Chronique de la compression du temps

yvette horner.jpgPour vous, je ne sais pas comment cela fonctionne mais pour votre chroniqueuse, trois fois dans l’année, le temps s’offre des piques d’adrénaline, des accélérations phénoménales. Le temps se contracte d’une manière étonnante, se resserre comme les soufflets de l’accordéon de la flamboyante Yvette Horner ou les côtes d’un vieux sadhu expulsant l’air de sa poitrine asséchée par des décennies de jeûne et de mortifications en tout genre.

 

Guérande.jpgAlors, votre chroniqueuse est obligée de compter et recompter les jours sur le calendrier pour s’assurer qu’un petit farfadet ne lui a pas jeté un sort quand il devrait étendre sur elle sa mystérieuse protection pour ces dix ou onze kilos de beurre aux cristaux de sel de Guérande qu’elle consomme en douze mois ! La mise en danger de son bon cholestérol justifierait ce soutien sans faille ! Vous ne trouvez pas ?

 

nautilus.jpgCes moments où le temps entre dans la folie d’une valse à mille temps se situe en juin, en septembre et en décembre. Si juin et décembre demeurent des mois de convivialité, d’échanges fructueux, le mois de septembre les place, globalement, en mode sous-marin, façon Nautilus.

 

Cimetière de trains (Bolivie).jpgEn septembre, il faut remettre tout le monde sur les rails pour une année, inscrire les uns et les autres à leurs activités sportives ou artistiques, remplir, pour la cinquième fois, les mêmes formulaires, au service enfance de la mairie où on prie très fort pour avoir réuni toutes les pièces nécessaires (photocopie des vaccinations, certificat de santé, attestation d’assurance civile) et fêter dignement les anniversaires de numéro un, de son papa, d’un oncle et de deux tantes. Laissons de côté les anniversaires d’amis. C’est fou comme on aime à venir au monde en cette saison !

 

DSC_4401.JPGAu mois de Décembre, le temps de l’Avent les trouve en pleine organisation des fêtes de Noël : entre la préparation de la crèche, les décorations de la maison, les centaines de gâteaux alsaciens confectionnés en vue du petit marché de Noël de l’école, les réflexions autour des menus des deux repas phares, aussi approfondies que la leçon de vingt-quatre heures d’un candidat au concours de l’agrégation de droit, les repérages et achats des cadeaux, les listes au Père Noël des enfants, la traditionnelle Saint-Nicolas à la maison avec les petits camarades du trio et les parents et les éternelles interrogations autour du « plan » nouvel an et les conceptions d’enfant (vous suivez ?), on ne touche plus terre !

 

IMG-20110620-00019.jpgEn juin, là aussi, tout, brutalement, s’accélère et on ne sait plus où donner de la tête. Entre la fête des mères et la fête des pères, les longs week-ends conviviaux de l’Ascension et de la Pentecôte, la mise en place des galas sportifs avec toute la panoplie et les accessoires à réunir, la préparation de la kermesse, la tenue d’un stand le dimanche après-midi ou le montage/démontage des mêmes stands et des manèges le vendredi soir et le lundi matin, l’organisation complexe des grandes vacances qui peut, en un rien de temps, s’écrouler comme un château de cartes (confère la seconde chronique de juillet 2010), l’inscription des enfants au centre de loisirs pour les semaines où les parents travaillent et où les grands-parents ne sont pas disponibles, les concerts, la ronde des goûters d’anniversaire, les révisions en vue des évaluations nationales, du passage du premier galop (impossible pour votre chroniqueuse de mémoriser les différentes robes des poneys) et l’examen en gymnastique (tout ça rien que pour numéro un !), la fête de la musique, on a peu de temps pour regarder les nuages filer dans un ciel d’orage au-dessus des champs de blé déjà moissonnés.IMG-20110612-00004.jpg

 

monsieur chatouille.jpgL’appel du Général est derrière nous. Dans les écoles, les centres aérés et les garderies, les murs perdent de leurs couleurs. Les dessins et les peintures des enfants sont décrochés. On fait place nette pour la rentrée prochaine. Les enfants n’empruntent plus de livres à la bibliothèque : numéro deux, tous les mardis et numéro trois, tous les jeudis. La maman est frustrée de ne plus découvrir dans le sac à imprimé fleuri et portant le prénom des enfants, le livre choisi. Cette année, numéro trois n’a rapporté que des « madame » ou des « monsieur » et, à chaque fois, sa maman se laissait emporter à « Gentiville », ou à « Méchanville », voyageait dans des contrées jusqu’alors inconnues d’elle comme la « Bizarrance » la « Glaçonie » ou la « Bruitagne ».

 

monsieur bavard.jpgDe la lecture de « monsieur Bavard », numéro trois a conservé un goût immodéré pour l’emploi de l’expression « et patati et patata ». Ainsi, à sa mère qui a la fâcheuse manie de faire durer un peu trop les explications, il rétorque « et patati et patata ». Il en a plein la bouche et cela l’amuse follement, presqu’autant que les grands bras et les facéties de mister Tickle (monsieur Chatouille). Il rit à gorge déployée quand sa maman ajoute au récit, les chatouilles qui lui sont associés. Le trio a une vraie passion pour les histoires de Roger Hargreaves. Son premier héros, monsieur Chatouille, fêtera ses quarante ans cet été ! Des quatre-vingt-douze livres que compte la collection commencée en 1971, le trio en possède trente-trois dans la bibliothèque commune à la
fratrie.

 

les yeux noirs_mjc brequigny_peniche 29 01 2010.jpgDemain, ce sera la fête de la musique sur la place de l’église dans laquelle numéro deux et numéro trois ont reçu le baptême. Comme presque tous les ans, ce jour-ci, les parapluies déploieront leurs calices inversés au-dessus des têtes des amoureux des notes. Les enfants chanteront et danseront. Les parents bavarderont. L’événement aura été financé par les commerçants du village. On prendra les choses comme elles viennent et, qui sait, une maman se rappellera cette nuit à Paris où, avec des amis, elle avait sillonné les rues de la capitale, portée par le flot, avant d’être littéralement envoûtée, place des Vosges, par un groupe de musique tzigane, « les yeux noirs ». Elle a toujours leur album dans sa discothèque. Il suffit qu’elle l’écoute pour que revienne la magie de cette nuit et le souvenir d’un roman découvert quand elle avait dix-huit ans dans les rayons de la bibliothèque de sa grand-mère. Dans ce court livre publié aux éditions Gallimard et dont elle a oublié et le titre et l’auteur, une femme et un homme ne cèdent à une attirance irrésistible que portés par les notes d’un violon. A la seconde où les fils de soie de l’archet quittent les cordes du violon, le charme est rompu et les amoureux ne s’aiment plus.

 

Samedi, on applaudira les gymnastes en herbe qui évoluront sur le thème de l’hiver. Tout de blanc vêtues, elles se feront flocons. Dans les gradins, numéro trois donnera vite des signes d’impatience et fera des pieds et des mains pour rejoindre les demoiselles. Numéro deux, elle, boira des yeux le spectacle et sa sœur et regrettera que l’école de danse n’organise plus de fête de fin d’année scolaire. Parfois, numéro deux aura la tentation de glisser son pouce gauche droit dans sa bouche mais, très vite, elle se dominera. Ses parents auront été bluffés par sa volonté de fer. Après que le dentiste lui ait dit que quand on allait entrer au CP, qu’on avait six ans, on ne suçait plus son pouce, que le pouce s’était pour les bébés, le soir même, elle s’endormait sans son vieux doudou fétiche et sans pouce ! Sa maman avait félicité sa petite fille si « accroc » à son pouce et à son doudou. La maman avait senti très fortement la volonté de son numéro deux de grandir et de trouver en elle d’autres ressources pour se rassurer. Maintenant, la maman est presque désolée de découvrir, le soir, le petit doudou abandonné sur le lit du bas, comme Grichka dans l’histoire du Père Castor que sa mère, quand elle était enfant, n’avait jamais pu lui raconter sans être submergée par la tristesse ! Une belle illustration de la transmission des émotions d’une génération à l’autre !

 

soupe2.jpgLe gala fini, on se précipitera au terrain de foot du village. Les enfants auront leurs lampions. On allumera le feu de joie. Grands et petits seront captivés par les flammes et regarderont s’envoler dans le ciel étoilé des milliers de petites langues orangées. Dimanche, les enfants et leurs institutrices proposeront leur petit spectacle. Numéro un chantera avec une grande justesse. Elle aura emprunté à son petit frère sa tenue de cow-boy. Numéro deux exécutera une gavotte avec ses petits camarades. Pierrette, la fidèle assistante de leur maîtresse, aura confectionné des costumes bretons dans des supports dentellés blancs pour gâteaux. Quand à numéro trois, on ne sait pas. Il n’a rien dévoilé de ce qu’ils préparaient à l’école. L’après-midi, les enfants courront d’un stand à un autre et tous voudront posséder le même objet. L’an dernier, ils n’en avaient que pour les pots de pâte à prout, sorte de pâte slim revue et corrigée par le Glaude et le Bombé, héros inoubliables de « la soupe aux choux » !pâte slim.jpg

 

corse 10.jpgLe vendredi 1er juillet, si, d’aventure, vous vous demandez où se cache votre chroniqueuse, il vous suffira de la rejoindre au lever du jour, dans le port de Nice. Là, avec toute sa famille, elle sera en passe d’embarquer pour le Nord de la Corse. Le papa aura de tous petits yeux. Il aura conduit de nuit et inquiet, toujours, que la voiture tirant le bâteau ne donne des signes de faiblesse les contraignant à s’arrêter sur le bas-côté (confère la première chronique de septembre 2010). Les enfants seront tout excités de monter à bord. Pour elle et pour son petit garçon, cette traversée sera une première et pour Fantôme, également. La grosse boule de poils, sans doute, sera un peu dépitée d’être enfermée dans une boite et confinée à fond de cale le temps du voyage. La maman se rappellera les pleurs d’un de leurs chiens, à l’aéroport de la Martinique quand il avait été séparé de ses maîtres et qu’il allait prendre l’avion pour la première et la dernière fois. Dans une autre boite, le premier chien de la famille, un cocker français qui avait précédé la venue de votre chroniqueuse et sur la tête duquel elle adorait renverser l’intégralité de son coffre à jouets et qui lui aurait sans doute arraché la main si elle s’était approchée de lui quand il engloutissait sa pâtée, avait adopté une pose tout flegmatique. Il avait déjà fait le voyage une fois, quatre ans avant. Il prenait l’air de celui qui sait et maîtrise le cours des évènements. Quelques minutes après, Réo, le chien si malheureux d’être momentanément privé des siens sombrait, sédaté pour supporter, en soute, les huit heures de vol retour.

 

sirtaki.jpgA moins que le temps ne le lui permette, votre chroniqueuse ne devrait plus rien poster avant le début de la seconde semaine d’août. Prendre la clef des champs pour six semaines et s’occuper de ses enfants, c’est merveilleux mais sacrément sportif et son honneteté la pousse à vous confier que si elle le pouvait, elle irait bien, sans enfants, trouver refuge dans la maison aux murs blancs et au toit bleu d’un village de pêcheurs d’une des îles des Cyclades. Elle pourrait se prendre pour une héroïne des « poneys sauvages ». Elle passerait ses journées à sécher au soleil entre deux bains. Elle lirait, écrirait, boirait des verres de retsina, se régalerait de brochettes d’espadon grillé et apprendrait à danser le sirtaki! La danse inventée pour le film « Zorba », chantée par Dalida et qui fit danser l’été 1965!

 

Anne-Lorraine Guillou-Brunner

2 commentaires sur “Chronique de la compression du temps

  1. Ah quel joli (et haletant) billet qui me rappelle une époque que pour rien au monde je ne voudrais revivre (non, je rigole… et en plus, j’en faisais quand même moins que toi pour « mon trio »…).
    Un jour tu verras… comme chante Mouloudji, tu iras trouver refuge dans la maison toute blanche où tu liras, écriras, boiras des verres… et danseras le sirtaki…
    (Les Mr et les Mme, j’ai aussi toute la collection commencée par mes filles en 83 quand nous vivions au Québec et poursuivie par leur frère en 88 (mais lui il voulait que des « Monsieur », la collection des soeurs étant trop riche en « Madame ») puis reprise en 2005, avec des nouveaux titres, par les petits-enfants!… Ce qui fait que je dois être la personne qui possède le plus de Mr-Mme à ce jour… Et c’est vrai que cela entraîne des expressions, des « modes d’être » que toute la famille endosse…)
    Bonnes vacances à toi Anne-Lorraine
    Danièle

  2. Chère Danièle,
    un grand merci pour ton message qui me touche beaucoup. Je suis heureuse que nous échangions de la sorte et depuis plusieurs mois sans fards. Je ne savais pas que tu avais vécu au Canada. Si je trouve le temps avant mardi prochain, je posterai une chronique canadienne sur notre séjour en Colombie britannique et en Alberta…Ce fut tout sauf une promenade de santé!
    Je sais qu’un jour qui n’est pas si lointain les enfants seront grands, que nous ne shooterons plus dans aucun jouet errant sur un tapis, que nous n’aurons plus à reboucher les tubes de dentifrice ni à nettoyer inlassablement les vitres couvertes de taches de doigts poisseux! Je le dis à mon mari quand il craque…et j’essaie de faire comme Prévert, d’être ni derrière, ni devant mais dedans mais ce n’est pas toujours facile pour quelqu’un qui vit le temps dans ses trois temps tout le temps!
    A très vite et un bel été à toi et à ta belle tribu et à tous les « Monsieur » et « Madame ».
    Anne-Lorraine

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