel et ayant eu l’assurance que le vent ne céderait pas en intensité et qu’un contre-feu ne servirait à rien, il avait fait envoyer les canadairs et l’incendie avait pu être maitrisé. Le troupeau de moutons de mon professeur de français et de son mari, professeur d’histoire et de géographie, avait été épargné. Notre père avait, ensuite, essuyé la colère de ses supérieurs! Il n’en avait cure! Il se sentait maître chez lui!

Depuis que nous avons posé nos bagages dans le Loiret, j’ai, dans mon Ar-Men, suspendu à la fenêtre, un fanion offert par les sapeurs pompiers de Lacaune ayant décerné à notre père le titre de pompier d’honneur. Sur ce fanion rouge et blanc, il est noté « courage et dévouement ». Ces deux mots, jumelés, me plaisent et sont tout à fait en accord avec ce qui se joue dans le cabinet entre le patient et son thérapeute, parfois en sabots. Le patient entre dans ce travail profond avec courage. De son côté, le thérapeute se doit de l’accompagner avec un dévouement total. Notre professeur de français venait de perdre son mari.  Le couple avait eu trois filles et seule la plus jeune était encore à la maison. J’avais beaucoup de tendresse pour ce petit, tout petit bout de femme, éternellement perché sur de hautes talons et dont les chevilles étaient aussi fines que celle de ses moutons qu’elle avait appris à tondre seule. Madame B était très maigre et de grandes veines en relief couraient le long de ses bras et de ses jambes. Elle fumait beaucoup. Cela s’entendait dans sa voix grave. Elle appréciait les bons vins et avait pour Coluche une grande admiration. « Des gouts et des couleurs, on ne discute pas! ». C’est elle qui me l’avait rappelé de sa petite écriture dans la marge d’une dissertation portant sur le rire, propre de l’homme. Elle nous avait appris à formuler une pensée personnelle. Elle ne nous avait pas fait décortiquer les textes à la limite du ridicule en cherchant des allitérations là où il suffisait de ressentir les mots en donnant libre cours à sa sensibilité et à son imagination. Elle ne nous avait pas obligés à retenir tout ce charabia de linguiste qui donne à penser que la langue est une science quand elle est pour ceux qui en sont amoureux une immense poésie, une Odyssée. Je lui suis si reconnaissante de nous avoir laissé exprimer nos sentiments, nos émotions quand elle aurait pu tout gâcher par le décorticage des textes dignes du travail d’un médecin-légiste. Le légiste travaille sur un corps déshabité, récit d’une existence écoulée. L’élève en français, lui, travaille sur un texte plein de vie, habité par l’âme éternelle de celui qui l’a écrit et lui a insufflé sa force.

Céleste avait du mal à mémoriser toutes ces formes de style et, franchement, je la comprenais mais j’étais obligée de lui expliquer la nécessité de les retenir. Si, d’aventure, elle persistait dans son désir d’étudier le droit alors il faudrait qu’elle s’immerge dans un nouveau vocabulaire et apprenne à jongler avec des formule ou des mots tels que « interjeter appel », « débouter » « former un pourvoi »,  » référé », « lettre de change », « warrant », « bail emphytéotique », « dol », « ducroire », « affectio societatis » « pretium doloris » ou encore, pour faire plaisir aux latinistes, « usucapion ». En écoutant Céleste me donner des exemples des différentes figures de style étudiées, je pensais au film « Première année » que nous avions été voir après le déjeuner et à la somme délirante de toutes les connaissances que les étudiants doivent absorber. Louis était resté à la maison. Le sujet ne le passionnait pas. Nous avions envie de découvrir le quotidien de notre nièce, Margot, actuellement étudiante en première année de médecine à Paris VII.

Nous avions beaucoup aimé « Hippocrate » et « Médecin de campagne », les précédents films de Thomas Lilti qui, tout en réalisant et en écrivant des scenarii, exerce toujours son métier de médecin généraliste. Thomas Lilti maîtrise vraiment bien son sujet et, dans son dernier film, son père, médecin également et lui, s’offrent des petits rôles. « Première année » est forcément un peu linéaire puisqu’on suit des étudiants embarqués dans cette aventure aux confins de l’absurde qui transforment des êtres intelligents et, a priori sensibles, en mécaniques froides. Les deux comédiens, Vincent Lacoste et William Lebghil, qui occupent les rôles titres sont excellents. Les scènes où les étudiants, par deux fois dans l’année, se retrouvent à composer dans les salles grandes comme des hangars pour Airbus 320, dans le parc des expositions de Villepinte, font froid dans le dos. Stéphane me soufflait: « on dirait des poulets en batterie ».

Ce film dénonce la stupidité d’une sélection reposant sur la capacité à répondre à des séries de QCM sans réfléchir. « Première année » est une belle leçon de dépassement de soi et de solidarité. Le film montre que, contrairement aux idées largement répandues s’agissant de ce terrible concours, l’union fait la force et que l’entraide est nécessaire à la réussite. Comme venir à bout d’une telle entreprise en restant seul à potasser des jours et des nuits? C’est impossible! Je me demande si les murs de la chambre de notre nièce se couvrent désormais de notes, de croquis et de résumés. Notre nièce a pour tuteur un étudiant en troisième année qui a fait mentir toutes les statistiques. Ayant passé son bac sans mention, il s’est classé troisième sur presque trois mille étudiants inscrits en PACES à Paris Diderot. Il n’y avait que 327 places en médecine à pourvoir.

Il est urgent que les critères de sélection changent car les étudiants qui réussissent à passer le cap du concours de la première année ne sont pas forcément ceux qui feront les meilleurs médecins. Je souhaite ardemment que notre nièce jette toutes ses forces dans cette bataille homérique. Quoiqu’il arrive, elle n’aura alors rien à regretter car seuls ceux qui ne vont pas au bout des choses peuvent nourrir des regrets.

L’automne s’installe et, avec lui, reviennent les temps forts qui lui sont associés: marches en forêt, ramassage de feuilles qui seront mises à sécher et serviront de lit à la crèche, soleil doré jetant des ombres immenses sur le plateau, écoute de certains morceaux de musique comme l’adagio du concerto n°23 de Mozart interprété par Hélène Grimaud, les omellette aux girolles en provenance directe de Russie ou de Lituanie, le pot au feu et les piles de crêpes. Seuls Louis, notre troisième enfant et Stéphane, son papa, aiment la viande du pot au feu. Les filles et moi n’en aimons que le bouillon dégraissé dans lequel sont jetés en pluie des cheveux d’ange. Il y a toujours trop de carottes. Le navet ne trouve pas preneur et, dans les jours qui suivent, Stéphane fait revenir les restes de viande dans une poêle après y avoir fait dorer un oignon. La maison en est parfumée pour le reste de la journée!

Les sous-bois sont si secs que je doute que nous trouvions des cèpes cet automne. Louis adore aller en forêt avec son papa et chercher avec lui des champignons. On nous annonce encore des températures estivales pour les jours à venir. La nature appelle désespérément la pluie. Les organismes sont épuisés et les virus s’en donnent à coeur joie. Depuis deux jours, Céleste écoute presqu’en boucle une chanson de Noël interprétée par Sinatra: « Let it snow! Let it snow! Let it snow! ». Tous les ans, les enfants espèrent que le grand plateau disparaîtra sous une épaisse couche de neige. Cela n’est vraiment arrivé qu’une seule fois en treize ans. Comme nous avions ri! Louis se jetait dans la neige avec une combinaison de ski jaune. Fantôme était fasciné par cette poudre blanche. Il n’en avait encore jamais vu. L’année dernière, nous avons connu un très court épisode de neige. Céleste et Victoire ont sorti les skis. Elles s’amusaient à glisser dans le jardin et sur la route. De mon côté, j’ai commencé à noter dans les dernières pages de mon agenda des idées de cadeaux de Noël pour les uns et pour les autres.

Ce soir, je m’étais promis d’aller me coucher de bonne heure avec un roman plein d’esprit qu’une de mes amies, Caroline, m’a récemment donné envie de relire « la chute du British Museum » de David Lodge mais je n’ai pas su résister à l’appel de ma petite pomme. Hormis la lumière émise par la lampe de mon bureau, Ar-Men est plongé dans l’obscurité. Quand je commence à écrire, je pourrais rester éveillée toute la nuit et faire semblant de ne pas entendre les appels répétés du chef de gare, excédé, m’invitant à prendre place dans le train du sommeil. Pendant mes longues années d’insomnie, j’adorais voir monter depuis les fenêtres d’Ar-Men les premières lueurs du jour, m’imaginer que la lumière de mon bureau pouvait guider des bateaux dans la brume de l’océan céréalier et que j’avais veillé sur le repos des miens. Si, à Paris, un papa aime souffler et se replier sur son monde intérieur loin de la folle énergie de sa femme, de leur trio et de leur grosse boule de poils, une maman, elle, ses enfants endormis, les sacs prêts et la machine à laver la vaisselle ronronnant, se réfugie dans son antre pour écrire tout en écoutant de la musique. Fantôme, notre berger australien, monte la garde devant le couloir qui dessert les chambres. Son papa à Paris, Louis a investi le grand lit et c’est moi qui vais dormir à l’étage. Si, d’aventure, Stéphane recommençait à travailler loin de nous dans la durée, je sais que ne pas céder à la tentation de rester éveillée la nuit et d’écrire (enfin!) ce roman auquel je pense depuis de longues années ne serait pas facile…

Mardi. Finalement, hier, ce n’est pas tant que le chef de gare a eu raison de moi et m’a contraint à monter dans le train du sommeil mais que je ne parvenais pas à télécharger mes photos. J’espérais que ce problème serait résolu ce matin mais il demeure. C’est la raison pour laquelle le texte est à peine illustré alors que les photos sont prêtes. Un beau soleil orange monte au-dessus du plateau. Les bancs de brouillard vont se dissiper. Ce matin, Céleste n’avait pas cours mais je suis allée m’installer sur la place de l’ancienne gare où les cars scolaires viennent chercher les collégiens et les lycéens et y ai retrouvé ma troisième filleule, Pauline, qui était à la maison ce week-end. Sortant tout juste d’une otite, elle avait les cheveux mouillés et, comme tous les jeunes de son âge, elle portait sa veste largement ouverte, « débraillée », aurait dit notre grand-mère qui aimait que les manteaux soient fermés et ajustés. Sa maman prend le train de 7h11 pour Paris plusieurs fois dans la semaine. Je ne veux pas que Pauline reste seule dans le froid à attendre le bus. Pauline ignorait qu’il y avait une rencontre pour les parents de seconde au lycée vendredi, rencontre décomposée en deux volets: une présentation par le Proviseur de l’année de seconde dans l’amphithéâtre et, ensuite, des entretiens individuels avec les professeurs principaux. Ce soir, nous allons au collège pour la rencontre parents/professeurs de Louis et, jeudi, nous y retournons pour Victoire. Pas moins de trois rencontres en une semaine…

Je sais déjà ce que nous allons entendre sur le trio. S’agissant de Céleste, cela donnera: « Elève charmante, souriante, joyeuse, très à l’aise à l’oral mais se dissipant et ne fournissant pas assez de travail personnel », pour Victoire:  » Excellente élève studieuse, positive, aidante pour ses camarades et discrète », enfin, pour Louis: « Plutôt bon élève, très doué en maths, pouvant travailler bien plus, participant peu à l’oral mais aimant bavarder avec ses voisins ». Il n’y a pas de secret: si Céleste et Louis ont la chance d’avoir hérité ma mémoire d’éléphant que notre père m’a transmise, Victoire est (pour le moment encore) la seule que je vois réviser dans son lit le soir avant un contrôle et relire encore ses leçons le matin avant de partir. Du trio, Victoire est la seule (pour le moment encore) qui semble armée pour des études très exigeantes avec concours. Chaque année, elle travaille un peu plus. Elle a le sens de l’effort que d’aucuns appellent labeur, surtout les hommes quand il s’agit d’évoquer le travail des femmes! Par ailleurs, elle aspire à avoir de bonnes notes. Elle travaille pour elle et non pour nous et sans avoir développé cet esprit de compétition avec les autres que je n’aime pas du tout et donne souvent des êtres suffisants aimant à écraser leurs congénères et se gargariser de leurs succès tout en pleurant quand ils n’ont eu que 19/20…Insupportables personnages!

Excellente semaine à vous tous!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

PS: le morceau de Mozart dont je parlais dans la chronique et celui que Céleste écoute en boucle!

https://www.youtube.com/watch?v=j8e0fBlvEMQ

https://www.youtube.com/watch?v=M-b3iU-INDo

 

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