Avec la cérémonie de remise des dictionnaires aux élèves de CM2, lundi, une nouvelle page s’est tournée dans les livres des histoires familiales. Céleste avait déjà ouvert la voie deux ans plutôt si bien que j’étais moins émue. J’imagine que l’émotion reviendra quand ce sera au tour de Louis de dire au-revoir à l’école primaire. On plaint souvent la place de l’enfant du milieu qui occuperait une sorte de no man’s land entre l’aîné qui nous fait accéder à la parentalité et le benjamin dont toutes les dernières fois seraient teintées de nostalgie. Mais, l’enfant du milieu quand il assume sa place ressent une grande liberté et beaucoup moins de pression que son aîné.
Lundi soir, je regardais les enfants rassemblés dans la cour de l’école avec leurs institutrices et les élus de nos deux villages pour la traditionnelle photo. Ils se tenaient droit. Un large sourire éclairait leurs visages halés malgré le temps maussade. Les parents immortalisaient ce moment. Tandis qu’un verre était offert à l’assemblée, les élèves faisaient dédicacer les dictionnaires par leur institutrice et leurs meilleurs amis. Des enfants manquaient dans l’assistance. Notamment, une des meilleures amies de Victoire depuis la deuxième année de maternelle. Elle et son frère étaient déjà partis en vacances avec leur grand-mère.
J’observais ces enfants que je connais pour la plupart depuis huit ans. Dans ma tête se refaisait en accéléré le film de leurs plus jeunes années. Certains étaient arrivés en cours de route et quelques uns avaient déménagé. Je pensais à Allan qui vit désormais en Bretagne, dans les Côtes d’Armor, et avec lequel Victoire correspond régulièrement. Je pensais à toutes ces fêtes d’anniversaire, ces sorties scolaires, ces séjours en Vendée ou en Auvergne, ces marchés de Noël, ces kermesses, ces tournois sportifs, à des disputes, parfois, à leurs fous rires si souvent, à leur joie de grandir ensemble.
Dans l’assistance, je regardais les parents que je connais eux aussi depuis de longues années. Brutalement, il m’apparaissait que le départ de nos enfants pour le collège marquait une rupture dans nos échanges. Une sorte de distance polie s’installait. D’ailleurs, s’agissant du campement que je souhaitais organiser pour les élèves, j’ai été déçue que si peu de parents se manifestent pour m’aider à l’organiser. J’étais certaine que tous les parents avec lesquels j’avais noué des liens privilégiés se proposeraient spontanément…Il n’en fut rien ! J’ai souri quand des parents m’ont dit que les enfants étaient tellement déçus que le campement n’ait pas lieu. Mais, ces parents étaient-ils prêts à dormir sur une terre encore détrempée et à se faire dévorer par les moustiques ? Désormais, sans doute, nous ne nous verrons plus que de loin en loin. Avec la fin de l’école primaire, les cartes sont redistribuées. Plusieurs enfants ne feront pas leur entrée dans le même établissement. Ceux qui vont dans le même collège seront dispersés dans les différentes classes de sixième. Très vite, les enfants fragiles sur leurs bases auront des difficultés à suivre. L’écart se creusera. Comme j’ai tous les au-revoir, toutes les fins en horreur qui sonnent toujours pour moi comme des petites morts, je ressentais de la tristesse.
Mardi, dernier jour d’école primaire pour les enfants mais dernier jour particulier pour les enfants qui vont entrer au collège en septembre. Beaucoup d’émotions, de pleurs. La rentrée, pour les enfants, depuis de longues années, avait presqu’un caractère immuable. Ils savaient retrouver les mêmes visages amis dans les premiers jours de septembre. Là, c’est l’inconnu. La boule au ventre jusqu’à ce qu’au moment où on sait qu’un ou une amie sera dans notre classe. Le matin, nous avions fait place nette dans les cartables. J’avais rangé les cahiers dans une armoire et récupéré tout un inventaire à la Prévert : petits mots d’amour, dessins chiffonnés, papiers de bonbons, billes, bouts de gomme, capuchons de stylos et playmobils ! Les cartables étaient restés dans l’entrée. Je les avais sentis à la fois fatigués d’avoir inlassablement transportés tant de poids toute l’année et aussi tristes de sentir qu’en septembre ils ne reprendraient plus de service. Ce dernier-matin, j’avais fait des crêpes pour le petit-déjeuner et les enfants sont partis avec des jeux de société et un gâteau chacun, le traditionnel gâteau au yaourt au bon beurre breton. Le soir, Victoire m’a montré son diplôme de meilleure camarade de sa classe. Je l’ai félicitée et lui ai suggéré de le conserver précieusement car elle pouvait être fière qu’on le lui ait décerné.
Nous avons dîné sur la terrasse avec notre amie Véronique et sa fille, une de mes trois filleules. Un dîner avant les grandes transhumances de l’été. Véronique part marcher sur la route jacquaire. Cette année, elle marchera seule de Cahors à Saint Jean Pied de Port avec des étapes de 40 kilomètres en moyenne. Dans une vie menée tambour battant, ces moments de contemplation et de dépassement physique sont une grande aide. Nous dînons sur la terrasse. Le Bandol aurait été plus agréable sans les attaques de moustiques résolus à faire de nous à la fois leur entrée, leur plat de résistance et leur dessert ! Hervé a déposé sa fille, Léa, qui partait le lendemain avec Victoire en colonie. Léa et Victoire ont eu du mal à trouver le sommeil. A vingt-trois heures, elles revisitaient encore les musiques des émissions qu’elles regardaient quand elles étaient toutes petites et je les entendais scander « sac à dos, sac à dos ! Chipeur arrête de chiper ! ». Au-dessus, Céleste et Pauline avaient aussi du mal à monter dans le train du sommeil. On a toujours tant de choses à se raconter quand on dort avec une amie ! Quant à Louis, il se laissait emporter par Morphée après avoir exprimé son mécontentement de se retrouver seul dans sa chambre et d’aller au centre aéré.
A neuf heures mercredi, nous déposions Louis qui, tout de suite, retrouvait son meilleur ami. C’était touchant de revenir dans leur ancienne école, la Claudinerie, celle qui a servi de décor à leurs très jeunes années, de la première année de maternelle au CP et qui accueille le center de loisirs en juillet. Seule Céleste y sera restée jusqu’à la fin de son CE2. Elle a gardé pour Brigitte qui aura été son institutrice deux années consécutives une tendresse particulière qui ne se dément pas.
Après avoir serpenté entre champs et villages, nous gagnons la nationale 7 et les paroles de la chanson de Charles Trenet s’invite dans ma tête. « Nationale 7, il faut la prendre qu’on aille à Rome ou Sète, que l’on soit deux, trois, quatre, cinq, six ou sept, c’est une route qui fait recette, route des vacances qui traverse la Bourgogne et la Provence ». Le temps est radieux. Dans les champs, les agriculteurs moissonnent. Dans le ciel, les hirondelles volent à tire-d’aile. La voiture semble heureuse d’enjamber des ponts, de franchir des voies ferrées, d’emprunter la route Jacques Cœur. Ce célèbre marchand de Bourges était au programme du cours d’histoire de Céleste cette année et nous avons même travaillé ensemble sur une série de questions relatives à sa vie. Maintenant, j’ai envie de découvrir cette route et de la remonter (ou descendre ?) jusqu’à Bourges où le grand-père paternel de notre mère a fini sa carrière de magistrat en qualité de premier président de la Cour d’Appel. Je pourrais passer sous les fenêtres de leur appartement de la rue Jean Jaurès.
Avec les filles, nous découvrons l’étang du Puits entièrement bordé par la forêt. Nous sommes en Sologne. Les cabanes pour se poster et guetter le passage du gibier ne trompent pas ! A la vue des jeunes animateurs, Stéphane et moi ne pouvons pas ne pas penser à ce film charmant que nous avons vu des dizaines de fois en famille « nos jours heureux ». Ils sont si jeunes ces animateurs ! Je ne serais pas surprise qu’Omar Sy arrive avec son immense sourire, sa longue silhouette, et se lance dans une description haute en couleurs de la faune et de la flore locale ! La directrice, à l’accent chantant de la Garonne, elle, doit avoir une petite cinquantaine d’années ainsi que le monsieur qui va apprendre aux enfants à naviguer sur des optimistes. Victoire est très contrariée. Cela fait plus d’un mois que sa valise est prête dans ses moindres détails mais elle a oublié le sac à dos (sac à dos) dans lequel elle avait rangé ses deux maillots de bain et sa serviette de plage (Chipeur arrête de chiper !). Son visage est fermé. Je me dis que nous ne pouvons pas la laisser comme ça, que cela va lui gâcher son séjour, son premier séjour en colonie de vacances. Nous fonçons au Super U d’Argent-sur-Sauldre et trouvons un très joli maillot aux couleurs de l’Amérique et la seule serviette de plage qui restait encore en rayon. Puisque nous y sommes, nous en profitons pour acheter plusieurs bouteilles de ce cidre délicieux que nous buvons traditionnellement lors des séjours à l’île-Tudy à la Toussaint et qu’on ne trouve que dans les Super U.
Quand nous revenons au centre, les enfants sont debout et forment une ronde autour de l’animateur. Nous confions à Ama, ravissante animatrice, le maillot étoilé et la serviette rayée, embrassons les filles et repartons. Victoire a retrouvé son sourire ! La semaine s’annonce magnifique. Les moustiques sont une vraie plaie mais les répulsifs devraient les tenir à distance des peaux tendres des enfants. L’enfance, ils la quittent pas à pas, classe après classe, été après été. Il n’y a rien à faire. Ce processus est inexorable. Cette enfance, ils ont la chance de la vivre à plein. Elle est comme une grosse pomme dont ils se délectent. Comment ne pas être heureux quand on a la chance d’être invité à passer une journée à la ferme, de marcher à travers champs, de caresser des chevaux, de couper des têtes d’artichauts, de ramer sur un étang, de rêver étendu dans l’herbe grasse en regardant les nuages filer dans le ciel, de suivre les sauts des grenouilles dans une mare, de se régaler de framboises ou de mûres, de dormir sous la tente et d’être réveillé par les chants des oiseaux ? Ces enfants-là ont une belle enfance, de très bons amis et ils ont une grande chance, celle d’en avoir conscience !
Anne-Lorraine Guillou-Brunner