Chronique en forme de trilogie Dieu-Philosophie-Nature

cheval-d-orgueil-1980-09-g.jpg« Philosopher, c’est apprendre à mourir ». C’est sur ces mots que notre professeur de philosophie, Josette Minet, ouvrait son premier cours l’année de terminale. J’allais avoir dix-sept ans. Une année comme une traversée du désert. J’étais troublée par cette entrée en matière. Philosopher, n’était-ce pas plutôt apprendre à vivre ? A l’époque, je suis entrée dans la philosophie comme on entre en religion. J’avais la foi. Je voulais y croire mais, au début, je ne comprenais rien ! J’étais ce qu’on pourrait appeler une authentique littéraire. Mon esprit était fougueux comme un cheval d’orgueil et désordonné comme un inventaire à la Prévert. J’écrivais des phrases immenses que ma mère dont l’esprit analytique est remarquable trouvait insupportables. Entre le début et la fin, je perdais mon sujet. Je saturais mes textes d’adjectifs. La philosophie et le droit ont remis de l’ordre dans une pensée bouillonnante, généreuse à l’excès. A l’époque, je l’ai vécu comme un dressage ! Les longues années de droit avaient fini par assécher ma plume.

embryon 2.jpgQuand ma mère m’a mise au monde, elle a pensé qu’en me donnant la vie, elle m’avait donné la mort. En me mettant sur cette terre, elle m’obligeait à faire l’expérience sans doute la plus terrible pour l’être humain, celle de sa fin. Je n’ai jamais pensé à ça en donnant la vie à trois enfants. A chaque fois, j’étais dans une joie pure. Je m’émerveillais devant la magie de la conception qui aboutit à un être vivant ! Pourtant, maintenant, je sais que ma mère et mon professeur de philosophie avaient raison. Nous naissons et nous mourons et entre ces deux dates avec lesquelles on aime à résumer le passage d’un être dans cette vie terrestre s’ouvre un temps plus ou moins long pendant lequel tout ce que nous faisons, pensons, comprenons, dépassons nous servira à bien mourir. Une bonne vie ouvre sur une bonne mort. Si nous sommes en accord avec nous-mêmes, si nous n’avons pas le sentiment d’être passé à côté de l’essentiel, si nous nous sentons en paix avec nos proches, nous n’aurons pas peur de partir.

fils-prodigue.jpegA la fin de la semaine, Victoire et ses camarades, qui célèbreront leur profession de foi le 11 juin, seront réunis au prieuré de Lombreuil, chez les sœurs des campagnes, pour deux jours de retraite. Les frères et les sœurs des campagnes sont entièrement dévoués au monde rural. C’est le Père Epagneul, alors dominicain, qui a reçu, en janvier 1943, l’appel de Dieu à fonder un institut religieux de clercs et de laïcs destiné à l’évangélisation des campagnes, spirituellement délaissées et en pleines mutations. Je me suis proposée pour encadrer la journée du dimanche. Il me semble très important d’accompagner nos enfants sur ce chemin. Cette retraite n’est que partielle car les enfants ne dorment pas sur place. Nous travaillerons le Credo autour d’ateliers et de lectures de passages de l’Evangile. La réflexion sur Dieu et la vie sera passionnante. La parabole du fils prodigue est au programme. Cette parabole m’a toujours posé problème. Si je peux comprendre l’accueil sans réserves qui est fait à l’enfant qui n’a plus donné signe de vie, qu’on avait pu penser mort, je trouve cet accueil difficile pour les autres membres de la fratrie qui, eux, sont restés présents et, parfois, ont eu à souffrir de parents pas toujours bienveillants. Cette parabole éclaire une vérité assez universelle : les parents sont naturellement plus accueillants et moins exigeants avec celui qui vit au loin, qui n’est jamais que de passage. Il ne faudrait pas que les moments de partage puissent être ternis par des reproches ou l’expression si humaine d’un manque. Les retrouvailles ont toujours, déjà, un avant-goût de départ.

coquelicot mai.jpgPendant deux jours, les jeunes collégiens seront amenés à réfléchir sur la présence de Dieu dans leur vie. Je ne me rappelle pas avoir jamais douté de son existence. Je ne lui ai jamais rien demandé pour moi. Je ne l’ai jamais pensé responsable de quoi que ce soit de négatif dans nos vies. J’ai eu une amie de collège qui s’était tout à fait détournée de Dieu après avoir perdu sa mère emportée par un cancer fulgurant. Elle avait quinze ans. Toute sa colère se cristallisait sur ce Dieu qui lui avait ravi sa mère. Il fallait un coupable. Dieu était le coupable désigné. Le souffle de Dieu, je le ressens à chaque fois que je suis dans la nature. Je le ressens dans le cœur du coquelicot, les plumes colorées du pivert, la délicatesse des fleurs du pommier, la grâce des sauts des chevreuils. Ce souffle de Dieu, je le lis dans le sourire du bébé, le regard de l’enfant, la prunelle décolorée d’une personne très âgée, dans la colère d’un adolescent tourmenté et dans la complicité d’un vieux couple sage et fort de cette vie traversée à deux.

711x400_charles-darwin.jpgBien que je ne sois pas une scientifique, j’ai fait mienne la phrase de notre grand Pasteur : « un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup y ramène ». Ils sont nombreux les scientifiques à professer leur foi en Dieu. Ainsi, Charles Darwin, le père de la théorie de l’évolution, écrivait-il «  Jamais je n’ai nié l’existence de Dieu. Je crois la théorie de l’évolution  parfaitement conciliable avec la foi en Dieu. Il est impossible de concevoir et de prouver que le splendide et infiniment merveilleux univers, de même que l’homme, soit le résultat du hasard ; et cette impossibilité me semble la meilleure preuve de l’existence de Dieu.  »

nuit_etoiles_filantes.jpgCette présence de Dieu, je la ressens également quand, par une magnifique nuit d’été, j’observe les étoiles dans le ciel et que j’essaie de retrouver les rares constellations que je suis capable de reconnaître. Je me sens alors comme un grain de poussière dans la paume de l’infinitude de l’univers.

Fantome et la mare des Bernard.jpgCe matin, justement, mes yeux ont rencontré deux coquelicots presque dissimulés derrière des tiges d’orge encore bien vert. J’étais sur mon vélo. J’ai mis pied à terre. J’ai délicatement écarté les tiges d’orge pour les observer. C’était mes premiers coquelicots du printemps. J’en avais déjà vu en Provence lors de notre dernier séjour mais le soleil et la chaleur avaient fait passer leur couleur. Ces deux coquelicots étaient magnifiques! Leurs pétales étaient doux comme du velours. Je me penchais pour regarder l’intérieur de leur coeur, un coeur comme un kaléidoscope. Un peu plus loin, je m’arrêtais pour sentir les fleurs blanches des acacias et les fleurs de pommier. Fantôme, lui, près de la mare, avait bien envie de croquer l’un des petits du couple de poules d’eau dissimulés entre les feuilles des nénuphars.

levant plateau.jpgJ’ai commencé avec de la philosophie et me voici à vous parler de Dieu et de la nature que je contemple tous les jours, deux fois par jours. Une première fois, au levant, entre le départ des filles pour le collège et le petit-déjeuner de Louis. Une deuxième fois, avant le déjeuner ou, de préférence, au couchant. J’aime saisir la nature quand elle s’éveille et quand elle va s’endormir. Les bébés chevreuils sont nés maintenant et je me réjouis de les voir bientôt faire leurs premiers pas dans les champs avec leurs parents. Je me rappelle la vision si poétique de la tête de ce jeune chevreuil dépassant au-dessus des épis dorés du blé avant le temps des moissons. Je n’avais pas d’appareil-photo alors mes yeux ont imprimé ce moment dans ma mémoire.

Paul Ricoeur.jpgJ’ai pensé à la philosophie parce que, dimanche matin, alors que j’attendais de voir Emmanuel Macron raccompagner François Hollande sur le tapis rouge jusqu’à sa voiture, j’ai entendu un journaliste dire que Paul Ricoeur avait apporté une touche protestante à la pensée philosophique. Quand j’étais étudiante en thèse de droit privé, une thèse consacrée à un essai sur le don humain (éléments et produits du corps humain), j’avais acheté un livre de Paul Ricoeur “soi-même comme un autre”. Je me rappelle avoir vite décroché alors que le titre m’avait beaucoup plu. Quand on sort de la philosophie, il n’est pas évident d’y retourner. Je suis certaine qu’à la fin de mon année de terminale, je n’aurais eu aucun mal à terminer cet ouvrage. Cela m’aurait donné des clés pour mieux décoder la pensée et l’action de notre nouveau Président de la République. J’espère de tout coeur qu’il va réussir à réconcilier un pays profondément fracturé. Quand j’entends les commentaires des hommes et des femmes encartés depuis leurs dix-huit ans, militants jusqu’à l’os, je me dis que la marche sera longue et que la fin des logiques d’appareils politiques est loin de faire l’humanité.

pissenlit .jpgJe vais trouver un beau taraxacum. Je vais faire un voeu, celui de la réconciliation, et après avoir soufflé, je suivrai le vol des aigrettes.

F et AL Fontgillarde.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner

 

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