A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, les calendriers attendent sur le dessus d’une armoire. Les santons sortiront bientôt de leur boîte à chaussures. Avec délicatesse, trois paires de petites mains les démailloteront de leur feuille de papier absorbant et ils iront prendre place tout autour de l’étable sur un tapis de feuilles d’automne ramassées dans la forêt. Victoire voudra cacher le pauvre Michaud dont les bras sont cassés. Louis s’amusera à changer la disposition des santons et Céleste fera avancer les rois mages un peu plus chaque jour. On sera alors vraiment entrés dans le temps de la préparation de Noël. Comme j’ai acheté un calendrier de l’Avent supplémentaire, je l’utiliserai avec les enfants, âgés de 4 à 7 ans, lors de la première réunion d’éveil à la foi le 5 décembre. Pour chaque case ouverte, on imaginera une pensée et toutes ces pensées tricoteront une prière, une prière de paix et de renouveau, de lumière et d’éternité.
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, les boutons de rose ne fleuriront plus. Ce matin, je les ai découverts, prisonniers d’un linceul de givre. On va bientôt rentrer les plantes qui sont sur la terrasse. Dès qu’il sera dans la maison, le petit oranger, trompé par la chaleur, se croira au printemps et, bien vite, ses branches se couvriront de centaines de petites fleurs blanches. Cette odeur évoquant la chaleur et les rivages de la Méditerranée, à l’approche de l’hiver, ce sera merveilleux !
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, je lis, tous les matins, un des hommages rendus par le journal « Le Monde » aux victimes des attentats du 13 novembre. Presque tous mes patients m’ont parlé des attentats, de ce qu’ils avaient ressenti. Le témoignage le plus touchant est venu d’un jeune trentenaire qui sera papa pour la seconde fois dans moins de quinze jours. J’ai suivi sa compagne avant qu’il ne vienne me voir. C’est au Bataclan, pendant un concert de rock, qu’ils sont vraiment tombés amoureux l’un de l’autre. C’est au Bataclan, dans la fosse, emportés par la musique, que l’amour les a fauchés, pas les balles de kamikazes drogués jusqu’à l’os. Ce patient a pleuré longtemps après avoir appris la nouvelle des attentats à Paris. Si sa femme n’avait pas été sur le point d’accoucher, tous les deux, la main dans la main, ils auraient été à Paris pour s’unir à la foule silencieuse, témoigner de leur attachement fort à la ville lumière, à la musique, à la liberté d’expression. J’aurais voulu lui lire le magnifique texte que Joan Baez a écrit dans les jours qui ont suivi les attentats à Beyrouth, à Paris, à Peshawar. Mais, nous n’avions plus le temps. Je le lui imprimerai et je le lui donnerai quand il reviendra me voir après la naissance de son second fils.
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, ce matin, sur mon vélo, avec notre grosse boule de poils, j’ai eu froid. Je n’arrivais pas à me réchauffer. J’observais la nature figée par le gel. Je n’ai vu ni le petit écureuil près des noyers, ni les chevreuils et les biches dans les champs, ni la chouette s’envolant dans un bruissement d’ailes.
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, notre petit garçon a fêté ses huit ans. Hier, avant qu’il ne rentre de la garderie avec sa sœur cadette, son aînée et moi avions juste eu le temps de lui préparer une belle table avec des bougies et des chevaliers playmobils montant la garde sur une nappe dont les dessins ont été imaginés par la fille de l’une des amies de ma mère. J’avais pensé à lui préparer son plat favori : des cailles aux raisins. Il a tenu à apporter seul le bout de son gâteau d’anniversaire partagé le samedi soir avec sa marraine, les enfants de sa marraine, un couple d’amis et leur petit garçon. Il avait planté une bougie « huit ans » dans la mousse chocolat/fruits rouges et éteint les lumières lui-même. Il a soufflé sa bougie. Il était heureux ! Il ne nous a pas demandé quand il fêterait son anniversaire avec ses copains, anniversaire qu’il a toujours célébré à la maison depuis qu’il est entré à l’école maternelle et que nous avons décidé, cette année, de différer jusqu’à ce que Louis ait intégré durablement certaines choses essentielles comme le respect de la parole de l’adulte.
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, Louis est heureux de voir briller, dans le noir de la chambre qu’il partage avec sa sœur aînée, la lumière du phare qu’il avait choisi comme cadeau d’anniversaire dans le musée de l’amiral, près de Pouldreuzic, dans la baie d’Audierne, pendant les vacances de la Toussaint. Si Louis est comme sa mère, en grandissant, il rêvera de faire l’expérience de la vie de gardien d’un phare en mer, un enfer, comme celui d’Ar-Men. Il aura envie de se confronter aux éléments, de se sentir galvanisé par la puissance de l’océan rendu furieux par la tempête, de lutter contre le vent, de s’enivrer d’iode. Si Louis est comme sa mère, en grandissant, sa volonté, forte, lui permettra de corriger ses travers. Le petit diable, qui, parfois, prend le dessus sera tenu en échec par le petit ange.
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, la hotte du Père Noël est presque remplie de petits cadeaux pour les uns et pour les autres. Un paquet partira bientôt pour les Etats-Unis. Quelle joie d’essayer de trouver ce qui pourra faire plaisir à ses proches ! Je pourrais passer des jours entiers dans les boutiques pour dénicher LE bon cadeau et, ensuite, faire moi-même les paquets et ajouter une petite carte. Je ne suis pas certaine de faire toujours plaisir mais, au moins, j’y mets vraiment du cœur.
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, un bon feu brûle dans l’âtre de la cheminée. Fantôme a repris sa place sur le canapé, le menton posé sur un coussin brodé. Je vais bientôt me lancer dans la confection de ces petits gâteaux alsaciens que je prépare depuis au moins sept ans pour qu’ils soient vendus lors du marché de Noël organisé par l’APE de nos deux écoles. Pendant un an, je garde précieusement toutes les jolies boîtes dans lesquelles je les présenterai. A la garderie, les enfants ont commencé à réaliser des objets. Victoire préfère rester plus tard à la garderie quand on peut venir les chercher plus tôt de manière à avancer dans ses créations.
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, entre deux patients, et alors qu’une odeur de cake flotte dans l’air, je pense à des choses que j’aime faire ou sentir depuis que je suis enfant :
- presser l’écorce d’une clémentine près d’une bougie et voir briller des étincelles ;
- enfoncer mes doigts dans du mastic fraîchement déposé sur les bords d’une vitre ;
- avoir la langue aspirée par les alvéoles d’une chips chinoise à la crevette ;
- malaxer de la farce avec mes mains et la sentir passer entre mes doigts ;
- ressentir, le soir, la chaleur d’un muret en pierres sèches chauffé à blanc par le soleil ;
- m’allonger sur un tapis de feuilles mortes ;
- ouvrir la boîte aux lettres et y trouver du courrier qui m’est destiné et l’emporter avec moi tel un trésor;
- me plonger dans un livre en grignotant des petits Lu ;
- entendre la pluie frapper sur les carreaux et me sentir si bien au chaud à l’abri de mon lit ;
- finir, avec l’index, la pâte à gâteau qui reste sur les bords du récipient ou le chocolat fondu dans la casserole ;
- me laisser hypnotiser par les flammes dansant dans le feu de la cheminée ;
- manger des marrons grillés, même si, après, on a le dessous des ongles et les dents noirs !
- observer les oiseaux qui s’accrochent aux boules de graisse suspendues aux branches des arbres;
- faire « petcher » les alvéoles du papier bulle ;
- m’endormir dans des draps frais qui sentent l’odeur de l’enfance, celle de la maison de mes parents.
Une sensation qui m’attire et que je ne connais pas : fouler au pied des grappes de raisin !
A quelques jours du premier dimanche de l’Avent, je pense à ceux qui luttent toujours dans des services de soins intensifs pour survivre et, qui, ensuite, recommenceront à vivre, note après note. Je pense à leurs proches qui doivent se sentir si démunis face à leurs souffrances. Je pense à ceux qui ne sont plus là et à tous ces petits plaisirs qui étaient les leurs. C’est cliché de l’écrire et pourtant, c’est si vrai : la vie peut s’arrêter à tout un instant. « Maintenant qu’on est là », c’est le titre que j’ai donné à mon recueil de nouvelles paru l’an passé. Il veut dire que maintenant qu’on est là, en vie, sur cette terre, il faut y aller, ne pas avoir peur, se dépasser, croire en l’homme, avoir foi en l’avenir et, dans la larme, savoir saisir le reflet du ciel.
Anne-Lorraine Guillou-Brunner
Le texte que Joan Baez a publié dans les jours qui ont suivi la vague d’attentats en novembre et que j’ai trouvé sur le site du Huffington Post :
« Comme la plupart des gens, je suis bouleversée et choquée par la violence implacable infligée par l’Etat Islamique à Paris, Bagdad, Beyrouth et ailleurs.
J’ai toujours considéré la France comme comme mon deuxième pays, alors j’ai mal pour Paris. J’ai aussi vécu à Bagdad quand j’étais jeune et j’ai autant de peine pour les pays du Moyen-orient qui sont assiégés.
La violence effrénée qui éclate aujourd’hui est en grande partie une conséquence de l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Sans cette action mortelle qui a mené à la destruction, il n’y aurait pas d’État Islamique. De la même manière, sans le soutien américain aux Moudjahidin en Afghanistan et sans la présence militaire en Arabie Saoudite, il n’y aurait pas eu d’Al-Qaïda. Sans oublier le feu aux poudres que nous avons mis avec notre guerre des drones.
Même quand nos gouvernements s’engagent dans la folie revancharde, nous, le peuple, devons leur rappeler que les ennemis originels ne sont pas la population mais les rêves d’empire, la cupidité et l’extrémisme religieux de tous bords. Pour trouver les remèdes contre la violence, nous devons comprendre ce qui a nous a menés au niveau de fanatisme et de haine auquel nous sommes rendus, nous devons être responsables de notre propre ignorance et pleurer nos morts.
Le Coran (5:32) dit: « Quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes ». Dans les Évangiles, Jésus a dit: « Remets ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée » (Matthieu 26 52-54) et Gandhi, qui avait brandi la non-violence contre l’Empire britannique, a dit: « Œil pour œil et le monde finira aveugle » Les graines de la paix sont présentes dans toutes les religions; se venger d’atrocités en exerçant d’autres atrocités n’en sert aucune.
Comme Gandhi disait: « Si nous pouvions nous changer nous-mêmes, le monde entier changerait. Si un homme change sa propre nature, alors l’attitude du monde envers lui change aussi… Nous ne devons pas attendre de voir ce que vont faire les autres. »
Cela me fait donc chaud au cœur de voir, en contraste avec l’horreur et le bain de sang, le courage, la compassion et la bonté humaine que montrent des millions de gens du monde entier. Des gens qui souffrent, qui prient, qui amènent fleurs et bougies et qui donnent leur sang.
Aujourd’hui, je suis Paris, je suis Beyrouth, je suis Badgad, et bien plus…