Chronique rurale

Quand on vit dans une grande ville, on trouve toujours quelque chose à faire. La curiosité est nourrie. Les rencontres se font assez facilement. A la campagne, on peut traverser de longues semaines sans que rien ou presque ne vienne casser la monotonie des jours. Ici, j’ai appris plus qu’en ville à vivre au rythme des saisons. Aujourd’hui, le plateau est vert et les tiges de blé ou d’orge ondulent sous la caresse rugueuse du vent. Les tulipes ont miraculeusement survécu aux deux jours de gel contrairement aux bourgeons de la glycine qui ne laisseront pas éclore leurs délicats doigts bleu-mauve. A la campagne, on traverse de longues semaines très linéaires et puis, au printemps, les manifestations reprennent et, souvent, il y en a plusieurs le même jour.

Dimanche dernier, il y avait la journée porte ouverte à la ferme des Fouets et une manifestation autour des voitures et des motos à Courtenay. Je n’avais encore jamais entendu parler de cette ferme et de son huilerie. Louis avait deux de ses amis à la maison et Victoire était plongée dans une question d’interprétation philosophique portant sur Aristote et sa vision de l’homme en animal politique. Stéphane et moi sommes partis tous les deux. En ce moment, dans les champs, jaune et vert se disputent. Le colza est fleuri. Nous nous sommes garés sous un pommier. Dans la cour de la ferme, des producteurs, une calèche tirée par deux chevaux de trait, un trio de musiciens de jazz et des jeux pour les enfants. Une femme est venue vers moi et a commencé à me parler comme si nous nous connaissions depuis la maternelle. Elle avait été attirée par ma grosse doudoune orange. Elle s’occupait des crêpes et faisait une pause en buvant un café. Elle était l’une des cousines d’Adrien, celui qui a décidé de faire de l’huile à la ferme de ses parents. L’huilerie offre de l’huile de colza, de tournesol, d’oeillettes, de noix et de noisettes.

Une visite commence. Nous suivons un petit groupe. On sent qu’Adrien est rodé à ces visites. Ses explications sont très claires. nous apprenons beaucoup de choses et je regrette de ne pas avoir un petit carnet pour prendre des notes. Ainsi, j’entends parler pour la première fois de l’acide érucique, un acide gras oméga-9 monoinsaturé que l’on trouve en grande quantité dans les graines de Brassicaceae comme par exemple d’anciennes variétés de colza. Les nouvelles variétés cultivées pour la production d’huile de colza en tant que denrée alimentaire, ont vu leur teneur en acide érucique réduite par sélection. Cette acide se trouve également dans l’huile de moutarde et dans des huiles de poisson. L’acide érucique est dangereux pour la santé en très grande quantité, en particulier pour les nourrissons et les enfants en bas âge. Son absorption peut entraîner une dégénérescence graisseuse du cœur avec effet à long terme. C’est la raison pour laquelle Adrien ne fait pas d’huile de moutarde.

Je n’avais jamais entendu parler de l’oeillette. Il s’agit d’une très belle fleur: un pavot. Elle est plantée vers le 15 mars et récoltée entre le 15 juillet et le 20 août. Elle permet de fabriquer les dérivés morphiniques. La plus grande discrétion est de mise, pour prévenir tout risque de détournement à des fins de production d’héroïne. Le laboratoire Francopia, filiale de Sanofi-Aventis, chargé de cette activité, livre avec parcimonie des informations sur son fonctionnement. Fondée en 1932, cette firme travaille avec 1 000 agriculteurs sous contrat, et plus de 30 organismes de la filière agricole qui exploitent 12 000 hectares de pavot à oeillette. « Francopia maîtrise les flux logistiques sur l’intégralité de la chaîne et assure la traçabilité des produits », précise ce laboratoire, qui produit près de 30 principes actifs pharmaceutiques et intermédiaires, et expédie, chaque année, plus de 120 tonnes de ces principes actifs. Ils aboutissent à la fabrication de trois familles de molécules (dérivés morphiniques, opioïdes de synthèse et dérivés thébaïniques) commercialisées comme antalgiques. Soixante-quinze pour cent du chiffre d’affaires de Francopia est réalisé à l’export dans plus de 80 pays. Cette activité est réalisée sous haute surveillance, contrôlée par le ministère de l’intérieur et de la Direction générale de la gendarmerie nationale. Les principales régions productrices – dont la localisation est tenue secrète – se situeraient en Champagne-Ardenne et en Poitou-Charentes.

Adrien nous montre comment il presse du colza ou du tournesol. Tandis que l’huile tombe dans une cuve de fins boudins verts sortent de la machine: c’est le tourteau qui sera utilisé pour l’alimentation des animaux. Les plants de moutarde servent à aspirer l’azote que les engrais ont laissé dans la terre. Les plants sont réutilisés en tant qu’engrais verts pour nourrir les sols. Tandis que j’écoute Adrien, je me demande ce que savaient les Anciens de toute cette chimie. Les noix et les noisettes sont pressées une fois que les fruits sont parfaitement secs. Les noix arrivent de l’Isère et les noisettes d’un village voisin. On peut venir avec ses noix et ses noisettes et repartir avec sa production. Muguette m’a raconté ces jours entiers qu’elle passait à retirer les noix de leurs coques pour qu’ensuite elles soient pressées au moulin de Château-Renard. Ici, on pratique la pression à froid. La meule, elle, chauffe les produits pressés.

Si nous avions eu le temps, j’aurais voulu aller bavarder avec l’agriculteur qui possède de si beaux percherons. Mais, le temps presse. Nous prenons la route de Courtenay. Le soleil s’est caché et il fait vraiment froid. Cette manifestation attire beaucoup de monde. L’agenda Automoto.fr précise que: « La ville est entièrement dédiée à la mécanique avec plus de 3 km de Boursiers. L’exposition avec les voitures jusqu’à 1984, véhicules anniversaires, américaines, youngtimer, les motos de 1900 à 1985, les véhicules militaires avec des démonstrations, mais aussi les caravanes, les tracteurs agricoles, les moteurs fixes, pin-up… ». Je regrette que Stéphane n’ait pas pris son appareil photos tant il y a de scènes à immortaliser! Nous arrivons à l’heure où une fumée épaisse monte au-dessus des stands vendant saucisses-frites ou kebab. Les pauvres exposants n’ont pas chaud. Nous restons un long moment devant de vieux scooters français. Sous les halles, des dizaines de stands vendant toutes sortes d’accessoires pour voitures ou motos. L’ambiance est vraiment bon enfant.

Nous rentrons à la maison pour un déjeuner tardif. Hélène, la maman de Mala, nous rejoint pour le café. Elle apporte un délicieux gâteau qu’elle a décoré avec une couronne de lierre et de petites fleurs jaunes.

Maintenant, nous sommes jeudi et plusieurs patients ont annulé leur séance en raison du Covid. J’ai appris que deux des petits-enfants d’Eugène qui est le voisin de Muguette depuis au moins 40 ans avaient le Covid. Comme les parents sont transporteurs tous les deux, les enfants sont très souvent chez leurs grands-parents. Au lieu de s’isoler et de se faire tester, Eugène continuait à venir boire son café tous les matins avec Muguette. Même si Muguette a reçu trois doses de vaccin et qu’elle a une santé de fer, j’étais très fâchée qu’Eugène lui fasse courir des risques. Quand j’en ai parlé à Muguette, elle a haussé le ton et m’a dit que personne ne l’empêcherait de voir Eugène. Je ne suis pas restée. Muguette et Eugène sont bien assez grands pour décider par eux-mêmes mais, de mon côté, je n’ai pas envie de tomber malade alors que la maison sera pleine pour Pâques et que je devrais annuler tous mes rendez-vous! Muguette et Eugène sont liés par une amitié très forte. Eugène rassure Muguette par sa présence et elle sait pouvoir compter sur lui en toutes circonstances. Muguette ne voudrait pas se priver de la présence d’Eugène et courir le risque de le vexer. Si Eugène devait avoir été contaminé par Léa et Léo et qu’il contamine à son tour Muguette, ce serait, heureusement, un Covid moins vilain que Delta.

Céleste revenue de Paris hier pour renouveler son passeport est repartie en fin de matinée. Elle revient déjà demain soir pour pouvoir voter pour la première fois dimanche. De son côté, Victoire a regagné le lycée et son papa a rendu à l’infirmerie les béquilles qu’on lui avait prêtées mardi matin. Voici ce que j’écrivais dans mon post:  » Midi, les tomates farcies sentent bon. Je m’apprête à offrir un apéritif à notre maman rentrée la veille du Gard quand Stéphane me dit que l’infirmière du lycée a appelé et que Victoire s’est blessée en athlétisme. Le message est clair: je dois y aller. Je dis au revoir à notre maman, emporte une compote et une banane pour Victoire, annule un rendez-vous avec une patiente, m’assure que j’ai bien la carte vitale de Victoire et file. Au lycée, l’infirmière insiste pour que nous allions aux urgences. Il ne faut pas plaisanter avec un genou et le professeur de sport qui a assisté à la chute a exigé la même chose. On a prêté à Victoire une paire de béquilles. Pourquoi sont-elles anglaises? Il faudra que je regarde. Aux urgences, c’est la cour des miracles. On sent beaucoup de détresse physique, morale et matérielle. Des grippes, des cas de Covid, des chutes et d’autres choses encore que l’oeil ne voit pas. Nous nous enregistrons et allons nous assoir. L’hôpital est en travaux. Victoire voit un premier urgentiste et un second. Ensuite, c’est la radio et une dernière visite avec un jeune homme qui doit être interne. Victoire a une entorse du genou gauche. Le ligament externe n’a pas apprécié la réception après un triple saut. Le personnel soignant est adorable. Je pense aux urgences d’Orléans: 90% du personnel est en arrêt maladie après deux ans de Covid…quel candidat à l’élection présidentielle sauvera nos services publics? A la pharmacie, Victoire essaie sa genouillère. Enfin, nous rentrons et déjeunons à 15h30. Pour elle, Victoire n’était pas retournée dans un hôpital depuis sa naissance.Victoire a été à un cheveu de pleurer à la vue d’une vieille dame dans une chaise roulante. Tombée dans sa chambre à la maison de retraite, elle doit être suturée. Elle est perdue et ne réagit pas quand l’infirmière très souriante lui donne du « Mademoiselle ». Je pense à notre pays, ce fabuleux pays où on garantit encore un accès gratuit aux soins mais pour combien de temps encore? Je me dis que payer des impôts est un honneur dans le sens où il permet, entre autre chose, de soigner le plus grand nombre. L’évasion fiscale est un crime contre la collectivité! Hier, quand j’ai souhaité une bonne journée au premier urgentiste, il m’a dit qu’elle ne serait pas bonne. J’ai reformulé « passez la moins mauvaise des journées ». Il m’a souri d’un sourire désabusé. Sauvons nos services publics! Redonnons de l’espoir à celles et à ceux qui construisent l’avenir de nos enfants et prennent soin de nous! »

Avant de finir ma chronique, je voulais vous conseiller un très joli film « La Brigade » de Louis-Julien Petit. Il raconte comment une cuisinière très talentueuse trouve un emploi de cantinière dans un foyer accueillant des jeunes migrants et va, avec eux, former une brigade. Tous les acteurs sont très justes et les jeunes sont des migrants arrivés en France entre 12 et 14 ans. Pour le personnage de Cathy-Marie, le réalisateur s’est inspiré de la femme cheffe, Catherine Grosjean. En Corrèze, elle enseigne la cuisine à des jeunes migrants pendant les deux ans qui permettent de décrocher un CAP. L’un de ses anciens élèves qui joue dans le film est désormais chef de partie chez Dalloyau. Ce film attire l’attention sur le fait que les jeunes relevant de l’Aide Sociale à l’Enfance qu’ils soient nés en France ou à l’étranger ne sont plus accompagnés quand ils ont 18 ans. Il est question que la durée de prise en charge des jeunes sans famille soit prolongée jusqu’à leurs 20 ou 21 ans. Cela leur laisserai le temps d’avoir pu se former à un métier et de gagner leur vie.

La pluie tombe toujours. Une patiente ne va pas tarder. Elle a modifié trois fois l’heure de son rendez-vous. Cookie dort sur le canapé. Stéphane vient de partir avec Fantôme chez le vétérinaire. Notre bel Australien avance en âge. Il respire bizarrement et a un kyste sur le flanc qui a grossi. Dans tous les cas, c’était la visite annuelle avec le rappel des vaccins et le vermifuge. Cela me rend triste de voir que Fantôme vieillit. Cela fait déjà un certain temps que nous avons renoncé aux sorties en vélo et que nous marchons. Si je n’avais pas des douleurs dans les genoux, la course à pied serait le sport idéal pour lui. Samedi, j’irai couper des branches de buis et, le soir, avec Victoire nous assisterons à la messe dans une ravissante petite église. Demain soir, ce sera la rencontre avec les lycéens de l’aumônerie.

Bonne fin de semaine et à bientôt!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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