Chronique entre un Noël pluvieux et un rêve parisien

« Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné! ». Depuis quelques jours, aux quatre coins encore chrétiens de la terre, l’enfant-Jésus repose dans une mangeoire seulement réchauffé par le souffle d’un boeuf et d’un âne gris. Joseph est heureux. Marie qui, déjà, ne pense plus aux douleurs de l’enfantement, est comme toutes les mamans, emplie de ce bonheur que représente la naissance d’un premier enfant en bonne santé.

Un peu avant 15h00, le 24 décembre, notre maman et moi quittions la maison pour nous rendre à la messe célébrée dans un petit village. Notre maman avait le coeur gros: cette année, aucun de ses six petits-enfants n’avait souhaité nous accompagner. Les grands petits-enfants avaient été échaudés par des messes vraiment tristes célébrées dans des églises gelées. Nos enfants ont eu la grande chance de connaître des veillées de Noël dans le Gard, des moments de partage joyeux et chaleureux. Quant à ma soeur et moi, nous avons eu encore plus de chance: nous avons vécu de vraies veillées de Noël quand nous étions dans la bonne et vieille maison de Pont. Bras dessus bras dessous, très chaudement vêtues, nous quittions la maison avant vingt-trois heures. Il faisait toujours très froid. Le ciel était piqué d’étoiles. Le mistral s’engouffrait le long des rives du Rhône. Il fallait absolument arriver en avance si on voulait avoir une chance d’être assis. Cette veillée de Noël était un véritable enchantement avec sa crèche vivante, ses bergers jouant des airs entrainant en soufflant dans des pipeaux, l’agneau bêlant déposé devant l’autel et tous ces chants de Noël entonnés avec joie et force par l’assemblée. Plus tard, un nouveau curé, pourtant un Provençal, au prétexte que la procession, qui mobilisait tant de belles énergies bénévoles relevait du folklore, la supprimerait. Quelle bêtise!

Le soir du réveillon de Noël, alors que nous étions réunis autour d’un apéritif très décontracté dans le salon, je donnais à Charlotte le petit Jésus pour qu’elle aille le coucher dans la crèche. Ensuite, comme tous les jeunes enfants, elle commençait à se raconter des histoires en jouant avec les santons. L’intérieur de la crèche était tout retourné. Le petit Jésus avait rejoint les rois mages, Michaud le curé, Joseph s’entretenait avec un couple se protégeant de la chaleur sous une ombrelle rouge, Marie, près de la fontaine, semblait chercher la fraîcheur tout en bavardant avec de belles Arlésiennes et l’âne était allongé près du pêcheur.

Valentin et Louis s’étaient éclipsés pour aller déposer les paquets au pied du sapin. La veille, Charlotte m’avait demandé de lui montrer la cheminée et de lui expliquer comment le Père Noël allait réussir à l’emprunter dans un sens comme dans un autre. Ensemble, nous avions également fait le tour des décorations suspendus dans le sapin et j’avais dû porter Charlotte qui voulait absolument toucher l’étoile. A trois ans et demi, Charlotte était maintenant assez grande pour prendre la pleine mesure de Noël. Comme ses yeux brillaient en découvrant les cadeaux! Quelle ne fut pas sa joie de sortir d’un emballage une incroyable robe de la Reine des Neiges aussi belle que la robe couleur de lune de Peau d’âne dans le film de Jacques Demy! Comme sa maman était heureuse de voir sa petite fille comblée!

Alors que je m’investis toujours beaucoup dans la préparation de Noël, j’avais eu du mal cette fois-ci à me laisser gagner par l’esprit de Noël: les deux confinements, la fatigue, le fait de ressentir tant de détresse sociale et, aussi, de vouloir quitter la maison et son plateau. Notre maman avait apporté des jacinthes, un bouquet d’eucalyptus très odorant, des baies couleur carmin dont j’ignore le nom et une grande branche de sapin qu’elle a accrochée au-dessus de la cheminée et que ma soeur a décorée avec des étoiles rouges et dorées.

Comme toujours, les cousins étaient heureux d’être réunis dans une maison qui n’a aucun secret pour eux et d’écrire de nouveaux pans de leur mémoire commune. Trouver un lit pour chacun avait ressemblé au jeu des chaises musicales. Stéphane et moi avions cédé notre chambre qui a été durablement la chambre réservée à notre famille et à nos amis de passage à ma soeur et à sa petite fille car elles y ont leurs habitudes; notre maman s’était installée dans le lit de Louis; Louis et Valentin avaient élu domicile chez Victoire; Victoire avait investi le lit martiniquais de mon bureau; Margot et Céleste avaient dormi dans le canapé-lit dans notre ancienne chambre transformée en salon et bureau pour Stéphane et, enfin, Stéphane et moi étions chez Céleste. Fantôme était dans l’entrée ou sous l’escalier. Quant au chat, il n’avait pas quitté sa soeur, Miyu. Les deux chats étaient si heureux de se retrouver et de jouer jusqu’à ce que la fatigue les gagne. Ces retrouvailles étaient pour eux le plus beau des cadeaux de Noël!

La pluie n’avait cédé qu’au moment où ma soeur reprenait la route pour Paris avec ses enfants, dans l’après-midi, après le délicieux déjeuner de Noël en grande partie concocté par Stéphane. Charlotte avait pu malgré tout sauter un peu dans le trampoline et Louis avait initié sa tante à l’utilisation d’une trottinette électrique. Le dimanche, un peu avant 9h30, Stéphane et le trio partaient pour l’Ain retrouver une maman doublée d’une mamie et leur cousine roumaine qu’ils n’avaient pas revues depuis la fin du mois de juillet. Le froid était tombé. La veille, pas de pluie mais un brouillard dense gommant les contours  du plateau. Dans la nuit, nous avions été réveillés par le vent fort poussé par la tempête Bella se déployant sur les côtes de la Manche et du Finistère.

Notre maman aurait dû rester à la maison pour veiller sur Fantôme et Cookie tandis qu’en train, je regagnais Paris où ma soeur m’aurait accueillie jusqu’à mercredi. Même si Paris privée de ses musées, de ses théâtres, de ses cinémas, de ses cafés et de ses petits restaurants de quartier est triste, j’aurais profité de ma soeur, pu voir la marraine de Louis et entrepris de grandes promenades. Finalement, les conditions météorologiques et la peur qu’un vague à l’âme trop fort m’envahisse au moment de reprendre un train m’ont fait renoncer.

Notre maman est repartie emportant des confitures que j’ai faites cet été avec des prunes données par une amie et les mirabelles de notre arbre. Nous avons pu échanger dans le calme ce qui ne nous arrive presque jamais puisque lorsqu’elle vient c’est pour m’épauler dans la logistique du quotidien ou pour nous permettre de changer d’air et d’environnement. Maintenant, je suis seule avec les animaux. Il fait désespérément gris et une pluie mêlée de neige griffe les fenêtres. Muguette nous attend Fantôme et moi. Nous nous sommes vues le jour où notre maman, ma soeur, ses deux filles et les deux nôtres arrivaient. Comme toujours, Muguette avait tiré le banc parfaitement ciré. Il faisait très chaud. Des fagots étaient préparés là où Muguette entrepose ses bûches. Elle m’avait montré les verres et les coupes qu’elle avait lavés, laissés sur un plateau et protégés sous un torchon. Elle avait déjà sorti les assiettes de son service de la faïencerie de Gien dont le nom m’amuse tant « pont aux choux ». La nappe bleue attendait sur un lit. Comme l’an passé, les fils de Muguette venaient déjeuner le jour de Noël et ils apportaient tout. Muguette m’avait parlé de saumon fumé et de filets d’autruche. Muguette m’avait exhortée à m’en aller, à quitter la maison « prison » et le plateau boueux.

Depuis que je suis seule, je pense à ce que j’aurais aimé idéalement faire dans un Paris vécu dans une liberté totale: réussir à avoir des billets pour l’exposition consacrée à Chanel à Galliera, flâner dans le jardin des Tuileries et le Palais-Royal, aller (enfin!) boire un chocolat chaud chez Angelina avec Aurélie, la marraine de Louis, découvrir la rétrospective Matisse à Pompidou, admirer le soir venu la vue sur Paris depuis le Sacré-Coeur, retourner déjeuner ou dîner au « Petit Thaï « avec ma soeur, dans le Marais, avec elle, pousser la porte de petites boutiques, rêver dans le « Nature et découvertes » de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, me recueillir dans l’église Saint-Eustache et y admirer la crèche dont la conception est laissée à des étudiants de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris, enjamber la Seine, remonter la rue de Seine, traverser le boulevard Saint-Germain, remonter la rue de l’Odéon, déboucher rue de Vaugirard et marcher en direction du musée du Luxembourg pour admirer les photos de Man Ray, retrouver une âme d’enfant devant les vitrines décorées des grands magasins, flâner entre les étals de la librairie Delamain et, le soir, bavarder et rire avec ma soeur autour d’un verre de Chablis ou de Gewurtztraminer. Maintenant qu’un troisième confinement est dans les tuyaux, je ne sais pas quand une escapade sera possible.

Tandis que je finis d’écrire ma dernière chronique de l’année, le petit chat dort à côté de moi. Fantôme, lui, est au pied de l’escalier. J’ai allumé la guirlande du sapin dont l’odeur se fait désormais très discrète. A chaque coup de queue du chat dans une branche, c’est un pan de la forêt des Vosges qui disparaît. La pluie tombe encore et toujours sur les velux. Le vent agite nerveusement les branches des arbres. Notre maman est bien rentrée. Dans le garage, une paire de draps finit de sécher. La maison est si calme! Le Père Noël avait glissé dans sa hotte plusieurs livres à mon intention. J’ai déjà lu « Histoire du fils » de Marie-Hélène Lafon et suis en passe de finir un polar breton écrit par un auteur allemand « Les disparus de Trégastel ». L’odeur des scones vient concurrencer celle des jacinthes.

Je vous souhaite à toutes et à tous une agréable fin d’année, un « bon bout d’an » comme disent les Provençaux.

A l’année prochaine!

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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