Chronique d’un retour d’un séjour en classe de mer

 

IMG_20150624_172327.jpgLes enfants des classes de CM1 et de CM2 devaient être à l’école à 16h45, mais une petite voix me soufflait qu’ils seraient là avant. Je me faisais une joie de guetter l’arrivée du car dans la rue du village, de chercher le visage tout bronzé de Victoire derrière les vitres, d’attendre qu’elle descende les marches et de la serrer dans mes bras. Je me rappelais la petite fille de cinq ans rentrant déjà de Vendée et qui, cette année-là, avec ses amis avait dansé pour le spectacle de la kermesse avec, sur la tête, une coiffe de Bigoudène réalisée par Pierrette, la fidèle assistante de leur maîtresse.

 

clap-fin.jpgQuand notre voiture s’est engagée dans l’unique rue du village, que nous avons dû nous ranger sur le côté droit pour laisser passer l’autobus ayant reconduit nos enfants de la Vendée au Loiret, j’ai senti monter en moi la déception. A bord du véhicule, j’ai juste eu le temps de voir une animatrice.  Elle se tenait le visage entre ses deux mains, les coudes posés sur les genoux. Elle semblait à la fois épuisée et triste. Chaque fin de séjour est une petite mort comme l’est, pour une troupe de comédiens, la fin des représentations ou, pour les acteurs, le clap de fin du tournage d’un film. C’est triste de se quitter quand on a vécu une vie en accéléré !

 

Lavoir_d_Amblainvilliers-1_.jpgNous nous sommes garés près de l’église, à côté du lavoir. Je suis toujours saisie par cette impression d’immobilité que renvoie un petit village français en zone rurale. On dirait que rien, jamais, n’a changé et ne changera. Les habitants sortiraient de chez eux avec des vêtements du début du siècle dernier, et les femmes iraient au lavoir pour battre le linge, je n’en serais pas surprise. Tous les enfants sont là. La plupart des parents, aussi, qui, pressés de retrouver leurs chères têtes blondes, brunes ou rousses, ont devancé l’horaire. Les enfants dont les parents ne sont pas encore là attendent, massés devant la grille, à l’ombre du porche. J’entends « maman ». Victoire s’avance vers nous, sans presser le pas. Je la prends contre moi. Cela ne dure pas. Elle me quitte pour aller se blottir contre son papa. Elle est bronzée, rayonnante et enrhumée comme tous ses petits camarades. Tout de suite, elle remarque que je me suis fait couper les cheveux et ses amies de chambrée également. Léa, Lali et Sheyllie ont la gentillesse de trouver que cette coupe me va bien. La spontanéité des enfants…je ne m’en lasserai jamais ! Les adultes savent si peu dire les choses, tourner un compliment. En vieillissant, j’ai dû conserver intacte ma spontanéité enfantine car je complimente toujours une personne pour ce qu’elle porte, la couleur d’un vêtement qui sied à son teint, un plat dont elle nous régale, une attention. Pourquoi garder par-devers soi ce qu’on pense et qui peut faire plaisir ?

 

guepard-1963-09-g.jpgAvec mon gâteau, encore chaud, que j’ai fait entre deux rendez-vous, je me sens un peu bête comme le convive arrivant à la noce quand celle-ci est presque terminée : la mariée avait si mal aux pieds que la voici qui danse pieds-nus. Dans un coin, fatigué, le marié, qui n’a plus ni veste ni cravate, l’observe et se demande comment elle trouve encore la force de danser. Ce que le convive, arrivé alors que la fête touche à sa fin, que les premières lueurs de l’aube se reflètent dans les marais environnants, ne sait pas, c’est que la mariée danse pour se laver de la violence qu’elle a absorbée. La plupart des amis et des parents sont partis. Les choux de la pièce montée s’affaissent. Les verres sont à moitié pleins. Les bougies se sont éteintes. De la cire a coulé sur les nappes blanches. En retirant sa robe, la mariée trouvera dans son décolleté des pétales de roses flétris.

 

IMG_20150624_185619.jpgFrançoise, la maman membre de l’APE qui a eu l’idée de préparer le goûter est, elle aussi, arrivée avec sa belle nappe en papier fuchsia alors que les enfants étaient déjà dans la cour. Elle était triste car il n’y aurait pas d’effet de surprise. Je dépose malgré tout le gâteau encore chaud sur la table. Les enfants ont goûté. Ils n’ont plus ni faim ni soif. Ils ont envie de rentrer, que la vie de famille se referme sur eux. Comme sa sœur quand elle était partie à Combloux, Victoire nous a rapporté à chacun un petit présent. Pour sa grande sœur, un stylo décorée avec des macarons. Pour son petit frère, une tortue, clin d’œil à une autre tortue que nous lui avions offerte au Guilvinec et qu’il a cassée. Pour son papa, un petit chalutier qui trouvera sa place sur une étagère dans son bureau. Pour moi, une petite boîte bretonne contenant des caramels au beurre salé. Sur la boîte, trois Bigoudènes et un Bigouden s’en reviennent de la pêche. Le Bigouden joue du biniou. Un malheureux crabe est pris dans le filet que tient à la main une des Bigoudènes. Je souris que le pays bigouden fasse recette en Vendée. Quand on entend dire que le Breton est partout, ce n’est pas une légende ! Je suis touchée que Victoire m’ait rapporté ce cadeau, preuve qu’elle sait mon attachement au Finistère paternel.  

 

IMG_20150627_154848.jpgDe son séjour, Victoire a aussi rapporté une délicieuse brioche vendéenne dans laquelle  je serai la seule à me couper de belles tranches le matin pour accompagner le café du petit-déjeuner et un sachet de fleur de sel, souvenir de sa visite dans les marais salants. Victoire est vraiment enchantée par ce séjour de dix jours avec un programme merveilleux : initiation au char à voile,  course d’orientation dans la pinède, sorties en vélo, bataille contre la mer à marée montante, grand jeu durant lequel les enfants, répartis en deux groupes, les cow-boys et les Indiens devaient mener une enquête policière, fabrication de la fameuse brioche vendéenne et du préfou, pain à l’aïl. Elle souhaite que je lui achète de la crème crue pour barater du beurre. Le séjour s’est terminé avec la fameuse boum tant attendue par les enfants. Victoire me raconte qu’à la dernière chanson, elle a pleuré. C’était « je vole » interprétée par Louane.

 

famille belier.jpgQuand à la fin de l’hiver, j’ai vu « la famille Bélier » au cinéma avec les filles, elles étaient toutes les deux tristes devant mes larmes. Dans la voiture, je leur avais alors expliqué que le film m’avait doublement émue car je l’avais ressenti avec mon âme d’adolescente et avec mon âme de maman. J’avais retrouvé intacte des émotions éprouvées quand, aînée de ma famille, une famille à la fois baroque et bancale, j’avais dû la quitter. Ce vague à l’âme abyssal qui fondait sur moi quand, le dimanche soir, après un déjeuner et un dîner avec nos parents et ma sœur, je me retrouvais seule dans mon petit studio. Ce blues du dimanche soir qui se dissipait le lundi venu. J’avais, aussi, vécu le chagrin des parents devant le départ de l’aînée. Mais, si je dois être parfaitement honnête, alors, je dois dire que j’ai plus été émue par ce que ressent la jeune fille que par la peine des parents.

 

IMG_20150624_062023.jpgBizarrement, je ne me vois pas être triste quand nos enfants quitteront le nid. D’ailleurs, depuis qu’ils font des séjours scolaires, partent, parfois, deux semaines chez leur grand-mère ou leur mamie, je ne me sens pas perdue, vide, sans raison d’être. Je sais que, chaque jour qui passe est un jour qui les éloigne de nous. Je l’éprouve de manière très forte depuis que je les ai mis au monde. Je sais qu’ils me traversent, que leur vie est ailleurs. Je ne redoute pas le moment où ils voleront, s’envoleront. Ce jour-là, ils seront libres de cheminer sur la route qu’ils se seront choisis. Je ne serai pas dans le regret de ne pas les avoir vus grandir, devenir de jeunes adultes car j’aurai eu tout le temps de les accompagner sur ce bout de route, de leur transmettre des goûts et des passions : une vraie vie de famille vécue en interne et non à la périphérie. Ils n’auront pas peur, eux, de nous laisser, leur père et moi. Ils ne se sentiront pas coupables car ils sentiront que la vie que nous avons menée ensemble avant leur naissance se poursuivra sans eux, avec nous, jour après jour, mais, toujours, présents dans nos coeurs et, à nouveau sur le pont, quand ils auront besoin de renfort.

 

bonne-fete-papa.jpgQuand Victoire est rentrée à la maison, elle a été ravie de retrouver sa sœur et son frère qui n’étaient pas avec nous à son arrivée à l’école. Elle était si heureuse de pouvoir leur offrir leurs cadeaux. Le soir, ils se sont installés tous les trois dans le hamac. Fantôme était à leurs côtés. La brebis manquante avait regagné le troupeau! Je les observais à la dérobée. Ils riaient en se balançant. La fratrie était reconstituée. A ce moment-là, je pensais que, plus tard, quand ils seraient partis de la maison pour étudier et, ensuite, travailler et vivre en couple, ils pourraient puiser au sein de leur fratrie solidarité, force et complicité pour adoucir certains des moments un peu amers qu’une vie réserve. On n’en était pas encore là ! J’ai défait la valise de Victoire et ai été agréablement surprise : elle n’avait pas rapporté la moitié du sable de la grande plage, celle dans laquelle, à l’initiative de leurs deux institutrices, ils avaient dessiné, avec leurs corps couchés dans le sable, un magnifique « bonne fête Papa ».  Une attention délicate qui a touché tous les papas !

 

IMG_20150625_074129.jpgAnne-Lorraine Guillou-Brunner

 

 PS: le passage du « Prophète » de Gibran que je connais par coeur tant je l’ai lu et qui peut aider des parents à assimiler le fait que les enfants n’ont pas vocation à demeurer avec eux.

 

Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

 

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.

 

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.